D’accord pour treize heures, mais pourquoi dis-tu « aussi » ?

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Et au même moment, dans la salle informatique du Lycée français, Emily et Louis éteignaient l’ordinateur depuis lequel ils venaient d’envoyer ces messages.

Les rivages de Calais s’éloignaient, l’Eurostar filait à trois cent cinquante kilomètres à l’heure sur les rails français. Le portable d’Audrey se mit à sonner, et dès qu’elle décrocha, la vieille dame assise en face d’elle reposa son livre.

La mère d’Audrey était si heureuse du retour de sa fille… Audrey avait une voix différente… pas celle qu’elle lui connaissait d’habitude… inutile de le lui cacher, sa fille avait du rencontrer quelqu’un, la dernière lois qu’elle avait entendu ce ton-là, Audrey lui annonçait son idylle avec Romain…

– Oui, Audrey se souvenait très bien comment son histoire avec Romain s’était terminée, et aussi de toutes ces soirées passées au téléphone à pleurer dans le combiné. Oui… les hommes étaient tous les mêmes… – Qui était ce nouveau garçon ?…

Mais évidemment qu’elle savait qu’il y avait un nouveau garçon… c’était quand même elle qui l’avait faite…

– Effectivement, il y avait eu une rencontre, mais non elle ne s’emballait pas…

de toute façon cela n’avait rien à voir avec Romain et merci de remuer encore le couteau dans la plaie, au cas où elle ne serait pas encore cicatrisée… Mais si, la plaie était refermée… Ce n’était pas ce qu’elle avait voulu dire, c’était juste au cas où… Non, elle n’avait pas reparlé à Romain depuis six mois… sauf une fois le mois dernier pour une histoire de valise oubliée à laquelle il tenait apparemment plus qu’à sa dignité…

Bon, de toute façon il ne s’agissait pas de Romain mais de Mathias… Oui, c’était un joli prénom… Libraire… Oui, c’était aussi un joli métier… Non, elle ne savait pas si un libraire gagnait bien sa vie, mais l’argent n’était pas important, elle non plus ne gagnait pas bien sa vie, et « raison de plus » n’était pas la réponse qu’elle attendait de sa mère…

Et puis, si ce n’était pas pour se réjouir ensemble, autant changer de sujet de conversation… Oui, il habitait à Londres, et oui, Audrey savait que la vie là-bas était chère, elle venait d’y passer un mois… Oui, un mois c’était suffisant, maman tu m’épuises… Mais nooon elle n’avait pas l’intention d’aller s’installer en Angleterre, elle le connaissait depuis deux jours… depuis cinq jours… Non, elle n’avait pas couché avec lui le premier soir… Oui, c’est vrai que pour Romain elle avait voulu partir vivre à Madrid avec lui au bout de quarante-huit heures, mais là ce n’était pas nécessairement l’homme de sa vie… pour l’instant juste un homme formidable… Oui, elle verrait avec le temps et non, il ne fallait pas s’inquiéter pour son travail, elle se battait depuis cinq ans pour avoir un jour sa propre émission, ce n’était pas pour tout gâcher maintenant simplement parce qu’elle avait rencontré un libraire à Londres ! Oui elle l’appellerait dès qu’elle serait à Paris, elle l’embrassait aussi.

Audrey remit le portable dans sa poche et soupira longuement. La vieille dame en face d’elle reprit son livre et le reposa aussitôt.

– Pardon de me mêler de ce qui ne me regarde peut-être pas, dit-elle en repoussant ses lunettes sur le bout de son nez, vous parliez du même homme dans les deux conversations ?

Et comme Audrey, interloquée, ne répondait pas, elle marmonna :

– Et qu’on ne vienne plus me dire que passer dans ce tunnel n’a aucun effet sur l’organisme !

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*


Depuis qu’ils s’étaient installés en terrasse, ils n’avaient pas échangé un mot.

– Tu penses à elle ? demanda Antoine.

Mathias prit un morceau de pain dans la corbeille et le trempa dans le pot de moutarde.

– Je la connais ?

Mathias croqua dans le pain et mastiqua lentement.

– Où l’as-tu rencontrée ?

Cette fois, Mathias prit son verre et le but d’un trait.

– Tu sais, tu peux m’en parler, reprit Antoine.

Mathias reposa le verre sur la table.

– Avant tu me disais tout…, ajouta Antoine.

– Avant, comme tu dis, on n’avait pas mis en place tes règles à la con.

– C’est toi qui as dit qu’on ne ramenait pas de femmes à la maison, moi j’ai juste dit pas de baby-sitter.

– C’était du second degré, Antoine ! Écoute, je rentre chez nous ce soir, si c’est ça que tu veux savoir.

– On ne va pas faire un drame parce qu’on s’est imposé quelques règles de vie quand même. Sois gentil, fais un petit effort, c’est important pour moi.

Yvonne venait de leur apporter deux salades, elle retourna dans sa cuisine en levant les yeux au ciel.

– Tu es heureux, au moins ? reprit Antoine.

