— Non. En fuite et intact. Des Mousquetaires les ont séparés à temps. Montmorency n’a qu’une légère blessure…
En fait, il s’était passé ceci : Montmorency et la jolie duchesse de Montbazon, belle-mère de Marie, avaient entrepris pour distraire la Cour de faire ce que l’on appelait des « valentins rimés », sortes de distiques burlesques prenant pour cibles quelques personnages en vue. L’un d’eux touchait Claude de Chevreuse, qui souffrait à la fois d’une rage de dents et d’une inflammation à l’œil correspondant :
Monsieur de Chevreuse
L’œil pourri et la dent creuse.
Claude arrivait tout juste pour entendre. Déjà malmené par la douleur, il entra dans une folle colère et provoqua Montmorency. On mit flamberges au vent avec la suite que l’on sait.
C’en était trop pour Marie qui, pour une telle sottise, voyait s’écrouler le délicat château de cartes qu’elle s’efforçait d’édifier. Se laissant retomber dans le fauteuil remis d’aplomb, elle éclata en sanglots. Son imagination lui montrait la suite des événements : son époux rattrapé, emprisonné et mené à l’échafaud comme le pauvre Boutteville, sans doute en compagnie de son complice. Elle-même devenue veuve et rejetée à jamais de la Cour au bénéfice d’un couvent où elle ne tarderait pas à périr d’ennui… et de fureur contre ces deux imbéciles qui, pour une broutille, avaient défié les édits royaux dans la propre demeure du souverain.
Ses larmes purement spontanées étaient sincères mais Marie possédait ce don, rare, de pouvoir pleurer avec grâce et quand Richelieu, à demi agenouillé près d’elle, écarta ses mains de son visage mouillé, ses yeux d’outremer scintillaient comme des étoiles.
— Allons, allons, ne vous désolez pas ! Personne n’est mort…
— Pas… pas encore, mais ça ne saurait tarder !
Le ton était si lamentable que Richelieu ne put s’empêcher de rire :
— Si c’est vous qui le dites ! Essuyez vos yeux, nous allons voir ensemble ce que l’on peut faire…
— Ils connaissent pourtant les édits, ces deux idiots !
— Certes, certes, mais il n’y a pas eu mort d’homme… et le Roi est à Versailles. Je lui présenterai personnellement l’affaire et s’il n’aime guère Montmorency qu’il a toujours soupçonné d’être épris de la Reine, il porte depuis longtemps une vieille affection à Monsieur de Chevreuse. Qu’il faut d’abord joindre ! Où pensez-vous qu’il se dirige ?
— Dam… Dampierre ! C’est notre refuge.
— Trop naturel, on l’y reprendrait sans peine. Que diriez-vous de Nancy ? Il ne faut pas oublier qu’il est prince lorrain et que le duc Charles est son cousin !… outre le fait qu’il est de vos amis…
L’intention était claire, Marie se sentit pâlir :
— Votre Eminence souhaiterait-elle que je prenne langue avec le Duc pour lui demander de renvoyer mon époux ?
— Non. Il n’ira pas jusque-là et nous l’aurons repris avant. Cela dit, n’ayez aucune crainte : j’aurais horreur de voir pleurer ces beaux yeux. Monsieur de Chevreuse, si le Roi m’écoute, s’en tirera avec quinze jours d’arrêts de rigueur sur ses terres de Dampierre et vous ne serez pas obligée de lui tenir compagnie…
— Oh ! Monseigneur ! C’est trop de bonté !
— Vous n’en croyez rien et vous avez raison : en politique un service en vaut un autre et la fugue du Duc me donne une idée. Vous connaissez nos incessantes difficultés avec la Lorraine ?
— Mieux que quiconque, je crois…
— Eh bien, vos relations me seraient utiles. J’aimerais que vous m’aidiez à rédiger certaines lettres au duc Charles. Son caractère vous est familier, ses réactions aussi : nous pourrions ensemble faire du bon travail.
— Ce sera avec joie. Monseigneur ! s’entendit répondre Marie qui n’arrivait pas à croire à sa chance : non seulement on ne punissait pas Claude mais encore on lui offrait de mettre son joli nez dans les affaires de Lorraine.
Cela convenait tellement à ses projets qu’elle en aurait crié de joie, mais ce n’était pas le moment de se laisser aller. Après avoir remercié de nouveau le Cardinal et pris rendez-vous avec lui, elle demanda, avant de sortir :
— Et Montmorency ? Que va-t-il advenir de lui ?
Elle avait de l’amitié pour le Duc en qui, avant que Buckingham ne s’inscrivît dans le paysage parisien, elle voyait un amant très convenable pour Anne d’Autriche. D’autant – elle le savait ! – que cet amour n’était pas éteint et que Montmorency portait sous les dentelles de ses manchettes un bracelet dans lequel étaient tissés des cheveux de la Reine autour d’un médaillon renfermant son portrait. Un temps, celle-ci s’était montrée sensible à son charme.
— Il vous intéresse ?
— Je le connais depuis des années. On tient à ses souvenirs de jeunesse… ajouta-t-elle avec un haussement d’épaules.
