Naturellement, Claude ne paya pas un sol, continua d’habiter rue Saint-Thomas-du-Louvre et, quand les créanciers se présentèrent, il les envoya tout simplement à Couzières. Heureusement pour Marie, le cher Archevêque restait indéfectiblement prêt à lui venir en aide. Comment refuser à de si beaux yeux quand les larmes les font scintiller ?
Pendant ce temps à Paris, Louis XIII vivait un immense déchirement : Louise de La Fayette, se jugeant incapable de résister plus longtemps à son amour pour lui ainsi qu’aux instances feutrées du Cardinal, choisissait de se retirer au couvent. Le 19 mars 1637, elle faisait ses adieux au Roi, puis à la Reine, enfin à toute une Cour pour une fois saisie d’émotion… Avant de partir, elle était rentrée dans sa chambre du Louvre pour y achever ses préparatifs quand, de la fenêtre, elle vit Louis monter en carrosse et quitter le palais à bride abattue : il courait réfugier sa douleur à Versailles. Sa douleur et sa résignation :
« Il est vrai qu’elle m’est bien chère, avait-il écrit peu de temps auparavant, mais si Dieu l’appelle en religion, je n’y mettrai point d’empêchement… » De son côté, la jeune fille le regarda s’éloigner en pleurant :
— Hélas ! Je ne le reverrai jamais…
Elle le reverrait au contraire souvent, mais derrière les grilles d’un parloir de couvent. Celui de la Visitation-Sainte-Marie, rue Saint-Antoine[18]. En attendant, ils étaient définitivement séparés et le chagrin du Roi le rendait plus irritable, plus méfiant aussi envers « sa famille ». Entre la Reine et lui, une sorte de mur de glace s’élevait Louis savait que sa femme donnait de ses nouvelles à ses frères et en recevait d’eux, mais il n’imaginait pas que cet échange de courrier dépassât le plan familial. Comment aurait-il pu supposer qu’elle osât révéler en même temps la totalité de ce qu’elle pouvait apprendre : les noms des agents secrets, les plans de défense, l’état des négociations en cours avec les Etats extérieurs ? Et qu’au Val-de-Grâce, elle se livrait à une tout autre activité que la prière ?
Richelieu, lui, s’en doutait. Ses espions lui rapportaient des bribes d’informations, sans réussir cependant à trouver une preuve formelle. Ce qui n’empêchait pas les bruits de répudiation de se répandre et l’atmosphère du Louvre de se charger. Naturellement, le Cardinal n’avait garde d’oublier « la » Chevreuse mais le réseau était assez habilement monté pour qu’on ne pût concrétiser les soupçons. C’est alors qu’un premier coup de chance arriva : un billet confié par La Porte à un messager qu’il croyait sûr fut intercepté. Il était de la main de la Reine et conseillait à Madame de Chevreuse de ne point venir déguisée ainsi qu’elle l’avait proposé, le moment paraissant mal choisi.
C’était sans doute insuffisant pour frapper : il ne s’agissait après tout que d’une sorte de mascarade, tout à fait dans le style de la Duchesse et comme aimaient à en concocter des amies séparées. Cependant, cela donnait une indication précise : c’était La Porte la cheville ouvrière des relations entre la Reine et la Duchesse. On le surveilla davantage.
Le 10 août. La Porte à qui la Reine avait confié une lettre pour Madame de Chevreuse se rendait chez l’un de leurs « fidèles », un certain La Thibaudière qui devait partir pour Tours. Or, il le rencontra dans la cour du Louvre et voulut lui donner la lettre mais l’autre lui conseilla de la garder encore un peu, son départ étant retardé de vingt-quatre heures. La Porte remit donc la missive dans son pourpoint pour l’y conserver jusqu’au lendemain. Mais, ce soir-là, il devait se rendre dans le quartier Saint-Eustache, envoyé par Anne d’Autriche afin de prendre des nouvelles de son Capitaine des Gardes Monsieur de Guitaut qui avait reçu une balle dans la cuisse.
Vers dix heures, le fidèle portemanteau sortait de chez le blessé et, pour rentrer chez lui, emprunta le coin de la rue des Vieux-Augustins et de la rue Coquillière entre un mur et un carrosse qui tenait les trois quarts de l’espace. Tout se déroula très vite : attaqué par-derrière, saisi en même temps aux jambes, La Porte fut jeté dans le carrosse qui démarra à fond de train et ne s’arrêta que… dans la cour de la Bastille. Durant le trajet le malheureux croyait avoir affaire à des malandrins plus ou moins stipendiés, mais quand on le descendit du véhicule, qu’il put voir où il était, force lui fut de constater qu’il se trouvait au milieu d’un peloton de Mousquetaires et que c’étaient deux d’entre eux qui l’avaient enlevé. Les Mousquetaires, cela voulait dire le Roi, et La Porte se sentit perdu mais c’était un homme courageux : il décida de se battre.
Naturellement, on le fouilla, on trouva la lettre, après quoi on l’enferma dans un cachot qu’il partagea avec un soldat chargé de le garder. Pendant ce temps on perquisitionnait dans sa chambre de l’hôtel de Chevreuse mais on ne trouva rien : les codes, les encres, le chiffre de la Reine étaient au fond d’une cachette qu’il avait creusée dans un mur.
