— Je vous demande pardon à tous de ce en quoi je vous ai offensés et ne mourrai pas content si je ne sais que vous me pardonnez et je vous prie d’en dire autant à tous mes sujets de ma part…
D’un geste, il appela la Reine auprès de lui et l’embrassa, mais il était devenu si faible qu’il ne lui était plus possible d’articuler une parole. Cependant, les médecins trouvant sans doute qu’il n’avait pas perdu encore assez de sang lui firent une saignée au bras droit. On attendit le dernier soupir…
Or, il ne vint pas. Ce qui vint, ce fut, par le bas, une nouvelle évacuation sanglante et fétide qui acheva de persuader son entourage que c’était bien la « peste » rapportée des frontières qui enlevait le Roi. On emporta la Reine Mère en proie à un chagrin bruyant et faisant d’héroïques efforts pour s’évanouir : elle reviendrait quand la fin serait intervenue… Dans un coin de la chambre, le Cardinal priait dans un isolement significatif…
Et voilà qu’une fois les linges souillés emportés et les draps changés, Louis XIII poussa un soupir. Qui n’était pas le dernier ainsi qu’on aurait pu le penser un instant auparavant :
— Je me sens mieux, entendit-on avec stupeur. Il me semble que je sens un peu de faim…
Le Cardinal se redressa lentement, cherchant des yeux le crucifix placé au chevet royal. Il était pâle tel un mort mais sa main ne tremblait pas en traçant sur lui-même un ample signe de croix.
— Un miracle ! murmura-t-il sans oser y croire encore.
Et pourtant Louis XIII était sauvé. En fait, il n’avait contracté ni le typhus ni la peste ni aucune autre maladie de ce genre : simplement, il était atteint d’un abcès de l’intestin qui, en enflant, l’avait mené aux portes de la mort mais qui venait bienheureusement de crever, lui sauvant la vie… et celle de Richelieu tout en plongeant les cabaleurs de la Reine Mère dans un ahurissement qui eût été comique s’il n’avait été franchement écœurant, car on se consola en prédisant que la convalescence serait longue. Si elle se produisait : après tout, une rechute ne pouvait-elle arriver ?… Marie pensa que c’était lamentable.
Aussi la Médicis décida-t-elle de ne pas laisser traîner les choses. Jetant le masque, elle vint, dès le lendemain, occuper le chevet de son fils pour lui demander de renvoyer le Cardinal, selon elle responsable de tous les maux dont souffraient le royaume et le Roi. Ces criailleries indisposèrent tellement Louis XIII qu’il alla s’installer à Bellecour, dans l’agréable demeure de Monsieur de Chaponay. Pas découragée pour autant, elle l’y poursuivit, revenant à la charge avec une obstination cruelle qui se souciait peu de l’état du malade. Pour s’en débarrasser, Louis finit par lui dire que son état de santé ne lui permettait pas de prendre une décision. Traduisant cela comme une promesse, elle finit par le laisser tranquille et son fils put achever de se remettre. En octobre, guéri enfin, il reprit le chemin de Paris.
En fait, il se rendit à Saint-Germain, le palais du Louvre étant alors livré aux ouvriers à la suite de l’effondrement du plafond de l’une des salles. Quand il revint dans la capitale, le couple royal s’installa rue de Tournon, dans l’ancien hôtel Concini devenu hôtel des Ambassadeurs. Donc à deux pas du Luxembourg où était rentrée la Reine Mère. À la grande satisfaction de celle-ci : elle allait avoir Louis sous la main…
Les Chevreuse étaient revenus chez eux, rue Saint-Thomas-du-Louvre. Bien que, durant le voyage de retour, Marie de Médicis eût manifesté, envers le Cardinal, une amabilité aussi soudaine qu’inattendue, Marie sentait que l’on préparait quelque chose. Quand elle se rendait chez la Reine, elle éprouvait la vague impression d’être tenue un peu à l’écart, même si Anne d’Autriche lui montrait toujours la même amitié. Certaines conversations s’arrêtaient quand elle arrivait : Madame du Fargis prenait avec elle des airs mystérieux cachant mal l’espoir de l’éliminer dans un jour prochain. Seule Louise de Conti la mit en garde :
— Vous avez beaucoup changé, Marie. Et pas à votre avantage. Du moins c’est ce que l’on dit.
— Où prend-on cela ?
— Dans le jardin de l’Archevêché de Lyon, quand on croyait le Roi à toute extrémité. On vous a vue parler à Monsieur le Cardinal.
— Et alors ? Ce n’était pas la première fois et sans doute pas la dernière…
— Certes, certes, mais cela a donné à penser. On ne vous savait pas en si bons termes avec cet homme dont naguère encore vous proclamiez que vous le détestiez.
