Il roula lourdement pendant des minutes qui parurent un siècle à la prisonnière qui maintenant ne pouvait plus rien voir. On avait jeté sur elle quelques-uns de ces sacs de toile dont on se servait pour transporter le charbon. Pendant le trajet, elle s’efforça de mettre de l’ordre dans ses pensées, de comprendre ce qui lui arrivait : pourquoi donc cette femme qui avait su si bien se frayer un chemin dans son amitié cependant difficile à gagner, cette femme dont le nom était venu jusqu’à elle dans ce naguère qui lui semblait à présent si lointain, cette femme à qui elle n’avait jamais nui venait-elle s’en prendre à elle avec une telle haine ? Quelle rancune entendait-elle lui faire payer ?
On s’arrêta enfin devant une cabane faite de rondins et de terre battue qui devait être celle d’un charbonnier puisque, non loin de là, au bord d’une petite rivière, s’élevait la « meule » conique servant à la lente combustion du bois. On sortit Marie de son chariot pour la transporter à l’intérieur de la cahute et elle eut le temps de voir au dessus de sa tête les branches vertes qui se détachaient sur un beau ciel bleu où des oiseaux chantaient. On était en train de la retrancher de ce paradis pour l’enfoncer dans les ténèbres de l’angoisse.
L’endroit était fort succinctement meublé : une table, un escabeau grossiers, une paillasse nantie d’une couverture sur laquelle on ne lui fit même pas l’honneur de l’étendre : on la déposa à même le sol en terre battue, adossée à une paroi de façon qu’elle pût contempler un dernier meuble, le plus étrange et le plus effrayant qui fût : un gros billot sur lequel était posée une doloire de tonnelier…
Terrifiée, Marie sentit ses cheveux se dresser sur sa tête. Son regard dilaté chercha celui de ses gardiens, des hommes de mauvaise mine comme on en trouve dans les bas-fonds des villes. À son interrogation muette, ils répondirent en ricanant. L’un d’eux cependant lui jeta :
— Eh oui, la belle, c’est pour toi ! Une surprise qu’on t’a réservée…
Il s’empara de l’outil sur le tronçon de bois et le lui mit sous le nez tout en passant son doigt sur le fil :
— Tu vois, on a oublié de l’affûter alors ça va durer un moment pour séparer ta jolie tête de ton corps…
— Tais-toi donc ! grogna l’autre. On t’a pas chargé de lui faire un discours. La patronne veut qu’on se taise ! Vaut mieux lui obéir…
Le comparse renonça avec un haussement d’épaules, reposa la lame à sa place et voulut sortir. De nouveau son compagnon s’interposa :
— On doit rester là tous les deux à la surveiller. Les autres suffisent pour garder les abords. Ce sont les ordres, sacredieu ! Si tu n’obéis pas, je t’abats, ajouta-t-il en tirant un pistolet de sa ceinture.
Grognant comme un chien hargneux, le personnage alla s’asseoir sur l’escabeau juste en face de Marie qu’il se mit à détailler sans plus rien dire. Au bout d’un moment, cependant, il se leva, vint s’accroupir près d’elle et prit ses seins dans ses mains :
— Dis donc ! C’est un friand morceau !… Ça me tenterait d’y goûter. Toi aussi peut-être ? On devrait avoir le temps !
Ses doigts malaxaient brutalement la gorge de Marie qui poussa un cri de douleur étouffé par le bâillon. C’était bien la première fois que le contact d’un homme lui donnait envie de vomir. L’autre, d’ailleurs, obligeait son acolyte à lâcher prise avec un soupir excédé :
— Vas-tu te tenir tranquille ? On n’a pas le droit d’y toucher, tu devrais le savoir !
— Ouais, je sais… mais c’est du gâchis ! Elle sent bon et sa peau est douce comme du satin ! J’ai sacrément envie d’elle ! ajouta-t-il avec une grimace.
— Pense à autre chose ! Quand la patronne reviendra, elle sera peut-être d’accord pour nous la laisser un moment avant de la trucider. Il paraît que c’est une chaude garce et j’avoue que moi aussi…
L’assaillant de Marie retourna s’asseoir et la jeune femme ferma les yeux pour au moins ne plus voir ces faces congestionnées qui lui faisaient horreur… et qu’elle eût été cependant d’accord pour satisfaire s’il y avait eu la moindre chance d’en obtenir sa fuite, mais elle ne pouvait même pas articuler une parole. En outre, une peur affreuse s’était emparée d’elle à la vue de l’appareil du supplice qu’on lui réservait, tellement semblable à celui qui avait fait périr Chalais qu’il était à présent impossible de douter d’où venait le coup. Aucune attaque contre elle ne s’étant produite depuis longtemps en dépit des menaces reçues, elle avait fini par n’y plus penser. Ignorant à qui elle avait affaire au juste, elle en était venue à croire qu’un événement inattendu avait détourné ses ennemis de leurs desseins : duel, guerre ou Dieu sait quoi, la mort, à cette époque-là, n’étant jamais bien loin…
Le temps qui coula lui parut interminable, même si elle souhaitait follement qu’il retînt sa course. Les ombres devinrent plus denses dans la cabane. Enfin, le pas d’un cheval se fit entendre et ses gardiens, qui s’étaient trouvé une distraction en jouant aux dés, se levèrent quand la porte s’ouvrit sous la main de la Présidente. Elle était suivie d’un homme dont le manteau noir recouvrait un justaucorps de cuir rouge assorti à la cagoule qui emprisonnait sa grosse tête : un bourreau !
