— Madame la duchesse de Chevreuse est trop bonne ! Un tel compliment venant d’elle est sans prix…
Marie lui rendit un sourire machinal. La nouvelle venue ne manquait pas d’aplomb et quelque chose lui soufflait qu’elle était de celles avec qui l’on pouvait être amenée à compter. Le plus étonnant étant que Marie de Médicis, dont chacun savait qu’en dépit de son âge et de son poids elle gardait des prétentions à la séduction, eût pris à son service une aussi fascinante jouvencelle. Certes, en son temps, elle l’avait prise elle-même mais Marie était sa filleule et, en outre, on l’avait mariée assez vite. Pour celle-là, Marie de Médicis devait avoir une idée derrière la tête. Restait à savoir laquelle.
Celle-ci se mit à rire :
— Il faut que tu saches qu’elle peut avoir la dent dure et qu’elle ne manque pas d’esprit. Retirez-vous à présent, petite ! Il faut que je m’entretienne sérieusement avec Madame de Chevreuse. Laissez cela : nous n’en avons pas encore fini.
Sur une parfaite révérence qui mit en valeur sa taille souple et une gorge déjà ravissante, Marie de Hautefort s’éclipsa.
— Causons maintenant ! marmotta la vieille dame. Il faut que tu m’expliques comment toi, qui as toujours détesté ce faquin de Richelieu, tu t’es retrouvée hier son invitée d’honneur ? Qu’est-ce que tu lui as fait ? Tu as couché avec lui ?
— Oh, Madame ! Vous n’y pensez pas ? Coucher avec le Cardinal, moi ?
— Tu ne serais pas la première ni sans doute la dernière. Je te connais : ce n’est pas une robe de prélat qui te gênerait. Admets tout de même qu’il y a de quoi se poser des questions. Tu étais en exil, Il te détestait autant que tu le haïssais et hier soir, il déroule le tapis rouge pour toi avec des trémolos dans la voix ?
— Que vous le croyiez ou non j’ai été la première surprise. Certes, en arrivant à Paris avant-hier matin, j’ai été reçue par lui en audience…
— Et que t’a-t-il dit ? Allons, parle ! Il faut t’arracher les mots, ma parole !
— Assez peu de chose : eu égard aux services rendus par mon époux…
— Vieille lime tout cela ! Ce n’est pas la vraie raison.
— Laissez-moi continuer ! Eu égard aussi à Sa Majesté la Reine qui n’a cessé de réclamer mon retour et qui, se le voyant toujours refuser, est tombée dans une mélancolie inquiétante pour le bien du royaume…
La Reine Mère partit d’un éclat de rire tonitruant qui fit trembler les divers objets de cristal posés sur sa toilette.
— Depuis quand se soucie-t-il de cette dinde froide qu’il a tout fait pour discréditer ? Est-ce qu’il te l’a dit aussi ?
— Mon Dieu, non ! Simplement que nous étions à Noël, que c’était le temps idéal pour mettre fin aux querelles et qu’étant donné nos mauvaises relations avec l’Espagne – relations qui pourraient s’envenimer encore…
— Ah ! ça, c’est intéressant ! Ce démon a l’intention de poursuivre sa guerre impie !
— … la Reine aurait moins à souffrir des événements qui se préparent si on lui offrait la consolation de retrouver son amie préférée.
— Et voilà : il t’a transformée en cadeau de Noël ! Et qu’est-ce qu’il t’a demandé en échange ?
— De faire en sorte qu’il vive auprès de Sa Majesté paisiblement et d’essayer d’expliquer à la Reine que s’il lui est arrivé de la contrarier, il n’a jamais eu d’autre but que l’intérêt de l’Etat et souhaite simplement devenir son fidèle serviteur…
La grosse dame bondit de son siège comme si un ressort venait de se détendre sous elle :
— Son fidèle serviteur, hein ? grinça-t-elle. Il n’a pas perdu de temps pour changer sa politique ! Depuis qu’il sait que je lui en veux, il se cherche une nouvelle protectrice ! Le traître ! Le lâche ! Le mauvais larron ! Il y a longtemps que je le sais capable de tout renier, de tout fouler aux pieds pour assouvir son ambition ! Je ne veux plus de lui alors il cherche ailleurs. Me diras-tu ce que tu lui as répondu ?
— Que je serais enchantée de reprendre ma place auprès de Sa Majesté, naturellement.
— … et que tu passeras tes jours et tes nuits à lui chanter la gloire de ton bienfaiteur ? Que tu te tiendras sage à l’avenir et que vous allez devenir les meilleurs amis ?
— N’exagérons rien ! J’ai certes promis de dire un mot pour lui à l’occasion, mais pas de truffer mes discours de ses vertus. Croyez-vous que j’aie oublié le mal qu’il m’a fait ? ajouta-t-elle avec une soudaine gravité. Je saurai le lui faire payer un jour mais chaque chose en son temps. Pour le moment je reprends ma place et c’est ce qui importe pour moi. D’autant qu’il part pour l’Italie et que le Roi reste ici. Ce qui permet de voir venir, et j’ai l’intention de faire l’impossible pour rendre le sourire à la Reine.
— Cela ira pour un temps et même ta « faveur » pourrait m’être utile. Il faut que tu t’entremettes avec le duc de Lorraine pour qu’il me renvoie mon fils Gaston. Tu es au mieux avec lui, à ce qu’on m’a dit, et il ne devrait pas refuser grand-chose à une maîtresse telle que toi ?
— N’exagérons rien ! répéta Marie qui en voulait à Monsieur d’avoir filé en Lorraine sans demander l’avis de personne alors que l’on s’échinait à l’envoyer aux Pays-Bas. Nous sommes bons amis sans plus !
