Il tenta de la convaincre de rester à La Terne, assurant qu’il saurait la protéger, mais elle refusa :
— Oubliez-vous que vous êtes exilé ? Ce serait vous mettre en danger, vous et les vôtres, et, ainsi, reconnaître bien mal le secours que vous m’apportez de façon si spontanée…
— J’aimerais tellement faire davantage ! Je vous aime, Marie…
— Cela aussi il faudra l’oublier car, en vérité, je ne sais quand nous nous reverrons… ou si nous nous reverrons.
— Je veux le croire ! Ne plus contempler votre sourire, vos yeux si beaux, serait ôter à la vie une partie de son charme !
Il fallait cependant songer à repartir : la frontière espagnole était encore loin. En outre, l’itinéraire et les recommandations de Monseigneur d’Eschaux allaient faire cruellement défaut.
— D’autant, dit François, que vous pénétrez à présent en terre de langue d’oc. Ni vous ni votre domestique ne la parlez mais Potet, vous vous en souvenez peut-être, est né près de Bayonne. Il ne demandera pas mieux que de vous accompagner, avec mon valet de chambre Thuilin qui mènera la voiture. En outre, je peux vous conseiller quelques points de chute : à Condour, par exemple, chez un de mes obligés, puis, quand vous serez en Périgord, au château de Cahuzac qui est à nous et où, sur une lettre que je vais vous donner, notre intendant Malbati se mettra à votre service. Mieux vaut, selon moi, éviter le Pays basque et voyager sous l’apparence d’un jeune seigneur désireux d’aller soigner une blessure reçue en duel aux eaux de Bagnères…
— François ! murmura Marie émue. Je vivrais cent ans que je n’oublierais pas ce que vous faites pour moi…
— Si c’était moi le fugitif, agiriez-vous autrement ? En échange promettez-moi de m’écrire ! Je veux savoir ce qu’il advient de vous !
— Je vous le jure… mais seulement lorsque je serai hors du royaume. Ce qui sera bientôt, j’espère…
Au matin, Marie quittait La Terne avec au cœur un pincement. Durant quelques heures elle avait retrouvé ce bien merveilleux : la protection d’un homme, sa chaleur, son amour. Que c’était donc difficile de s’en écarter, à un moment où elle avait l’impression d’être abandonnée du monde entier, mais il eût été ingrat de ne pas reconnaître l’aide apportée en se faisant prendre sur ses terres avec toutes les conséquence qui en découleraient.
Arrivée en Périgord, qui était à cette époque huguenot, elle renvoya le carrosse dont elle n’avait plus besoin, étant suffisamment remise pour continuer à cheval. Seul Potet resta avec elle et Peran. À Cahuzac, ainsi que l’avait indiqué François, elle alla demander une chambre à l’intendant Malbati. C’était un homme d’une soixantaine d’années avec une bonne figure ronde et un embonpoint faisant honneur à la cuisine de Madame Malbati son épouse. Après avoir lu la lettre du prince de Marcillac, il invita le « jeune gentilhomme » à passer à table. Marie alors lui raconta que s’étant battue en duel, ce qui lui valait d’être recherchée et de voyager sous un nom d’emprunt, elle allait soigner à Bagnères la blessure reçue à cette occasion.
— Magnifique ! s’écria le bonhomme. Je dois moi-même me rendre prochainement près de là pour accomplir un vœu fait à Notre-Dame de Garaison…
— Prochainement ? Mais quand ?
— Dans une semaine…
— Quel dommage ! Ne pourriez-vous avancer votre voyage ? Ainsi nous ferions route ensemble ?
Elle fit tant et si bien que le bonhomme, fasciné, décida de l’accompagner, encouragé par sa femme qui trouvait charmant ce jeune seigneur de si haute mine. Comme il connaissait bien le chemin – et la langue du pays –, Marie put renvoyer Potet avec quelques pièces d’or. Ce ne fut pas sans peine que celui-ci se sépara de son ancienne patronne et elle fut obligée de couper court à une désolation qui risquait de compromettre son incognito.
On partit donc mais, à mesure que l’on avançait vers le sud, Malbati se sentait de plus en plus intrigué par son jeune compagnon. Outre la beauté que le teint ocré ne parvenait pas à dissimuler, il lui trouvait une grâce inhabituelle chez un garçon. Aussi s’efforça-t-il de poser des questions qu’il croyait fines mais que Marie n’avait aucune peine à éluder.
Un soir, comme on arrivait à l’étape, il remarqua une tache de sang sur la selle du « jeune seigneur » :
— Qu’est-ce donc ? fit-il en la regardant dans les yeux.
Elle ne broncha pas :
— Il faut, dit-elle, que ma blessure se soit rouverte !
— Vous êtes blessé… là ?
— On est blessé où l’on peut, mille tonnerres ! riposta-t-elle avec humeur puis, comme il continuait à la regarder fixement elle ajouta : Je suis blessé au ventre, cela a coulé, voilà tout !
— Voulez-vous que je vous panse ? J’ai en médecine des lumières…
— Merci mais c’est inutile. Peran mon serviteur sait ce qu’il faut faire.
