— Comment Louis ose-t-il, laissa-t-elle échapper, se pavaner sur les domaines de sa victime après l’avoir tuée avec tant d’impitoyable cruauté ?

— Cela vous étonne ? fit Madame de Mareuil. Les dépouilles des malheureux qui meurent sur les échafauds n’appartiennent-elles pas de droit au bourreau ?

Trop émue pour parler, Marie se contenta de serrer fortement la main de Françoise. Ce trait les rapprochait encore et elle crut comprendre que celle-ci partageait entièrement ses vues sur le souverain et son Ministre. Surtout quand elle l’entendit poursuivre :

— La Reine s’est jusqu’à présent refusée de s’y rendre en prenant divers prétextes. Le souvenir douloureux qui s’attache à cette confiscation ajoute à ses tourments. Heureusement que Madame de Hautefort est auprès d’elle sans discontinuer. Elle s’est faite son rempart et son défenseur…

— Le Roi est-il toujours épris d’elle ?

— Oh ! plus que jamais et cela en dépit de son insolence. Lorsque je suis partie on commentait, sans retenue, un incident que je trouve, moi, plutôt amusant : un soir en entrant chez la Reine, le Roi la surprit en train de lire un billet en compagnie de Hautefort. Soupçonneux à son habitude, il demanda à lire ce billet. Un peu gênée, Sa Majesté allait le lui donner quand la belle Marie l’intercepta et le glissa bien apparent dans son décolleté, juste entre ses seins et, en riant, mit le Roi au défi de venir l’y prendre. Gros embarras de notre Sire qui resta un instant décontenancé, n’osant s’aventurer dans un pays aussi tentant. C’est alors qu’il s’avisa d’aller prendre les pincettes près de la cheminée et les approcha de la gorge ravissante qui le narguait. Hautefort, comme on le pense, ne le laissa pas faire : elle jeta le papier à ses pieds en lui tournant le dos. À la suite de cela il s’entretint avec elle longuement et tout le monde put voir qu’il essayait de se faire pardonner…

— La mâtine ! s’écria Marie enchantée. Elle est vraiment forte !

— Mais le restera-t-elle ? Lors de mon départ, une nouvelle fille d’honneur venait d’être donnée à Sa Majesté… sur l’impulsion du Cardinal, ce qui fait qu’elle n’est pas très bien venue. Charmante au demeurant, et même fort jolie, mais tout le contraire de l’Aurore : douce, timide… Or, on m’a dit que le Roi l’avait regardée plusieurs fois…

— Ah ! comme je vous envie ! Vous ne sauriez croire à quel point je m’ennuie…

— Le pays est pourtant agréable et l’on y donne de jolies fêtes…

— Mais ce n’est… et ce ne sera jamais la Cour ! C’est cet air-là qui me manque…

— Je serais volontiers de votre avis. Moi qui suis très attachée à cette région, je reconnais que les choses y sont différentes… et en particulier les hommes.

Décidément, la jolie Présidente plaisait de plus en plus à Marie. Sur le chemin des confidences, on en vint peu à peu aux plus intimes. C’est ainsi que Marie apprit que sa nouvelle amie était aussi celle d’Aramitz.

— Il fallait vraiment que je fusse obligée de venir pour accepter d’en être séparée pour un temps. Vous ne sauriez croire quel homme délicieux il est ! Et quel amant ! Tendre, galant, attentif, sachant tourner un compliment aussi bien qu’un sonnet. C’est grand dommage en vérité qu’il demeure si fermement attaché à son projet de se faire d’Eglise. Quoique…

— Eh bien ? demanda Marie, voyant Françoise hésiter au bord d’une idée.

— J’en suis venue à penser qu’il ferait un évêque magnifique. On se presserait à ses sermons et les femmes en raffoleraient Moi la première.

— Vous auriez certainement ses préférences… et un prélat a plus de loisirs qu’un simple Mousquetaire !

Tout en parlant, Marie se reprochait de ne pas avoir recherché le jeune homme avant que Malleville en fasse une nécessité. Depuis leur première rencontre, elle savait qu’il lui plaisait et lui-même ne lui avait pas caché son admiration. Une belle occasion manquée sans doute et qui ne se présenterait plus, les Mousquetaires étant attachés à ce Roi qui ne voulait plus entendre parler d’elle et qui entreprenait de descendre sur la Loire pour faire peser son mécontentement sur les fiefs de son frère. Monsieur, en effet, venait de négocier son retour en France : il s’ennuyait vraiment par trop aux Pays-Bas où l’on avait un peu tendance à le considérer comme un otage et, en outre, il s’était brouillé avec sa mère dont le caractère ne s’arrangeait pas.

Or, ce retour, Marie l’avait appris par l’entremise de la chère Présidente et s’en était sentie blessée : pourquoi donc, alors qu’elle était en correspondance avec la Reine, celle-ci ou Hautefort ne lui avaient-elles pas annoncé cette importante nouvelle ? Le courrier avec Paris s’était d’ailleurs fait plus rare ces derniers temps, ce dont, après les confidences de Françoise, Marie n’augurait rien de bon. Ne serait-on pas en train de l’oublier tout doucement au milieu de ces fêtes et réjouissances favorisées par la période faste et paisible – relativement ! – que vivait le pays depuis son départ ? Elle eut soudain la vision de ce que pourrait être sa vie, perdue au fond d’une province, fût-elle pleine de charme, si le nom de la duchesse de Chevreuse cessait d’occuper les esprits ? Allait-on la condamner à végéter dans l’obscurité, elle qui n’aimait que la lumière ?