Marie comprit que sa dernière heure était arrivée et fit un violent effort pour dompter sa peur. À ce moment elle se rappela la route du Verger et avec quelle crânerie elle avait alors attendu le coup fatal. Il est vrai que celui-là aurait dû lui être appliqué avec une épée… et non par cette abomination qui allait la déchiqueter, ce qui changeait les choses, mais c’était l’heure ou jamais de montrer sa vaillance ! Cette misérable femme ne la verrait ni pleurer ni trembler. Elle redressa la tête aussi haut qu’il lui était possible. Madame de Mareuil, debout devant elle, la contemplait avec une joie mauvaise. Elle lui arracha son bâillon :
— Enfin ! gronda-t-elle. Enfin je t’ai amenée à cette extrémité dont je rêvais ! Tu vas mourir comme lui, de cette mort innommable qu’il te devait…
— Je n’y suis pour rien ! Ce n’est pas moi qui ai fait enlever le bourreau de Nantes. C’est Monsieur et il a cru agir au mieux. Nous espérions que cela nous donnerait le temps de le faire évader !
— Nous ? Pas toi ! Tu vivais dans les jupes de la Reine à l’abri des mauvais coups…
— Oh ! je ne vais pas en discuter avec vous, s’insurgea Marie. Et je vous prierai de ne pas me tutoyer : je suis duchesse de Chevreuse, princesse en Lorraine, et vous n’êtes à tout prendre que l’épouse d’un robin ! Et d’abord, en quoi la mort de Chalais vous touche-t-elle ? Vous n’êtes pas, que je sache, de sa famille ?
— Il était mon amant avant que « tu » ne l’englues dans tes pièges, et nous étions heureux ensemble. Tu me l’as pris, maudite Duchesse, et pour en faire un cadavre misérable… Sa belle tête…
— En voilà assez ! trancha Marie qui en face de la mort, si affreuse soit-elle, retrouvait son courage. Je sais mieux que vous à quoi elle ressemblait, sa tête ! Celle d’un écervelé qui voulait jouer sur tous les tableaux et il s’est perdu lui-même !
— C’est trop facile en vérité d’accuser un mort !
— Je ne dis que le vrai ! Au fait, puisque vous l’aimiez à ce point, comment se fait-il que vous ayez attendu si longtemps pour perpétrer votre vengeance ?
— Il a fallu que je sois certaine de l’incapacité des hommes de la famille à l’accomplir. Chaque fois qu’ils ont voulu s’en prendre à toi, ils ont dû renoncer parce que tu étais trop bien protégée.
— Chaque fois ? Je n’en ai connu qu’une, sur la route du château du Verger. Il y en aurait eu d’autres ?
— Trois ! L’une près de Saint-Dizier quand tu es revenue de Lorraine, la deuxième sur la route de Saint-Germain quand tu allais rejoindre la Reine, la troisième dans Paris même. Toutes ont échoué.
C’est à croire, ajouta Madame de Mareuil, que tu es protégée par le Diable !
— Rien que cela ! Et pourquoi pas par la maladresse de ces gens ? N’ayant aucun rapport avec messire Satan, je ne vois pas qui pourrait veiller aussi attentivement sur moi !
— Mais ton ami le Cardinal ? Il a le bras tellement long !
— Ce n’est pas mon ami et je le hais ! Et vous oubliez un peu vite qu’il m’a exilée.
— C’est le fait du Roi et non le sien !
— Comme si le Roi ne suivait pas en aveugle les directives de son Ministre ? La meilleure preuve en est que vous avez pu m’enlever sans que nul s’y oppose, soupira Marie.
— Parce qu’il ne viendrait à l’idée de personne de me soupçonner, moi, une veuve inattaquable…
— Ah ? Et ce cher Aramitz ? Ne serait-il qu’une vue de l’esprit ? Sans compter ce pauvre Chalais…
— L’important est qu’on le croie et c’est la raison pour laquelle, lasse d’attendre ta fin, j’ai décidé de m’en charger. Allez, vous autres ! Préparez-la pour l’exécution !
Les deux gardiens de Marie la relevèrent et celui qui l’avait défendue des entreprises de son confrère ouvrit le haut de sa robe pour la rabattre sous ses épaules. À ce spectacle, son compagnon n’y tint plus :
— Madame, avant de la tuer laissez-la-nous un moment ! C’est pas souvent qu’on a une occasion pareille ! Elle est bougrement gironde ! Un vrai morceau de Roi !
— Pourtant il n’en a pas voulu, reprit la Présidente qui poursuivit avec un haussement d’épaules dédaigneux et son méchant sourire : Après tout je n’y vois pas d’inconvénient. Elle n’a pas d’amant actuellement : au moins aura-t-elle encore un peu de plaisir avant de mourir ! Prends-la, mon garçon, j’y consens et ton camarade aura sa part ensuite. Toi aussi, bourreau, si elle te tente ?
L’homme à la cagoule refusa d’un geste. Cependant, le bandit n’avait pas perdu une seconde : délier les jambes de Marie, retrousser ses jupes et la soumettre s’était fait en un éclair. Il puait la crasse, la sueur et le mauvais vin, et Marie sentit son cœur se soulever. Quand il s’arracha de son corps, elle se tourna de côté et vomit…
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