– Ça dépend, c’est quoi ?
– Du haggis.
– Aucune idée de ce que c’est, mais va pour le haggis, dit Antoine à l’hôtesse qui prenait la commande.
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Dix minutes plus tard, elle posa devant lui une panse de brebis farcie et Antoine changea d’avis. Deux œufs au plat feraient l’affaire, il n’avait plus très faim. À la fin du repas, Mathias et les enfants partirent pour leur visite, laissant Antoine.
À la table voisine, un jeune homme et sa compagne parlaient de projets d’avenir. Tendant l’oreille, Antoine comprit que son voisin était architecte comme lui ; seul à table il s’ennuyait à mourir, cela faisait deux bonnes raisons d’engager la conversation.
Antoine se présenta et l’homme lui demanda s’il était bien français comme il avait cru le deviner. Antoine ne devait surtout pas s’offenser, son anglais était parfait, mais ayant vécu lui-même quelques années à Paris, il lui était facile d’identifier ce léger accent.
Antoine adorait les États-Unis et voulut savoir de quelle ville ils venaient, lui aussi avait reconnu leur accent.
Le couple était originaire de la côte Ouest, ils vivaient à San Francisco et prenaient des vacances bien méritées.
– Vous êtes venu en Écosse pour voir les fantômes ? interrogea Antoine.
– Non, pour ça j’ai ce qu’il faut à la maison, il me suffit d’ouvrir les placards, dit le jeune homme en regardant sa compagne.
Elle lui asséna en retour un coup de pied sous la table.
Il s’appelait Arthur, elle Lauren, tous les deux parcouraient l’Europe, suivant presque à la lettre l’itinéraire recommandé par un couple de leurs vieux amis, Georges Pilguez et sa compagne qui étaient revenus enchantés du périple qu’ils avaient l’ait l’an dernier. D’ailleurs au cours de ce voyage, ils s’étaient mariés en Italie.
– Et vous aussi, vous êtes venus ici vous marier ? demanda Antoine piqué par la curiosité.
– Non, pas encore, répondit la ravissante jeune femme.
– Mais nous fêtons un autre heureux événement, reprit son voisin. Lauren est enceinte, nous attendons notre bébé pour la fin de l’été. Il ne faut pas le dire, c’est un secret pour le moment.
– Je ne veux pas qu’on l’apprenne au Mémorial Hospital, Arthur ! dit Lauren.
Elle se tourna vers Antoine et le prit gentiment à partie.
– Je viens d’être titularisée, je préfère éviter que des rumeurs d’absentéisme circulent dans les couloirs. C’est normal, non ?
– Elle a été nommée chef de service l’été dernier et son métier l’obsède un peu, reprit Arthur.
La conversation se prolongea : la jeune médecin avait une repartie sans égal ; Antoine était émerveillé par la complicité qu’elle entretenait avec son compagnon.
Quand ils s’excusèrent – ils avaient de la route à faire – Antoine les félicita tous les deux pour le bébé et leur promit d’être discret. S’il visitait un jour San Francisco, il espérait n’avoir aucune raison de se rendre au Mémorial Hospital.
– Ne jurez de rien, croyez-moi… La vie a beaucoup plus d’imagination que nous !
– 155 –
En partant, Arthur lui remit sa carte, lui faisant promettre de les appeler s’il venait un jour en Californie.
*
Mathias et les enfants revinrent fous de joie de leur après-midi. Antoine aurait dû les accompagner, le château de Cawdor était magnifique.
– Ça te dirait de découvrir San Francisco l’an prochain ? demanda Antoine en reprenant la route.
– Les hamburgers ce n’est pas mon truc, répondit Mathias.
– Eh ben, le haggis, ce n’est pas le mien et pourtant je suis là.
– Bon, eh bien, alors on verra l’an prochain. Tu ne veux pas rouler un peu plus vite, on se traîne là !
Le lendemain, ils filèrent vers le sud et firent une longue halte sur les rives du Loch Ness. Mathias paria cent livres sterling qu’Antoine ne serait « pas cap » de tremper un pied dans le lac, et il gagna son pari.
Le vendredi matin, les vacances s’achevaient déjà. À l’aéroport d’Édimbourg, Mathias bombarda Audrey de messages. Il en envoya un caché derrière un portant à journaux, deux autres depuis les toilettes où il avait dû retourner chercher un sac oublié au pied du lavabo, un quatrième pendant qu’Antoine passait sous le portique de sécurité, un cinquième dans son dos, en descendant la passerelle qui menait à l’avion, et un dernier pendant qu’Antoine rangeait les blousons des enfants dans les compartiments à bagages. Audrey était heureuse de le savoir de retour, elle avait une folle envie de le voir, elle viendrait bientôt.
Dans l’avion qui les ramenait, Antoine et Mathias se disputèrent – comme à l’aller – pour ne pas s’asseoir près du hublot.
Antoine n’aimait pas être coincé au fond de la rangée, Mathias rappelait qu’il avait le vertige.
– Personne n’a le vertige en avion, c’est bien connu, tu racontes n’importe quoi, râla Antoine en s’asseyant à la place contre son gré.
