Ce grand succès acquis et Casal confiée à la garde du maréchal de Toiras, le héros de La Rochelle, le Roi et, évidemment, le Cardinal revinrent en France pour mettre bon ordre à la dernière révolte des protestants en Languedoc… En quelques semaines tout fut réglé et le traité de pacification, la Grâce d’Alès, était signé, rétablissant l’Edit de Nantes dans sa pleine autorité mais supprimant les privilèges politiques et militaires des réformés. Le Roi pouvait rentrer à Paris après avoir invité le duc de Rohan, l’inusable trublion, à s’en aller voir hors de France si l’herbe était plus verte.

Le Cardinal s’attarda dans le Midi afin de procéder à la remise en ordre administrative. Claude de Chevreuse était rentré au logis à la suite du Roi.

Bien que Marie lui eût réservé l’accueil convenant à un époux lorsqu’il revient de guerre, surtout quand cette guerre s’est terminée par une victoire, elle constata qu’il n’avait pas l’air dans son assiette et même que toutes ces louanges, tous ces débordements d’affection paraissaient le gêner. Et comme elle n’était pas femme à garder sa lumière sous le boisseau, elle posa carrément la question :

— On peut se demander quelle tête vous feriez si nos armes avaient subi une défaite. Au lieu de vous réjouir on dirait que vous venez de porter en terre toutes vos espérances ? Vous vous êtes honorablement battu, je suppose ?

— Oh ! oui… et notre Sire m’en a témoigné sa satisfaction à maintes reprises !

— Eh bien, alors ? Vous devriez être content ?

— Et pourtant je ne le suis pas ! Je me sens même honteux de cette gentillesse dont vous me comblez.

— Allons bon ! Voilà autre chose ! Je suis gentille pour la simple raison que je suis heureuse de vous voir de retour sans une égratignure, ce qui est normal quand quelqu’un vous est cher !

— Certes, certes ! Mais c’est justement votre affection si touchante qui me rend malheureux parce que je vais vous décevoir…

— En quoi ?

Claude poussa un énorme soupir, alla se servir un gobelet de vin sans doute pour se donner du courage et enfin déclara :

— En ce que je ne rapporte pas votre grâce comme je l’espérais… et comme vous étiez en droit de l’attendre du succès de mes armes. Et cette fois, le Roi ne m’a pas laissé d’espoir même après que j’eus repris une redoute espagnole presque à moi seul !

— Ah !

— Il m’a embrassé avec énormément de chaleur et avec une larme dans les yeux mais quand j’ai ouvert la bouche pour lui demander la seule récompense que j’attendais de lui, il m’a devancé : « Mon pauvre Chevreuse, m’a-t-il dit en me prenant par le bras, je sais que ce qui te ferait le plus plaisir serait que je lève l’exil de ta Duchesse mais je ne peux pas me résoudre à respirer le même air qu’elle. C’est une femme trop dangereuse… » Et comme je me hasardais à évoquer l’amitié du roi Charles d’Angleterre, il m’a répondu qu’en effet son ambassadeur vous avait mentionnée dans les diverses clauses de paix entre les deux royaumes et que c’était justement l’importance qu’on vous donnait dans d’aussi grandes affaires qu’il ne pouvait admettre.

— Autrement dit, l’étendue de cette amitié a joué contre moi ?

— J’en ai peur !

— Et la reine Henriette-Marie ? A-t-elle joint ses prières à celles de son époux ?

— Pas que je sache.

— Voilà bien l’ingratitude des souverains ! Tant que ce pauvre Buckingham entretenait la zizanie dans son ménage, nous étions vous et moi les meilleurs intercesseurs du monde mais comme l’harmonie est revenue à présent, il n’y a plus aucune raison de me ménager. N’importe ! Tout cela n’a guère d’importance et je n’ai plus besoin d’eux !

— Comment cela ? Et comment l’entendez-vous ?

— De la façon la plus naturelle qui soit ! Je sais que mon exil pourrait prendre fin dans un avenir assez proche sans que j’aie trop à me soucier de me répandre en grands mercis.

