La froide lumière ciselait les allées, les parterres, les tonnelles et là-bas tout au bout et proche du mur derrière lequel s’étendaient les jardins du Louvre, le pavillon où Holland l’avait aimée pour la première fois avec cette violence qu’il libérait quand le désir l’avait trop longtemps taraudé et qu’elle goûtait si intensément… L’envie d’y retourner fut si forte qu’elle n’y résista pas. Jetant une mante noire par-dessus ses vêtements de nuit, elle descendit par le petit escalier intérieur menant directement au jardin. Cette nuit de Noël était froide mais sèche. La neige tombée au début de la semaine avait disparu. Marie emplit ses poumons de l’air frais. Il chassa les remugles du lit conjugal mais n’apaisa pas sa fièvre. Elle hâta le pas comme si quelqu’un l’attendait derrière la porte encadrée de gracieuses colonnettes, une porte que l’on ne fermait plus depuis la nuit du duel. Marie elle-même en avait jeté les clés à la Seine.
Elle entra rapidement, s’adossa au vantail refermé, surprise de constater qu’il y faisait tiède bien que la cheminée fût éteinte, mais une vague senteur de bois brûlé s’attardait comme si quelqu’un avait fait du feu. Un domestique, sans doute, afin de protéger meubles et tentures contre l’humidité et la moisissure. Il y avait si longtemps qu’elle n’était venue – c’était seulement la veille qu’elle était arrivée de Dampierre ! – qu’elle ne savait plus trop comment fonctionnait l’hôtel de Chevreuse. Mais l’impression qu’elle ressentait était infiniment douce parce qu’un parfum s’y ajoutait. Cela sentait l’ambre, le parfum d’Henry, mêlé à une autre senteur. Dans l’obscurité – la lune venait de se cacher derrière un nuage – elle s’avança dans la pièce, laissa tomber sa mante, sa robe de chambre et sa chemise. Au moins retrouver sur sa peau nue le contact des coussins qui les accueillaient jadis, elle et Holland. Elle toucha du genou le lit de repos et s’y laissa tomber avec un sanglot quand deux mains s’emparèrent d’elle avec une force contre laquelle il ne lui vint même pas l’idée de lutter parce qu’elle donnait vie à son rêve. Le parfum d’ambre se fit plus intense. Elle voulut murmurer « Henry » tout en ayant conscience que ce n’était pas lui mais des lèvres moustachues fermèrent les siennes avant de les entrouvrir pour aspirer son souffle. Contre sa peau, elle sentit le velours brodé d’or ou d’argent d’un pourpoint qui la griffa mais elle n’essaya pas de le repousser parce qu’elle était déjà captive d’un jeu savant de caresses qui lui mirent le feu au sang. Quel qu’il soit, l’homme était un maître en amour et Marie s’abandonna à lui avec un soupir de bonheur… C’était tellement ce dont elle avait besoin !…
Mais ce fut bref. Il la prit quand ses gémissements annoncèrent qu’elle allait atteindre le point culminant de la jouissance, explosa en elle avec un cri rauque qui se mêla au sien puis se retira et s’enfuit. Elle était trop submergée par le bienheureux anéantissement de l’amour pour comprendre qu’il était parti. Elle ne le comprit qu’en sentant sur elle le courant d’air froid venu de la porte entrouverte Au bout d’un moment elle alla la refermer, fouillant du regard le jardin plein d’ombres incertaines parmi lesquelles aucune silhouette ne se détachait.
Songeuse elle revint vers le lit, cherchant à démêler ce qui venait de lui arriver. Chose incroyable, elle qui choisissait toujours ses amants avec tant de soin venait de se donner à un parfait inconnu qui pouvait être n’importe qui. Un voleur, peut-être ? Pourtant, sa sensibilité féminine lui soufflait qu’il s’agissait d’un gentilhomme : la douceur de ses mains, le parfum, le soyeux des moustaches et de la barbiche… Quant à savoir ce qu’il faisait là et pour quelle raison il s’était caché dans ce pavillon où personne ne venait plus pour autant qu’elle le sût ? Cependant, loin de l’inquiéter ce mystère l’amusa, l’intrigua… Cet homme, il faudrait qu’elle le retrouve. Ne fût-ce que pour reprendre avec lui les ébats délicieux trop vite interrompus et qui lui laissaient un goût d’inachevé… Quoi de mieux pour oublier qu’un nouvel amour ?
En attendant, il était plus que temps de remonter chez elle. Vite rhabillée, elle traversa le jardin en courant, réintégra sa chambre pour constater que Claude n’avait pas bougé d’un pouce. Il ronflait toujours avec une admirable sérénité. Elle se glissa auprès de lui en prenant garde de ne pas le toucher et attendit tranquillement l’heure du réveil officiel. Elle avait encore moins envie de dormir que tout à l’heure en dépit du bienheureux apaisement de ses sens. Ce qui la tenait éveillée à présent, c’était l’énigme représentée par le visiteur inconnu. L’idée lui vint que, peut-être, il s’était acquis une complicité parmi ses domestiques. Il fallait qu’il en fût ainsi pour avoir pu s’introduire dans le pavillon. À moins d’escalader les murs séparant son jardin de ceux du Louvre ? Mais alors dans quel but ? Personne ne pouvait imaginer qu’au lendemain de son arrivée, elle n’aurait rien de plus pressé que de rendre une visite nocturne au petit bâtiment de ses anciennes amours…
Un moment plus tard, tandis qu’à sa toilette elle cherchait comment s’y prendre pour en savoir davantage, on vint lui porter un billet en provenance du palais du Luxembourg : la Reine Mère voulait la voir et la recevrait aux environs de onze heures.
