Elle ne se formalisa pas, sachant qu’il avait dû tout entendre. Sa fidélité étant absolue, c’était toujours du temps de gagné :
— Rentrons ! dit-elle. Je te donnerai ce que tu voudras et tu pourras prendre les dispositions que tu jugeras nécessaires.
Ainsi qu’elle s’y attendait, Aramitz qui avait échangé sa casaque bleue et or contre des vêtements plus sobres patientait dans son cabinet en compagnie d’un assortiment de douceurs et d’un flacon de claret qu’Herminie lui avait servis avant de se poser sur un tabouret pour lui faire la conversation. Marie qui entrait suivie de Peran alla au-devant de sa question :
— Il ne nous reste que l’aventure, cher Baron ! Et une aventure qui doit être menée au lever du soleil. Mais peut-être vaut-il mieux que vous n’en soyez pas. Au cas où nous échouerions, votre tête serait en péril…
Sans rien laisser dans l’ombre, elle lui raconta ce qui venait de se passer et ce qu’elle comptait faire pour soustraire Gabriel à son sort fixé d’avance. Puis elle lui présenta Peran à qui elle remit une bourse emplie de pièces d’or qu’il fit disparaître dans sa vaste poche.
— Naturellement j’en suis ! déclara le Mousquetaire, et je peux vous assurer que nous serons plusieurs. S’il entre à la Bastille il n’en sortira que pour être exécuté. Or, un coup de main sur le chemin de la place de Grève serait hasardeux parce qu’il faudrait compter avec la foule et le déploiement des hommes du Prévôt. Accordons nos violons !
On ne disposait pas de beaucoup de temps et le conciliabule fut bref mais précis. Puis, pendant que le Mousquetaire et le cocher vaquaient à leurs préparatifs, Marie fit les siens avec une Herminie qui, pour rien au monde, n’eût cédé sa place.
Les coqs se répondaient dans les divers couvents répandus dans Paris quand la Duchesse, sous des habits d’homme, sortit de chez elle à cheval avec, en croupe, Herminie qui, sous une mante épaisse, cachait les cotillons et la coiffe d’une paysanne. Elles franchirent le Pont-Neuf pour gagner la rive gauche et remontèrent vers le Petit Châtelet et l’église Saint-Séverin à l’ombre de laquelle Peran déguisé en paysan lui aussi les attendait, assis à l’avant d’un solide chariot attelé d’un vigoureux cheval et chargé en apparence de choux recouvrant en réalité une épaisse couche de paille. Sans un mot, Herminie alla prendre place auprès de lui et l’attelage se mit en marche, suivi à courte distance par Marie dont l’aspect était celui d’un jeune bourgeois ou d’un notaire on ne peut plus paisible. En revanche, sa monture était l’un des meilleurs coureurs de son écurie mais elle savait le contraindre à une rassurante sagesse. Sous le chapeau à cuve qui emprisonnait sa chevelure, sa figure, méconnaissable, était enduite d’un mélange de brique finement pilée et de suie additionné d’un peu d’huile qui lui donnait une curieuse teinte bronzée.
On franchit ainsi l’île de la Cité et le Pont-au-Change que prolongeait, passé l’église Saint-Leufroy, le passage voûté ouvert sous le Grand Châtelet. Au-delà était la place que l’on appelait l’Apport Paris, où aboutissait la rue Saint-Denis et où un marché en plein vent se tenait régulièrement. En y arrivant, l’on vit que plusieurs maraîchers étaient en train de s’y installer et qu’il y avait un peu plus de mouvement que d’habitude.
— Tout le monde est là, murmura Peran à la Duchesse qui s’était approchée sous le prétexte de demander un renseignement. Je vois d’ici votre ami Aramitz – l’abbé en habit minable qui lit son bréviaire près de Sainte-Opportune et pas loin de lui son gigantesque copain Porthau déguisé en portefaix… qui vient vers nous pour nous aider à décharger. Nous sommes juste à temps : le bal ne va pas tarder…
En effet, comme sept heures sonnaient à l’horloge de la prison, une voiture grillagée et fermée sortait de l’une des cours du Châtelet, suivie seulement de deux sergents à cheval. Au moment où elle débouchait sur la place, Peran siffla dans ses doigts et aussitôt une violente querelle éclata entre deux paysans et le faux portefaix. Peran s’en mêla, embrassant la cause des agresseurs, et Porthau parut entrer en fureur. Arrachant Herminie de son siège, il renversa le chariot dont le contenu roula jusque sous les sabots de l’attelage officiel qui se trouva immobilisé. Tandis que les agitateurs fournissaient de l’occupation à l’escorte, Aramitz ouvrit la portière, en tira Malleville de force et lui fit enfourcher le cheval que Marie venait de libérer en sautant à terre. Presque simultanément, celle-ci aida Herminie à sauter en croupe :
— Laissez faire, Gabriel ! chuchota-t-elle. Herminie sait où il faut aller. Foncez vers la porte Saint-Antoine… et bonne chance ! Je vous rejoindrai bientôt…
À défaut de son visage il avait reconnu sa voix et, habitué à obéir aux ordres sans discuter, il piqua des deux dans la lumière incertaine du petit jour. À partir de là, les auteurs de l’incident s’éclipsèrent l’un après l’autre, laissant continuer ceux qui s’étaient jetés dans la bataille sans même savoir pourquoi, comme il arrive facilement chez les peuples au sang chaud. Le chariot se retrouva sur ses roues et Marie y grimpa au moment précis où Peran enlevait son cheval pour embouquer la rue Saint-Dénis. Porthau et Aramitz disparurent en même temps grâce aux chevaux qu’ils avaient cachés près de Sainte-Opportune et filèrent en direction du Pont-Neuf qu’il leur fallait traverser pour regagner l’hôtel des Mousquetaires. Il ne resta plus aux gens du Châtelet comme à ceux de l’escorte qu’à calmer les belligérants avec quelques horions. On procéda à deux ou trois arrestations mais comme il fut vite évident que nul ne savait pourquoi on s’était battus – sauf ceux qui avaient été payés pour ça ! – personne ne fut maintenu. Ce qui était tout de même un peu étrange à une époque dure et sous un gouvernement ayant tendance à se montrer trop curieux plutôt que pas assez. Apparemment Châteauneuf avait parfaitement fait son travail et, ce soir-là, Marie le paya avec une générosité qui le combla.
