Le premier soin de la Duchesse fut de se précipiter sur son écritoire. N’étant plus en pays ennemi, elle allait peut-être recevoir des réponses ? Sa première lettre fut pour Anne d’Autriche :

« … Les soupçons injustes que l’on a donnés de moi m’ont nui et contrainte à passer en Espagne où le respect de Sa Majesté m’a fait recevoir et traiter mieux que je ne le méritais. Mais celui [le respect] m’a fait taire jusqu’à ce que je fusse en ce royaume lequel étant en bonne intelligence avec la France ne me donne pas sujet d’appréhender que vous ne trouviez bon de recevoir les lettres qui en viennent. Il m’a fallu priver de la consolation de soulager mes maux en les disant à Votre Majesté jusqu’à cette heure que je puis me plaindre à elle de ma mauvaise fortune espérant que sa protection me garantira de la colère du Roi et des mauvaises grâces de Monsieur le Cardinal… »

En conclusion, elle se plaignait de manquer d’argent, ne touchant plus depuis son départ les revenus des biens que le procès gagné contre son époux lui avait rendus…

La deuxième lettre fut pour son mari à qui, bien sûr, elle réclamait des subsides. Et la troisième pour Herminie qu’elle invitait à venir la rejoindre avec Anna. Tous ces mois sans ses deux fidèles « lui étaient apparus comme une éternité ». Et elle entendait briller à la cour d’Angleterre, ainsi d’ailleurs qu’on l’y invitait.

Cela fait, elle convoqua tailleurs, modistes, lingères, chausseurs et ainsi de suite afin de retrouver le lustre convenant à sa beauté. La mode espagnole ne l’ayant guère inspirée, elle n’y avait fait que les emprunts juste nécessaires pour paraître convenablement à la Cour. Ses joyaux qu’elle avait su conserver faisaient le reste, mais en Angleterre il en allait autrement : la Cour était brillante, élégante, voire fastueuse et même débridée. Or elle entendait y jouer un rôle important…

Au lendemain de son arrivée, elle vit Henry Holland.

Il apparut au cercle de la Reine, dans l’après-midi, menant par la main avec désinvolture une très jolie femme qui le couvait d’un regard ardent et dont il ne s’occupa plus après qu’ils eurent ensemble salué la souveraine. Celle-ci l’attira près d’elle et le fit se courber pour lui parler longuement à l’oreille avec une sorte d’abandon dénotant une grande habitude. L’œil vif – et déjà jaloux ! – de Marie remarqua aussitôt qu’il portait les mêmes couleurs qu’Henriette-Marie : pourpoint de velours bleu brodé d’or avec un nœud de ruban écarlate à la garde de son épée. Lorsque l’aparté, apparemment amusant, prit fin, Holland se laissa glisser sur un coussin aux pieds de la Reine dans une attitude qui pouvait être celle d’un favori reconnu.

Marie n’eut cependant pas le temps de s’étendre sur ses impressions. Elevant la voix, Henriette-Marie disait :

— Vous allez avoir une surprise, Henry ! Une visiteuse nous est arrivée hier venant d’Espagne et j’ai tout lieu de penser que vous serez heureux de la revoir. Approchez, Madame la Duchesse !

Celle-ci, qui s’était tenue en retrait derrière deux dames, rejoignit ce qu’elle n’était pas loin d’appeler le couple. À sa vue, Holland se releva en hâte :

— Madame la duchesse de Chevreuse ici ? Par quel miracle ?

Le sourire était froid, le ton aussi. Blessée, Marie paya de la même monnaie :

— Miracle est un grand mot pour une visite d’amitié, Mylord ! Ce n’est pas d’hier – et vous devriez le savoir ! – que Leurs Majestés et moi-même sommes liés par des sentiments profonds. Votre surprise est mal venue !

Le dédain qui vibrait dans la voix de Marie fît froncer les sourcils de Holland :

— Monsieur de Chevreuse est avec vous, sans doute ?

— Le duc de Chevreuse est auprès du roi Louis. Mais je ne vois pas Lady Holland ? Encore aux prises avec une grossesse peut-être ? À moins qu’elle ne se prépare à être grand-mère ? Le temps passe si vite !

L’entrée du Roi mit fin à la joute. Marie nota que, cette fois, Holland restait debout légèrement en retrait, puis qu’ayant salué Charles Ier, celui-ci lui répondit d’un simple signe de tête, d’où Marie conclut que s’il était au mieux avec la Reine, il n’en allait pas de même avec son époux : un détail dont il faudrait tenir compte. Elle remarqua aussi que le beau gentilhomme – il était toujours superbe en dépit de ses quarante-huit ans ! – ne s’attardait pas. Il alla reprendre la main de la jeune dame de tout à l’heure et partit avec elle en riant. Ce qui mit Marie au supplice : la fille était belle, jeune, et il n’était pas difficile de deviner qu’elle et Holland se rencontraient peut-être plus souvent dans un lit que chez la Reine. Elle n’eut aucune peine à apprendre qu’il s’agissait de Lady Olivia Buckridge, mariée à un barbon, et qu’elle était en effet la maîtresse déclarée de Holland dont elle était folle.

Durant la semaine qui suivit, la Cour se transporta à Hampton Court où Marie avait jadis donné le jour à celle de ses filles qui était aussi sans doute celle de Holland. Elle l’y vit à plusieurs reprises mais ne le rencontra pas grâce au soin qu’ils prirent l’un comme l’autre de s’éviter. Il était parfois – mais pas toujours ! – accompagné d’Olivia Buckridge et elle-même traînait partout après elle le jeune Craft qui était accouru à sa rencontre au soir de son arrivée en jappant de joie tel le bon toutou qui retrouve sa maîtresse. Comme il était extrêmement décoratif, elle se garda bien de doucher son enthousiasme dont il reçut maintes fois sa récompense. Marie l’affichait sans vergogne et trompait avec lui ce désir brûlant que la seule vue d’Henry faisait naître en elle.