Elle en fut mécontente parce que justement elle se hâtait de se préparer pour se rendre au lever d’Anne d’Autriche avec qui elle avait l’intention de passer toute la journée : elles avaient tant de choses à se dire ! D’un autre côté, il était difficile de refuser une invitation qui ressemblait fort à un ordre. Mais que diable pouvait bien lui vouloir la vieille bique ?
Avec un soupir agacé, elle rédigea un court billet qu’elle fit porter au Louvre, prévenant la Reine d’un sérieux retard, demanda sa voiture et se fit conduire de l’autre côté de la Seine au grand palais neuf où Marie de Médicis entassait des trésors sans oublier ceux des demeures royales où elle avait opéré quelques prélèvements.
Marie la trouva dans sa chambre carrée, somptueuse à souhait, dont les hautes fenêtres donnaient sur les vastes jardins couverts d’une fine ouatine blanche : la neige était revenue avec le jour et si dans les rues de Paris elle se transformait vite en boue noirâtre, elle gardait son éclat immaculé sur les nobles étendues dessinées par les jardiniers. La Reine Mère n’y prêtait aucune attention, occupée qu’elle était à examiner le contenu d’une dizaine de coffres de taille respectable, grands ouverts sur les collections d’écrins qu’ils renfermaient. Sous les regards intéressés des portraits de membres de la famille Médicis, la vieille dame se livrait à son passe-temps favori : l’examen amoureux des centaines de bijoux qui composaient sa collection, l’une des plus importante d’Europe. Encore tous les coffres, cassettes et autres boîtes n’étaient-ils pas ouverts. Certains étaient posés à même le sol, d’autres se rangeaient dans des bahuts, cabinets ou armoires, celles-ci dissimulées dans les murs derrière certains tableaux.
En pénétrant dans cette pièce exceptionnelle, Marie eut l’impression d’entrer dans la caverne d’Ali Baba : autour de l’imposante dame et de la très jeune fille agenouillée près d’elle, c’était un ruissellement de couleurs allumées par les longues bougies rouges dont le jour gris et bas nécessitait l’assistance. Et la Duchesse ouvrit des yeux éblouis devant ce fabuleux trésor auprès duquel ses propres joyaux – magnifiques pourtant ! – faisaient petite figure. Elle n’aurait jamais imaginé que la Florentine pût en posséder autant.
Son arrivée n’était pas passée inaperçue. La Reine Mère, sans cesser d’aligner sur la table à coiffer placée devant elle les diamants et rubis non montés dont elle envisageait sans doute de composer une parure, lui cria :
— Entre, Maria, entre et viens t’asseoir près de moi ! Nous avons à causer.
— C’est que… je ne voudrais pas être importune et peut-être suis-je venue un peu tôt, mais comme le mot de Votre Majesté ordonnait de se hâter…
La vieille dame jeta à sa filleule un regard en coin :
— Qu’est-ce qui te prend de t’excuser quand on ne te demande rien ? Tu as bien fait de te dépêcher. Tu sais que je n’aime pas attendre… Prends ce tabouret et donne-moi ton avis : j’ai depuis peu fait l’acquisition de ces rubis balais qui sont fort beaux ainsi que tu peux voir, et je me demande s’ils feront plus flatteurs en collier ou en diadème.
— Il me semble que le collier s’impose. Etant donné leur nombre, il devrait être possible d’en tirer aussi des ornements de cheveux. Surtout si on leur ajoute ces diamants et peut-être quelques perles… C’est pour me demander mon avis que la Reine m’a fait venir au saut du lit ? susurra-t-elle, un œil sur la jeune suivante qui venait d’ouvrir un sachet de peau contenant justement des perles.
Ayant été absente deux ans, Marie ne l’avait jamais vue. Elle était très jeune – quatorze ou quinze ans tout au plus – mais annonçait déjà une foudroyante beauté : taille mince et élevée, maintien fier, somptueuse chevelure d’or, teint éblouissant et surtout les plus beaux yeux célestes qu’elle eût jamais vus – à part les siens propres. La belle enfant avait salué l’arrivante comme il convenait mais ensuite elle s’était concentrée sur son agréable tâche. La Reine Mère comprit le message muet :
— C’est vrai, tu ne connais pas encore ma nouvelle fille d’honneur ! Je te présente Marie de Hautefort. Sa grand-mère, Madame de La Flotte qui est fort de mes amies, me l’a confiée afin qu’elle puisse faire à la Cour un chemin digne de sa naissance et de sa beauté ! Elle n’a que quatorze ans mais elle est déjà superbe, tu ne trouves pas ?
— Dire le contraire serait pécher, fit Marie sincère. Dans cette robe rose, elle ressemble à l’aurore !
Au lieu de rougir, l’intéressée lui dédia un sourire moqueur :
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