Elle-même y prit un plaisir d’autant plus vif qu’elle n’avait pas fait l’amour depuis des jours et qu’elle retrouvait les sensations qu’avait éveillées en elle l’amant inconnu de la nuit de Noël. Un amant hautement expérimenté et qui, pour cette femme qu’il s’était mis à adorer, se surpassa. Et si, en la quittant, il se retrouvait plus amoureux que jamais, Marie s’avoua qu’elle était bel et bien en train de s’éprendre de lui. Un sentiment certes éloigné de la passion dévastatrice éprouvée pour Holland et que personne ne pouvait effacer. C’était quelque chose de plus doux, de plus délicat surtout. Holland la traitait comme une proie trop attendue, Châteauneuf comme une idole pour laquelle il recherchait les plus savantes caresses, sachant retenir sa propre jouissance pour se soucier avant tout de celle de sa maîtresse.
En se retrouvant seule, Marie, délicieusement lasse, pensa qu’il lui fallait entretenir une « si belle flamme » ainsi que le disaient les poètes, en la tenant à distance afin que son ardeur ne s’éteigne pas, mais qu’elle avait devant elle de nombreuses heures ô combien exaltantes… et que cet homme méritait largement qu’on le guide jusqu’au pouvoir suprême en lui donnant la place de Richelieu…
Elle s’attendait à des remous à la suite de l’évasion de Malleville. Or, elle se trompait : aucun écho ne vint du Louvre ni du Palais-Cardinal. C’était comme si le prisonnier s’était dissous dans la nature, ou n’avait jamais existé, et, deux jours plus tard, rencontrant le Cardinal au jeu du Roi, elle eut la surprise de le voir venir à elle, presque souriant :
— J’espère, dit-il, que vous sentant mieux, votre humeur envers l’admirateur que je suis sera apaisée. J’aimerais tant que nous reprenions nos séances de travail. Lorsque nous reviendrons du Midi s’il se pouvait.
De nouveaux troubles venaient d’éclater en effet et c’était peut-être la raison pour laquelle on semblait vouloir étouffer l’affaire Malleville. Et Marie en vint à se demander si Châteauneuf méritait une telle reconnaissance et si, en escamotant le prisonnier, elle n’avait pas rendu service à un ministre contre lequel la noblesse recommençait à grommeler. Peut-être qu’après celle de Marillac, la tête de Malleville – un soldat lui aussi ! – eût fait mauvaise impression. Les événements par la suite allaient lui montrer qu’elle se trompait.
À Bruxelles où elle s’était retirée, la Reine Mère continuait à jeter feu et flammes, en accord parfait avec son fils Gaston, toujours en Lorraine où il s’occupait de lever une armée de mercenaires étrangers tout en entretenant une correspondance suivie avec Montmorency, Gouverneur du Languedoc, qui était de ses amis et détestait le Cardinal après l’avoir servi un temps. L’adversaire de Chevreuse écoutait un peu trop sa jeune duchesse, Maria-Felicia Orsini, princesse romaine francisée en des Ursins, qui plaignait la Reine Mère de tout son cœur et même Anne d’Autriche dont elle savait cependant son époux encore amoureux.
Les grands échanges épistolaires d’alors aboutirent à une dangereuse – et double – tentative de subversion : Monsieur et ses mercenaires franchirent la frontière tandis que Montmorency entraînant les états du Languedoc déclarait la guerre au Roi au nom de son frère. C’était lui le plus dangereux.
En effet, le Roi en s’avançant vers lui eut vite raison de Monsieur son frère qui s’était aventuré jusqu’à Dijon en prêchant la révolte. Sans aucun écho d’ailleurs et la capitale bourguignonne lui ferma ses portes au nez. Il dut repartir penaud sans avoir fait la moindre recrue. Mais dans le Midi où il était fort aimé. Montmorency poursuivait son action. Une fois encore, le Roi monta à cheval et quitta Paris, emmenant avec lui la Reine et son entourage, dont Marie.
Quand celle-ci apprit que l’on allait partir, elle revenait de Lésigny. C’est à cet endroit qu’elle avait fait conduire Malleville par Herminie, pensant qu’il y serait plus à l’abri que dans aucun des châteaux Chevreuse puisque celui-là appartenait désormais à son fils Luynes. C’était aussi le plus proche et, enfin, il y avait Basilio sur qui elle pouvait compter. Mieux que quiconque, le mage saurait remonter un moral qui inquiétait Herminie :
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