– On parle d’autre chose ?

– Je veux bien, mais de quoi ?

Mathias fouilla la poche de sa veste et en sortit quatre billets d’avion.

– Tu es allé les retirer ? demanda Antoine dont le visage s’éclairait.

– Ben non, tu vois !

Dans cinq jours, après avoir récupéré les enfants à la sortie de l’école, ils fileraient vers l’aéroport et dormiraient le soir même en Ecosse.

À la fin du repas, les deux amis étaient rabibochés. Quoique… Mathias précisa à Antoine que se fixer des règles n’avait aucun intérêt, si ce n’était pour essayer de les enfreindre.

Nous étions le premier jour de la semaine, c’était donc au tour d’Antoine de ré-

cupérer Emily et Louis à l’école, Mathias ferait les courses en quittant la librairie,

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préparerait le dîner et Antoine coucherait les enfants. En dépit de quelques heurts, la vie de la maison était parfaitement organisée…


*


Le soir, Antoine reçut un appel urgent de McKenzie. Le prototype des tables qu’il avait dessiné pour le restaurant venait d’arriver au bureau. Le chef d’agence trouvait que le modèle correspondait tout à fait au style d’Yvonne, mais il préférait néanmoins une seconde opinion. Antoine promit de s’y intéresser en arrivant dès le lendemain matin, mais McKenzie insista ; le fournisseur pouvait fabriquer les quantités requises, dans les délais et les prix espérés, à la condition que la commande lui soit envoyée ce soir… L’aller-retour prendrait à Antoine tout au plus une demi-heure.

Mathias n’était pas encore rentré, il fit promettre aux enfants de se tenir à carreau pendant son absence. Il était formellement interdit d’ouvrir la porte à qui-conque, de répondre au téléphone sauf si c’était lui qui appelait – ce qui fit rigoler Emily… comme si on pouvait savoir qui appelait avant d’avoir décroché -, il était aussi interdit de s’approcher de la cuisine, de brancher ou de débrancher le moindre appareil électrique, de se pencher à la balustrade de la rampe d’escalier, de toucher à quoi que ce soit… et il fallut qu’Emily et Louis bâillent en chœur pour interrompre la litanie d’un père qui aurait pourtant juré sur l’honneur qu’il n’était pas d’un naturel inquiet.

Dès que son père fut parti, Louis fonça dans la cuisine, grimpa sur un tabouret, prit deux grands verres sur l’étagère et les passa à Emily avant de redescendre. Puis il ouvrit le réfrigérateur, choisit deux sodas, réaligna les canettes comme Antoine les ordonnait toujours (les rouges Coca à gauche, les orange Fanta au milieu et les vertes Perrier à droite). Les pailles se trouvaient dans le tiroir sous l’évier, les tartelettes aux abricots étaient rangées dans la boîte à biscuits, et le plateau pour emporter tout ça devant la télévision était disposé sur le plan de travail. Tout aurait été parfait si l’écran avait bien voulu s’allumer.

Après examen minutieux des câbles, les piles de la télécommande furent in-criminées. Emily savait où trouver les mêmes… dans le radio-réveil de son père. Elle grimpa à toute vitesse, osant à peine poser sa main sur la rampe d’escalier. En entrant dans la chambre elle fut attirée par un petit appareil photo numérique posé sur la table de nuit. Certainement un achat pour les vacances en Ecosse. Curieuse, elle le prit et appuya sur tous les boutons. Sur l’écran situé au dos du boitier, défilèrent les premières photos que son papa avait dû prendre pour tester l’appareil. Sur la première pose on ne voyait que deux jambes et un bout de trottoir, sur la deuxième le coin d’un étal du marché de Portobello, sur la troisième il fallait incliner l’image pour que le réverbère soit droit… Ce qui défilait sur l’écran n’avait finalement pas grand intérêt, tout du moins jusqu’à la trente-deuxième pose, la seule, d’ailleurs, normale-ment cadrée… On y voyait un couple assis à la terrasse d’un restaurant qui s’embrassait devant l’objectif…


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*


Après le dîner – Emily n’avait pas prononcé un mot à table – Louis monta dans la chambre de sa meilleure amie et écrivit dans son journal intime que la découverte de l’appareil photo avait été un sacré choc pour elle, c’était quand même la première fois que son père lui mentait. Juste avant de s’endormir, Emily ajouta dans la marge que c’était la deuxième… après le coup du père Noël.

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XII

Yvonne referma la porte de son studio et regarda sa montre. En avançant dans le couloir, elle entendit les pas d’Enya qui sortait de sa chambre.

– Tu es bien jolie ce matin, dit-elle en se retournant.

Enya l’embrassa sur la joue.

– J’ai une bonne nouvelle.

– Tu m’en dis un peu plus ?

– J’ai été convoquée hier à l’immigration.

– Ah ? Et c’est une bonne nouvelle ? demanda Yvonne inquiète.

Yvonne regarda le permis de travail qu’Enya lui montrait fièrement. Elle prit la jeune femme dans ses bras et la serra contre elle.