— N’épiloguons pas là-dessus : il y aurait trop à dire ! Quoi qu’il en soit, je veux que mon fils revienne et jure de ne jamais épouser la Gonzague !
— Rien que cela ! Comment voulez-vous que j’y arrive ? Depuis la malheureuse affaire Chalais Monsieur me traite aussi mal qu’il le peut : je n’ai par conséquent aucune influence sur lui…
— Mais tu en as sur le duc Charles, Marie, continua la Reine Mère sur le ton geignard qu’elle employait lorsqu’elle voulait faire croire qu’elle allait pleurer, fais-le pour moi…
— Je veux bien, mais…
L’entrée d’un huissier de la Chambre lui coupa la parole. Du seuil, celui-ci, tête haute et talons joints, annonçait :
— Le Roi !
Il arrivait en effet. Son pas rapide faisait sonner les dalles de marbre de la galerie des Rubens et quand il apparut, Marie plongea dans sa révérence tandis que Marie de Médicis restait debout, attendant. Louis XIII fronça le sourcil en reconnaissant la visiteuse mais s’abstint de tout commentaire. Il vint à sa mère dont il baisa la main tandis qu’elle pliait légèrement les genoux, puis l’embrassa sur les deux joues avant de jeter son chapeau sur un meuble et de s’asseoir près d’elle :
— J’ai de bonnes nouvelles pour vous, Madame ! Ah ! Madame de Chevreuse ? Je ne vous avais pas vue ! mentit-il avec un aplomb souverain qui arracha une grimace à Marie. Ainsi reconnue, elle fut obligée de saluer de nouveau mais déjà la Reine Mère accaparait son fils aîné en réclamant les « bonnes nouvelles ».
— La seule vraiment bonne serait le retour de Gaston, marmotta-t-elle avec un petit reniflement dédaigneux.
— Justement, c’est de lui qu’il s’agit. Un courrier de ce matin laisse entendre que nous pourrions nous accommoder. Monsieur le Cardinal…
— Ah non ! Celui-là, je ne veux plus qu’on m’en parle !
— C’est pourtant lui qui a œuvré pour le retour de votre fils. Aussi, suis-je venu vous demander d’écrire vous-même à mon frère pour lui conseiller de rentrer…
— Pour qu’il me réponde quelque insolence ? Grand merci !
— Je ne crois pas. Nous savons de source sûre qu’il reviendrait… à condition d’y trouver son intérêt. Et si les propositions sont faites par vous, il les recevrait très volontiers, nous en sommes certains !
— Quelles propositions ?
— Eh bien, par exemple : le gouvernement d’Amboise plus cent mille livres sur le domaine de Valois ?
— C’est assez plaisant mais je ne suis pas certaine qu’il trouve cela suffisant… Vous savez comment il est ?
— Oh je sais ! Ses repentirs coûtent de plus en plus cher au Trésor et je le laisserais avec plaisir là où il est si la présence de mon frère en terre notoirement hostile n’était d’un effet si déplorable… Proposez-lui en outre… disons cinquante mille écus mais en deux versements ! Et je n’irai pas plus loin !
La belle humeur de Louis XIII fondait à vue d’œil. Sa mère ne s’y trompa pas et afficha un grand sourire :
— Je vais écrire en ce sens ! Voulez-vous boire quelque chose, Sire mon fils ?
— Je ne dis pas non ! Mais… je ne vois pas Mademoiselle de Hautefort ? Elle n’est pas souffrante j’espère ? ajouta-t-il sur un ton d’inquiétude qui fit dresser l’oreille de Marie.
Sa malgracieuse Majesté serait-elle en train de s’éprendre du trop joli tendron ? Elle n’en douta qu’un instant : juste le temps qu’il fallut pour que la belle enfant apparût, portant un plateau chaîné d’un flacon et d’un verre avec lesquels elle vint s’agenouiller devant le Roi. Le regard dont celui-ci l’enveloppa, le sourire qu’il lui adressa étaient pour elle plus que révélateurs. Elle n’avait pas oublié l’époque où Louis, amoureux d’elle, la comblait de prévenances et de billets galants. Sans aller toutefois jusqu’à la conclusion, qu’elle souhaitait mais il y avait plus de dix ans de cela et Louis avait des retenues d’adolescent que l’âge lui avait peut-être enlevées. Marie devinait dans cette Hautefort une hardiesse, une insolence qui pouvaient en faire une ennemie redoutable pour Anne d’Autriche. Elle représentait peut-être l’arme secrète de sa belle-mère dans sa lutte contre Richelieu et sa tentative pour reprendre l’emprise que son fils semblait à présent lui contester. Et si Louis flambait pour cette fille comme le laissait voir le regard affamé dont il la caressait, il faudrait recourir à une autre panacée que l’innocent « remontant » de Basilio pour le ramener au lit de sa femme…
Aussi Marie quitta-t-elle le Luxembourg très soucieuse après avoir demandé une permission de se retirer qu’on lui accorda avec une désinvolture qu’elle n’apprécia pas. L’affaire Gaston étant en bonne voie de solution, on n’avait plus besoin d’elle et on ne le lui envoyait pas dire ! La grosse Médicis était décidément une vieille garce prête à tout pour arracher le pouvoir à son ancien serviteur et asservir son fils comme son égoïsme n’avait pas craint de le faire durant sa minorité. Jusqu’à ce que Charles de Luynes, le premier mari de Madame de Chevreuse, prît les choses en main et obtînt l’autorisation de faire assassiner Concini.
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