– Eh bien, moi quand je regarde le bout de l’aile, si !
– Eh bien, tu n’as qu’à pas le regarder, de toute façon, tu veux m’expliquer l’intérêt de regarder le bout d’une aile ? Tu as peur qu’elle se décroche ?
– J’ai peur de rien du tout ! C’est toi qui as peur que l’aile se décroche, c’est pour ça que tu ne veux pas t’asseoir au hublot. Qui est-ce qui serre les poings quand il y a des turbulences ?
*
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De retour à Londres, Emily résuma parfaitement l’amitié qui liait les deux hommes. Elle confia à son journal intime qu’Antoine et Mathias, c’étaient exactement les mêmes… mais en très différents, et cette fois Louis n’ajouta rien dans la marge.
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XV
Dans le bureau du directeur de l’information, ce vendredi matin, Audrey apprit une nouvelle qui la rendit folle de joie. La rédaction de la chaîne, satisfaite de son travail, avait décidé d’accorder plus d’importance à son sujet. Pour compléter son reportage, elle devrait se rendre dans la ville d’Ashford où une partie de la communauté française s’était installée. Le mieux pour réaliser les interviews serait d’aller à la rencontre des familles, le samedi midi à la sortie des écoles. Audrey en profiterait aussi pour retourner certaines images inutilisables à cause d’une histoire à laquelle le directeur de l’information ne comprenait rien. De toute sa carrière, il n’avait jamais entendu parler d’un « viseur de caméra qui décadrait les plans », mais il fallait bien un début à tout… Un cameraman professionnel la rejoindrait à Londres. Elle avait à peine le temps de rentrer chez elle pour faire sa valise, son train partait dans trois heures.
*
La porte s’était ouverte, mais Mathias n’avait pas jugé bon de quitter son ar-rière-boutique ; à cette heure de la journée, la plupart des clientes qui attendaient l’heure de la sortie de l’école entraient chez lui pour feuilleter les pages d’un magazine et repartaient quelques minutes plus tard sans rien acheter. C’est quand il entendit une voix au timbre légèrement éraillé demander s’il avait le Lagarde et Michard édition XVIIIe qu’il laissa tomber son livre et se précipita dans la librairie.
Ils se regardaient, chacun surpris du bonheur de retrouver l’autre ; pour Mathias la surprise était totale. Il la prit dans ses bras et cette fois ce fut elle qui eut presque le vertige. Pour combien de temps était-elle là ?… – Pourquoi parler déjà de son départ alors qu’elle venait à peine d’arriver ?… – Parce que le temps lui avait paru très long… Quatre jours ici… c’était court… Elle avait la peau douce, il avait envie d’elle… – Elle avait dans la poche de son imperméable la clé de l’appartement de Brick Lane… – Oui, il trouverait un moyen de faire garder sa fille, Antoine s’en occu-perait. – Antoine ?… – Un ami avec qui il était parti en vacances… mais assez parlé !
Il était si heureux de la voir, c’était sa voix à elle qu’il voulait entendre… – Il fallait qu’elle lui avoue quelque chose, elle avait un peu honte… mais d’avoir eu tant de mal à le joindre alors qu’il était en Ecosse… c’était difficile à dire… oh et puis autant l’avouer, elle avait fini par croire qu’il était marié, qu’il lui mentait… tous ces messages qui arrivaient toujours avant le dîner, et puis ensuite les silences des soirées…
elle était désolée, c’était à cause des cicatrices du passé… – Bien sûr qu’il ne lui en voulait pas… au contraire, maintenant tout était clair, c’était bien mieux quand les choses étaient claires. Evidemment qu’Antoine savait pour eux deux, là-bas il n’avait
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pas cessé de parler d’elle… Et il mourait d’envie de la rencontrer… peut-être pas ce week-end, puisque leur temps était compté… il ne voulait être qu’avec elle. – Elle reviendrait en début de soirée, maintenant elle avait rendez-vous à Pimlico avec un cameraman qu’elle emmenait à Ashford. Hélas oui, elle s’absenterait demain, peut-
être aussi dimanche, c’est vrai, ils n’auraient plus que deux jours si on enlevait ceux-là… Il fallait vraiment qu’elle file, elle était déjà en retard. Non, il ne pouvait pas l’accompagner à Ashford, la chaîne avait exigé un cadreur professionnel… Il n’avait aucune raison de faire cette tête, son collègue était marié et attendait un enfant… Il fallait qu’il la laisse partir, elle allait rater son rendez-vous… Elle aussi voulait encore l’embrasser. Elle le retrouverait au bar d’Yvonne… vers huit heures.
*
Audrey monta dans un taxi et Mathias se précipita sur le téléphone. Antoine était en réunion, il suffisait que McKenzie le prévienne de faire dîner les enfants et de ne surtout pas l’attendre. Rien de grave, un ami parisien de passage à Londres lui avait fait la surprise d’entrer dans sa librairie. Sa femme venait de le quitter, elle demandait la garde des enfants. Son copain était au plus mal, il allait s’occuper de lui ce soir. Il avait bien pensé le ramener à la maison mais ce n’était pas une bonne idée…
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