— Alors rassurez-vous ! À lui non plus il n’arrivera rien sinon une verte semonce pour lui faire passer le goût de la poésie douteuse. Il sera ensuite renvoyé dans son gouvernement du Languedoc… où il n’aura plus aucune chance de rencontrer Monsieur de Chevreuse…
Soulagée d’un grand poids, Marie rentra chez elle pour y attendre des nouvelles de son époux. Elle y trouva un Châteauneuf singulièrement agité :
— Tout ce temps-là chez le Cardinal ! Mais qu’aviez-vous donc de si important à lui dire ?
— Moi ? Rien. C’est lui qui voulait me parler et ce fut bien heureux parce que je m’y suis trouvée à point nommé pour éviter à mon mari les graves conséquences d’une sottise…
Et de raconter ce qu’il venait de se passer. Mais au lieu de calmer Châteauneuf, cette nouvelle l’indigna :
— Ha montré une telle mansuétude pour un duel – et au palais ! – alors que c’est l’une des choses qu’il exècre le plus ? Il faut que vous ayez sur lui une influence qui… que…
Marie se mit à rire :
— Qu’allez-vous imaginer ? Il n’est pas le roi François Ier et je ne suis pas plus Diane de Poitiers que Chevreuse n’est mon père[11] On ne m’a pas demandé de me déshabiller, mais seulement d’apporter mon aide quand Monsieur le Cardinal aura à rédiger certaines lettres au duc Charles de Lorraine. Il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat !
— Pour le moment non mais cela signifie de longues heures seule à seul avec lui et j’ai peine à croire…
— Ma parole, vous me faites une scène de jalousie ! Voulez-vous me dire d’où vous en tirez le droit ?
Elle affectait la colère mais en réalité elle était ravie. Que le Marquis soit jaloux du Cardinal entrait parfaitement dans ses vues et elle avait bien l’intention de lui donner de temps en temps de quoi alimenter cette jalousie. Cela aiderait puissamment à obtenir certains échos du Conseil susceptibles d’être fort utiles à ceux qui souhaitaient toujours aussi ardemment la séparation du Roi et de son Ministre. Non qu’elle fût toujours aussi acharnée à la perte de Richelieu, encore qu’elle ne lui pardonnât pas l’exil de Louise de Conti, mais une autre idée brillante lui était venue : celle de mettre un jour Châteauneuf à la place du Cardinal. C’était un homme à ses pieds, doté de l’expérience de l’âge et des affaires, au surplus d’un charme qui n’était pas à négliger. Devenu le premier des Ministres, il ferait sans doute merveille car sa politique – dont Marie entendait devenir l’inspiratrice ! – rendrait enfin justice à la haute noblesse – et même la moins haute ! – si fort malmenée par l’impitoyable Richelieu. On ramènerait la paix avec l’Eglise, avec l’Espagne, et tout irait pour le mieux dans le meilleur des royaumes ! Tout le monde serait heureux et elle-même serait toute-puissante !
En attendant et avant de mettre à la porte son amoureux déconfit, elle posa sur ses lèvres un baiser léger comme une aile de papillon :
— Allons ! Apprenez à me mieux connaître ! Nous pouvons faire de grandes choses ensemble !
CHAPITRE VIII
DOUBLE JEU
Pendant quelques mois, Marie mena entre Richelieu et Châteauneuf la vie la plus excitante qui soit. Elle rédigeait avec l’un le courrier de Lorraine, important s’il en fut puisque, toujours réfugié à Nancy où il soufflait le feu et la fureur tout en menant à bien ses amours avec la jeune Marguerite, Monsieur s’efforçait de créer toutes sortes d’ennuis à son frère. Il était même en train de lever une armée afin de pénétrer en France, armée qu’il entendait payer au moyen de l’argent qu’il ne cessait de réclamer. Pour une fois Marie œuvrait en faveur de l’apaisement à travers les lettres rédigées au Palais-Cardinal. Entre deux séances d’écriture, on causait. Férus de théâtre l’un comme l’autre, Richelieu et Madame de Chevreuse trouvaient là un terrain d’entente d’où l’on glissait parfois à des confidences plus intimes. La jeune femme se laissait respirer par le Ministre en déployant une savante coquetterie et en prenant un plaisir pervers à le voir se troubler quand au-dessus d’une page à demi écrite leurs têtes se rapprochaient. Elle eut même le bon goût de frissonner en fermant les yeux le jour où il osa l’embrasser dans le cou. Avant de s’écarter avec un sourire navré en alléguant la nécessaire prudence : Madame de Combalet, elle le savait, n’était jamais loin quand la « Chevreuse » venait rejoindre son oncle. En outre, la robe rouge commandait le respect. Cependant elle possédait trop bien l’art de manier les hommes pour fermer les portes d’une espérance dont elle laissait entendre qu’elle pourrait la partager…
Avec Châteauneuf, le jeu différait. Ne pouvant se voir souvent – double prudence commandée par les relations avec le Cardinal et le caractère ombrageux, allant jusqu’à l’aigreur, que Claude de Chevreuse s’avisait d’étaler – on s’écrivait et, à mesure que lui parvenaient les épîtres de son amoureux, Marie pouvait évaluer la montée en puissance de la passion qu’elle lui inspirait. De la jalousie aussi : Châteauneuf supportait d’autant plus mal les séances d’écriture que Marie prenait un malin plaisir à faire étalage de la cour de plus en plus pressante dont elle était l’objet… Tout en protestant que le Cardinal perdait son temps et qu’elle ne serait jamais qu’à son cher Châteauneuf parce que lui seul l’attirait.
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