Le lendemain, le chancelier Séguier, Garde des Sceaux, se rendait au Val-de-Grâce en compagnie de l’Evêque de Paris Monseigneur de Gondi, investissait le couvent, fouillait le pavillon de la Reine et soumettait la Mère de Saint-Etienne à un interrogatoire en règle, toutes opérations qui ne donnèrent pas grand-chose : quelques lettres de Madame de Chevreuse ou d’amis mal appréciés du Roi mais rien qui eût trait à l’Espagne. En fait Monseigneur de Gondi, fort ami des Vendôme et peu suspect de tendresse envers le Cardinal, avait prévenu la Supérieure qui avait fait le ménage. Ce qui n’empêcha pas qu’on l’envoyât dans un autre couvent avec trois de ses moniales.
Tout cela fit du bruit et, à Chantilly où elle s’était résignée à rejoindre son époux qui le lui avait déjà ordonné par deux fois, la Reine vivait dans les transes… et dans un isolement qui semblait s’amplifier d’heure en heure – les courtisans prenant toujours soin de respecter le sens du vent – et qui mettait Marie de Hautefort en fureur. La jeune fille était plus que jamais décidée à défendre sa souveraine bec et ongles. Elle en offrit une belle démonstration quand le chancelier Séguier vint au château interroger la Reine par ordre du Roi. Couvert de son mépris, Séguier eut toutes les peines du monde à obtenir qu’elle le laisse parler. Il prétendait obliger Anne à reconnaître sa collusion avec le marquis de Mirabel. C’est alors que celle-ci commit une lourde faute :
— Je n’ai jamais écrit à Monsieur de Mirabel depuis qu’il a été renvoyé de France, assura-t-elle avec hauteur.
Sans s’émouvoir, le Chancelier tendit la main vers le greffier qui l’accompagnait. Celui-ci lui remit un papier plié.
— Qu’est-ce alors que ce billet, de votre main et adressé au marquis de Mirabel ? Ce qu’il contient n’est pas vraiment de nature à apaiser la colère du Roi.
Soudain épouvantée, la Reine fit une folie. Elle arracha vivement la lettre et la fourra dans son décolleté. Séguier lui demanda de le rendre, ajoutant qu’il avait tout pouvoir pour fouiller l’appartement royal… et jusqu’à la personne de la souveraine. Sous la honte celle-ci défaillit, cependant que Hautefort hors d’elle se jetait sur le Chancelier toutes griffes dehors. Par malheur elle ne réussit pas à l’empêcher de récupérer le billet.,. là où il était mais ensuite appela la Garde pour le faire sortir.
À la suite de cette scène affreuse, Anne quasi inconsciente resta au fond de son lit, gardée par sa dame d’atour et quelques femmes dévouées, tandis que Monsieur de Guitaut, suffisamment rétabli, interdisait l’entrée de ses appartements. Il n’eut d’ailleurs pas beaucoup de mal à se donner : on fuyait les chambres de la Reine comme si elle avait la peste.
Aussitôt après, Séguier se faisait tancer d’importance par le Cardinal :
— Vous avez osé porter la main sur la reine de France ? Mais vous êtes devenu fou ? Pour cette insulte dont l’Espagne pourrait nous demander un compte sanglant je devrais vous faire sauter la tête. D’autant que votre billet n’était qu’un faux imitant son écriture… et c’est moi qui, à présent, vais devoir réparer votre sottise !
Il pria, en effet, le Roi de lui permettre d’aller s’entretenir en personne avec son épouse qui vivait pratiquement recluse dans ses appartements. À l’exception de la messe du 15 août, fête de l’Assomption de la Vierge, où elle apparut aux côtés de son époux, plus belle que jamais et sereine, en apparence tout au moins car son angoisse ne cessait de grandir. Elle savait La Porte embastillé et tremblait de peur à l’idée de ce qu’il pourrait dire. Le bruit courait qu’il faisait bonne contenance face à ses interrogatoires, défendant sans faiblir l’innocence de la Reine, même en présence des instruments de torture que l’on se borna en fait à lui montrer. Sans obtenir autre chose qu’un haussement d’épaules dédaigneux.
Ce jour-là, Marie de Hautefort décida d’agir. Sous le prétexte d’aller distribuer dans les couvents les aumônes traditionnelles de la Reine le jour de l’Assomption, elle partit pour Paris, se rendit chez une de ses amies, Madame de Villarceaux, qui avait le privilège de pouvoir visiter son cousin, le commandeur de Jars, alors détenu à la Bastille depuis la Journée des Dupes. Celle-ci y alla dès le lendemain, accompagnée d’une servante portant un panier de douceurs. La servante, c’était l’Aurore affublée d’une perruque brune et grimée. Elle put remettre au Commandeur une lettre de la Reine pour La Porte contenant ses instructions sur ce que savaient ou ne savaient pas ses persécuteurs, sur ce qu’il convenait d’avouer ou de ne pas avouer. L’opération pleinement réussie, la belle Hautefort regagna Chantilly où elle apporta un peu d’apaisement.
Le lendemain, le Cardinal se rendait chez la Reine ainsi qu’il l’avait annoncé. Face à lui, celle-ci commença, assez sottement, par protester de sa parfaite innocence et, dans son affolement, jura sur le Saint-Sacrement qu’on la soupçonnait à tort. Mais elle avait affaire à trop forte partie. Doucement, patiemment, il fit tomber une à une toutes ses défenses jusqu’à ce qu’elle finisse par avouer qu’elle avait écrit à ses frères, bien sûr, mais aussi à Mirabel « qui lui avait toujours montré respectueuse amitié et dévouement ».
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