Fine mouche, Françoise de Mareuil eut tôt fait de deviner ce qui se passait dans son esprit mais elle n’en montra rien, sachant que l’orgueil de la Duchesse s’insurgerait si elle s’avisait de la plaindre. Un jour, elle lui dit :

— C’est une excellente chose au fond que ce retour du duc d’Orléans. Il adore son duché et, pour ce que j’en sais, il ne va pas tarder à venir y séjourner avec la jeune Duchesse puisque leur mariage pourrait être enfin reconnu. Cela va mettre beaucoup d’animation par ici et vous devriez commencer peut-être quelques préparatifs à Couzières. Vous étiez grands amis, n’est-ce pas ?

— Sait-on jamais si l’on est ou non ami de Monsieur ? Il tourne à tous vents comme une girouette… bougonna Marie.

— Mais dites-moi, quelle humeur sombre ! Voyons, ma chère, pensez-y : vous pouvez être certaine qu’il viendra s’inviter chez vous… chez moi aussi d’ailleurs.

— Vous le connaissez si bien ?

— Je connais surtout Monsieur de Puylaurens son favori, si l’on peut employer ce terme, et comme il est rentré avec lui il ne manquera pas d’accourir chez moi. À ce propos, il faut que je me hâte d’achever les réparations. Puylaurens adore cette maison… Mais, j’y pense, vous ne la connaissez pas ?

— Vous ne m’avez jamais invitée !

— Parce que je voulais vous la montrer dans son éclat retrouvé mais, après tout, vous lui serez indulgente ! Et vos conseils pourraient m’être très précieux ! Vous avez tant de goût ! Nous pourrions y aller ce tantôt ? Ce n’est qu’à deux lieues à peine, la promenade est charmante et il fait si beau !

— Pourquoi pas ? Cela me distraira d’une humeur qui en effet n’est pas au mieux…

— Bravo ! Je viens vous prendre à trois heures.

À l’heure dite, la voiture de la Présidente s’arrêtait devant l’hôtel de La Massetière. C’était celle dont celle-ci se servait pour voyager, son carrosse d’apparat étant, de son aveu même, resté à Paris, un véhicule fait pour les longs chemins parcourus par tous les temps, c’est-à-dire muni d’épais mantelets de cuir prêts à occulter des fenêtres relativement étroites afin d’éviter au maximum les projections de poussière et de boue. Le ciel bleu et le soleil resplendissant protestaient contre l’emploi d’une machine aussi hermétiquement fermée, et Marie ne put s’empêcher de remarquer :

— Nous aurions pu aller à cheval !

— Sans doute mais ainsi que vous avez dû le remarquer, il y a un coffre amarré derrière : j’en profite pour porter là-bas des étoffes que l’on m’a livrées hier… Vous n’en êtes pas contrariée, j’espère ?

— Dans ce cas, pourquoi voulez-vous que cela me contrarie ?

Elle prit place sur les coussins de velours brun auprès de son amie. Le cocher fit siffler son fouet, les quatre chevaux s’élancèrent et l’on se dirigea vers le pont qui enjambait la Loire en bavardant de choses et d’autres. Et l’on roula de la sorte pendant une demi-heure environ. Absorbée par la conversation toujours pétillante de Françoise, Marie ne s’intéressait en rien au chemin. Soudain, après plusieurs cahots qui secouèrent la voiture, elle s’arrêta :

— Sommes-nous déjà arrivées ? demanda Marie en se tournant vers la portière, ce qui lui permit de voir que l’on était au milieu d’un bois. Mais elle n’eut pas le temps de s’en étonner :

— Provisoirement ! fit Madame de Mareuil d’une voix changée. Voulez-vous descendre, s’il vous plaît ?

Stupéfaite, Marie vit alors qu’elle braquait sur elle un pistolet et que le charmant visage d’il y a un instant s’était durci :

— Allons, vite !

En même temps, la portière s’ouvrait et deux hommes s’emparaient de Marie qu’ils tirèrent brutalement au-dehors en dépit de la défense qu’elle fournit d’instinct et de ses protestations. En peu de secondes, elle fut ligotée et bâillonnée. Ils étaient quatre à présent autour d’elle que l’on avait jetée à terre et ils formaient au-dessus d’elle comme une muraille menaçante qu’elle regarda avec effroi. Puis deux d’entre eux la saisirent, l’un par les épaules l’autre par les pieds, et allèrent la déposer sans douceur excessive dans un chariot de charbonnier qui attendait sous les arbres. L’opération s’était déroulée sans que quiconque profère la moindre parole. La Présidente, cependant, remontait dans sa voiture. Marie l’entendit recommander à ses sbires de faire bonne garde en ajoutant qu’elle les rejoindrait à la nuit tombée… Et ce fut seulement après que le carrosse se fut éloigné que son chariot se mit en marche.