Malbati n’insista pas mais il n’était pas satisfait. Un autre jour, il s’enhardit jusqu’à demander de lui dire son « véritable » nom, ajoutant qu’il avait dans l’idée qu’elle pourrait être une femme déguisée.
— Qu’allez-vous chercher ? fit-elle avec impatience. Puisqu’il faut l’avouer, je suis le duc d’Enghien, le fils du prince de Condé. Ce qui vous explique mon visage imberbe…
Toujours pas convaincu, le Malbati, même s’il se mit à lui donner du « Monseigneur » long comme le bras, ce qui agaça prodigieusement Marie. Elle finit par le lui interdire en spécifiant qu’elle entendait préserver son secret et qu’en agissant ainsi il la mettait en danger. Il se le tint pour dit mais ses soupçons se confirmaient, surtout après qu’une servante d’auberge qui avait regardé Marie dormir sur un banc se fut extasiée sur sa beauté :
— Le plus beau garçon que j’aie jamais vu ! Même une femme serait heureuse d’être faite comme lui.
Cela devint une obsession, surtout quand, un beau matin, le pauvre s’aperçut qu’il était bel et bien en train de tomber amoureux de « Monseigneur » ! Lui, un homme véritable qui n’avait jamais servi que les dames ! Un soir où il avait un peu trop bu, il se mit à pleurer, confessant du même coup à Marie ses doutes, son tourment.., et son amour. Elle vint s’asseoir près de lui et prit sa main dans la sienne.
— Si vous me promettez d’être raisonnable, de mon côté, je vous promets de vous dire la vérité le jour où nous nous séparerons…
— La… vraie… vérité ?
— La vraie ! Sur mon honneur ! En attendant rassurez-vous ! Vos goûts sont toujours conformes à la nature !
Au sourire béat qu’il lui offrit, elle sentit qu’elle lui avait ôté un grand poids et leurs relations se firent plus faciles. Persuadé cette fois qu’il avait affaire à une dame, Malbati qui, auparavant, truffait son langage de formules plutôt crues telles qu’en employaient volontiers les hommes entre eux, prit soin de ménager les oreilles délicates d’un « compagnon » qu’il ne savait plus du tout comment appeler !
Enfin les voyageurs atteignirent les bords de l’Adour et, à l’entrée de la vallée de Campan, le gros bourg de Bagnères, cerné de collines et de forêts. Les eaux et les bains étaient célèbres depuis les Romains. C’était un lieu prospère, bien pourvu en auberges et où il y avait du monde en permanence. On trouva néanmoins à se loger dans la meilleure hostellerie, proche de la maison des bains. Malbati s’en alla faire son pèlerinage et Marie promit de l’attendre. Elle n’y avait aucun mérite : il lui fallait à présent se trouver un guide pour franchir les Pyrénées.
Le lendemain, après une bonne nuit de sommeil, elle sortait de l’auberge d’un pas vif dans l’intention de faire une promenade au bord du fleuve quand elle heurta rudement de l’épaule un homme qui s’apprêtait à entrer. Celui-ci poussa un cri de douleur.
— Quel fichu maladroit ! Vous ne pouvez pas regarder où vous allez ? s’écria-t-il.
Celui que Marie venait d’agresser si involontairement était vêtu avec une élégance sobre annonçant un personnage de qualité et la Duchesse, fort ennuyée car elle ne se voyait pas avec un duel sur le dos, voulut s’excuser :
— Croyez, Monsieur, à tous mes regrets ! Je ne l’ai pas fait exprès..
— Il ne manquerait plus que cela…
Et soudain, tous deux s’immobilisèrent, face à face, figés par la surprise :
— Mon Dieu ! souffla l’inconnu, mais vous êtes…
Il n’alla pas plus loin. Marie, d’ailleurs, le reconnaissait au même instant :
— Aramitz ! Que faites-vous ici ?
Mais déjà, il l’avait saisie par le bras pour rebrousser chemin avec elle et l’entraîner sous les arbres de la promenade tracée au bord de l’Adour.
— C’est à vous qu’il faudrait le demander. Moi je suis venu soigner les suites d’une balle de mousquet reçue en Picardie.
— Si loin alors que…
— Vous oubliez que je suis de ce pays. Ma terre, près d’Oloron, n’est qu’à une vingtaine de lieues… à vol d’oiseau. Je m’y suis retiré après ma blessure qui ne me permet plus guère de tirer l’épée. J’ai vu là un signe de Dieu et dès mon entière guérison je rejoindrai l’Eglise. Mais je parle de moi, ce qui est indigne alors qu’il ne devrait être question que de vous. J’ai appris votre exil.
— Cette fois, c’est plus grave. La Reine m’a fait savoir que je devais prendre la fuite. C’est pourquoi vous me voyez attifée de la sorte…
— Cela vous va à ravir ! Moins éclatante sans doute que dans vos superbes atours mais bien charmante tout de même ! Le plus joli garçon qui se puisse ! Et vous n’imaginez pas à quel point je suis heureux de vous voir ! Si souvent j’ai pensé à vous ! Surtout depuis notre aventure pour sauver le pauvre Malleville…
— Auriez-vous de ses nouvelles ? reprit Marie en effaçant son sourire. Il s’est enfui de Lésigny sans prévenir personne.
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