Il n’était d’ailleurs pas son unique souci. À sa surprise, Anne d’Autriche ne lui répondit pas. Ce fut Richelieu qui s’en chargea. En quelques phrases, il fit savoir à Madame de Chevreuse que sa tentative de correspondance n’avait pas été mal accueillie et qu’elle pouvait continuer à écrire. La Reine que sa grossesse obligeait à de multiples précautions lui répondrait plus tard. Il ajoutait qu’il n’avait rien compris à sa fuite éperdue en direction des Pyrénées alors qu’elle n’était en rien menacée par qui que ce soit.

Cette lettre donna fort à penser à Marie. Elle ne douta pas un instant de ce qu’on lui écrivait, or, le livre rouge venait de chez la Reine… la Reine qui ne lui envoyait pas la plus petite lettre. Il fallait donc que le mauvais tour vînt de chez elle !

Décidée à en apprendre davantage, elle reprit sa plume sur-le-champ et écrivit au Cardinal :

« Ayant appris que vous recevrez agréablement cette lettre je vous la fais avec beaucoup de contentement. J’espère que le malheur qui m’a contrainte de sortir de France s’est lassé de me suivre si longtemps… J’ai cru être obligée de m’éloigner pour gagner ce qu’il m’était seulement besoin pour ma justification, à savoir le temps. Les assurances que l’on m’a données ici de votre bonté pour moi me font espérer le succès que je me suis promis… »

À savoir son retour immédiat en France. Et, le billet cacheté, elle alla aussitôt prier Charles et Henriette-Marie d’intercéder pour elle. On lui promit alors que l’ambassadeur à Paris demanderait son retour sans plus tarder.

En fait, cette grande hâte de quitter, à peine arrivée, un pays où elle se sentait si bien, où elle ne comptait apparemment que des amis, venait surtout de la cruelle déception que lui infligeait Holland. Elle mourait d’envie de le reprendre et c’était tout juste s’il semblait s’apercevoir de sa présence. Marie avait beau parader avec ses nombreux soupirants – elle en traînait toujours une kyrielle derrière elle ! – Holland, lorsqu’il consentait à la remarquer, se contentait d’un salut, un rien désinvolte, et passait son chemin pour rejoindre, soit Lady Olivia, soit la Reine qui lui montrait une telle bienveillance que Marie se demanda sérieusement si elle n’était pas amoureuse de lui.

Cependant, en Angleterre, le pouvoir royal commençait à s’affaiblir. Grâce à l’habile politique économique de Stafford, Charles depuis neuf ans avait renvoyé le Parlement et gouvernait seul en monarque absolu. En même temps, sous l’influence de sa femme, il se montrait de plus en plus tolérant pour le catholicisme dont l’Eglise anglicane elle-même semblait se rapprocher sous l’impulsion de l’archevêque Laud. En 1637, l’année précédant l’arrivée de Marie, Laud – donc le Roi – chercha à imposer à l’Ecosse une nouvelle liturgie, fondée sur un livre de prières commun à tous, qui souleva une première révolte dans la cathédrale d’Edimbourg et entraîna le regroupement des presbytériens qui étaient en majorité en Ecosse. Ce fut la première de ce qu’on appellerait les « guerres presbytériennes ». Il fallut prendre les armes et, pour obtenir l’argent nécessaire, Charles Ier rappela le Parlement…

On n’en était pas encore là quand une nouvelle en forme de bombe atterrit à Londres : le dimanche 5 septembre, un peu avant midi, au château de Saint-Germain, Anne d’Autriche après un travail de douze heures… et vingt-trois ans de mariage, avait donné le jour à un beau petit garçon « vif et bien membré » qui reçut les prénoms de Louis-Dieudonné… Le tout en présence de Monsieur qui voyait s’écrouler ses espérances. Le royaume explosa de joie et, en Angleterre, les souverains adressèrent des félicitations chaleureuses. Marie envoya les siennes avec l’espoir que l’heureux événement lui vaudrait son retour immédiat. Ce fut encore le Cardinal qui lui répondit et il ne mâchait pas ses mots : Madame de Chevreuse pourrait revenir en France à une simple condition : qu’elle reconnût ses fautes, singulièrement ses incessants contacts avec la Lorraine. Hors de là, point de salut. Si elle voulait que le Roi lui accorde son pardon, elle devait d’abord donner des gages de son repentir et de sa sincérité.

Cette lettre mit Marie hors d’elle. Elle répondit que n’ayant commis que des fautes imaginaires elle n’avait pas à en demander pardon et ce fut, entre elle et Richelieu, le début d’une correspondance qui ressemblait à un dialogue de sourds : en effet, plus on lui refusait et plus Marie demandait Avec son époux, les choses n’allaient pas mieux : il n’acceptait toujours pas de lui envoyer ce qu’elle réclamait parce que à présent, il avait toutes ses filles à sa charge depuis la mort de sa sœur, l’Abbesse de Jouarre chez qui les jeunes Luynes et Chevreuse étaient élevées. Or, il avait espéré que l’on donnerait la survivance de l’abbaye à Anne-Marie de Luynes qui, d’ailleurs, y était toute préparée, mais, par mesure d’hostilité envers Marie, on renvoya les quatre filles à Dampierre.