— Quoi que vous en pensiez, je n’ai pas changé mais il se trouve que j’ai l’habitude de payer mes dettes. Or, que vous le vouliez ou non c’est bien à lui que je dois mon retour. Lui dire trois mots quand chacun le traitait en pestiféré m’a paru une façon comme une autre de m’acquitter. En outre, et même si cela vous contrarie, j’ai de plus en plus de mal à supporter la Reine Mère. Dès que je l’entends vociférer dans un langage digne d’une marchande de poisson et donnant libre cours à sa mauvaise nature, j’ai peine à croire qu’une aussi noble dame que notre reine à nous, une infante, ait soudain jugé bon de s’en accommoder. Un peu de mémoire, mille tonnerres ! Durant des années la Florentine a tout fait pour lui rendre la vie impossible ; elle l’a traînée dans la boue et à présent on s’embrasse ?
— La seule chose importante est d’en finir avec le Cardinal ! Allons, Marie, où est passé votre sens commun ? Croyez-moi : allez faire votre paix avec la Reine Mère qui commence à vous regarder de travers. Tôt ou tard, elle l’emportera sur son ennemi. Le Roi ne lui résistera pas éternellement.
— Ce qui m’étonne, moi, c’est qu’il puisse encore la souffrir !
— Bah ! Soyez certaine qu’une fois la victoire obtenue, nous aurons d’elle les plus beaux sourires. Et, faites-moi confiance, elle n’est plus loin cette victoire… Alors, songez à votre avenir… Revenez à nous… à vous !
— Je ne vous ai jamais quittés !
Cependant, la Duchesse jugea plus prudent de prendre ses distances avec les deux camps en présence et dont elle était persuadée qu’ils n’allaient pas tarder à en venir aux mains. Elle tomba malade.
C’est-à-dire qu’elle fit de son mieux pour qu’on la crût, sinon à l’agonie du moins assez souffrante pour ne pas quitter son lit. Elle avait eu à ce sujet un entretien prolongé avec son époux qui naturellement s’était un peu inquiété des bruits commençant à courir sur sa femme et s’était hâté d’approuver une décision qui le soulageait et lui évitait de tirer l’épée à tout bout de champ pour la défendre, comme cela avait failli se produire à deux ou trois reprises. Lui-même, toujours aussi fidèlement attaché au Roi, se trouvait à l’abri des critiques :
— Il faudra pourtant que vous guérissiez un jour, lui fit-il observer. Et guérir, cela signifie prendre parti !
— Je sais mais à chaque jour suffit sa peine et j’entends, pour l’instant, n’en prendre aucun. Autrement dit je veux rester neutre aussi longtemps que possible et vous serez mon seul lien avec la Cour. Ouvrez vos yeux et vos oreilles, moi j’ai la fièvre !
— Et si l’on vous vient visiter ?
— Ma fièvre se peut contracter. Je ne reçois personne. Herminie a pris mes ordres. Et si l’on vous demande si vous ne craignez pas d’apporter mon mal avec vous, dites que mes nouvelles vous sont données par écrit…
Le bon Claude joua le rôle du mieux qu’il put, même chez la Reine qui, par deux fois, s’enquit de l’état de son amie. Et si bien peu furent dupes – la santé de Marie était quasi proverbiale –, si certains ricanèrent, Chevreuse eut au moins la satisfaction de couler des jours paisibles à un moment où le ciel se couvrait de nuages d’orage de plus en plus lourds. Louise trouva cela amusant :
— Ce n’est pas une si mauvaise idée, dit-elle au « malheureux » mari. Il faut seulement espérer que sa fièvre ne la retiendra pas à la chambre durant des mois… Embrassez-la pour moi ! Quand vous pourrez l’approcher, du moins !
L’instinct de Marie l’avait bien inspirée : quinze jours plus tard, le 10 novembre, la tempête éclatait…
La veille même, Louis XIII qui ne manquait pas d’une certaine subtilité avait demandé à son ministre en quelles dispositions la Reine Mère était envers lui. Richelieu, armant son visage de bénignité, répondit qu’il pensait être revenu dans ses bonnes grâces étant donné les amabilités qu’elle lui avait témoignées durant le voyage de retour :
— Ne vous y trompez pas, riposta le Roi. Il n’y a rien de changé.
Richelieu allait s’en apercevoir dès le lendemain.
Le Roi avait coutume de se rendre chaque matin auprès de sa mère afin de s’inquiéter de sa santé. Ce jour-là qui était un dimanche, Marie de Médicis condamna sa porte sous le prétexte qu’elle avait pris médecine. Le Cardinal alors convoqua le Garde des Sceaux… et il lui fut répondu que lui aussi avait pris médecine. Ce grand besoin de récurage intime sévissant chez ses ennemis mit la puce à l’oreille du Ministre. Il se rendit au Luxembourg où, à sa surprise, il trouva toutes portes closes. Cependant, tandis qu’il en faisait le tour, qui aperçut-il ? Marillac :
— Vous voilà donc ? Et vous disiez que vous étiez malade ?
Cette fois il n’y avait plus de doute, c’était une conspiration et qui ne pouvait être dirigée que contre lui. Le Cardinal comprit qu’il était vital pour lui d’apprendre ce qui se disait chez la Reine Mère. Et pour ce faire il allait prendre un risque énorme : s’introduire chez elle sans sa permission.
Ayant été intendant du palais, il le connaissait dans ses moindres recoins. Ainsi, certain couloir sombre partant de la chapelle derrière une porte dérobée et menant droit aux appartements de la Florentine.
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