Claude écarquilla les yeux, regarda sa femme comme s’il doutait de sa raison et s’en prit à sa moustache qu’il tirailla un moment d’un air pensif puis, toussotant pour s’éclaircir la voix :

— Seriez-vous sorcière ? fit-il mi-figue mi-raisin.

— Et pourquoi pas ? C’est dans les campagnes qu’elles abondent et voilà des mois que je suis devenue campagnarde ! Allons souper !

Là-dessus, elle éclata de rire, le prit par le bras et l’entraîna vers la table que l’on venait de servir. La soirée se déroula agréablement. Marie fut d’une humeur charmante, ce qui soulagea beaucoup le malheureux Claude. L’attitude si nouvelle de sa femme l’enchantait. Ne croyant guère à l’invraisemblable prédiction qu’elle lui avait délivrée, il commençait à envisager une suite de jours paisibles sur ses terres en compagnie d’une épouse qui semblait ne plus songer qu’à lui plaire. Aussi se crut-il le jouet d’un mauvais rêve quand, au dessert, tout en picorant les grains dorés d’une grappe de raisin, elle lui demanda quand il comptait rejoindre la Cour…

— Rejoindre la Cour ? s’étrangla-t-il. Mais pour quoi faire ?

— Cela tombe sous le sens : y tenir votre rang… notre rang.

— Mais Marie, vous oubliez que vous êtes frappée d’exil ?

— Pas vous, que je sache ! Or, il me paraît de la première importance qu’on vous y voie, vous. D’autant plus que le Roi vous garde son affection. Il pourrait même être heureux d’imaginer que vous pourriez le préférer à moi.

— Qui, vous connaissant, le croirait ?

— C’est galant et je vous en remercie, mais il vous faut comprendre que nous faire oublier serait la pire des fautes ! Il faut que l’on vous remarque dans la chambre du Roi, à sa table, à la queue de son cheval lorsqu’il chasse. Et surtout montrer un visage aimable, souriant… Vous êtes auprès du maître que vous aimez et c’est pour vous le principal. Votre épouse est de moindre importance. Ayant commis des fautes elle en subit la juste punition en tournant vers Dieu les regrets de ses fautes et de ses folies. Quoi de plus naturel ? Je dirais même de plus respectable ? Madame de Chevreuse est entrée dans la repentance et vous mettez votre point d’honneur à poursuivre votre service auprès du Roi. Vous comprenez ?

— Certes, certes ! Présenté de la sorte, il semblerait que ce soit la bonne attitude à adopter mais…

— Pas de mais, mon ami, si vous voulez tout savoir, il m’est nécessaire, à moi, de vous savoir là-bas.

— Mais pour quelle raison ?

— Vous savez combien je suis attachée à la Reine et combien je me soucie de son sort. Elle est entourée d’ennemis, souvent en butte à de mauvais conseillers. Que ce soit la Reine Mère ou Monsieur, c’est à qui fera de son mieux pour lui rendre la vie impossible et jusqu’à présent ils n’ont que trop bien réussi à jeter le ménage royal dans toutes les ornières possibles…

— Il me semble que vous y avez contribué plus ou moins, vous aussi, remarqua Chevreuse qui n’était pas totalement dépourvu de mémoire.

— Je ne dis pas non mais les temps ont changé, ainsi que les gens, et je vous assure que si j’avais pu effectuer mon retour, j’aurais tenu les mains avec le maximum de mes forces au rapprochement du couple royal. Il faut que le Roi cesse de se défier de son épouse, qu’il la visite plus souvent…

— Peut-être avez-vous raison, mais à quoi pensez-vous ?

— À ceci : le royaume aura la paix et nous les grands pourrons combattre plus efficacement ce maudit Richelieu qui est notre ennemi quand la Reine, enfin, aura conçu et donné un héritier. Vous êtes proche de Louis XIII… et vous devez pouvoir œuvrer dans ce sens.

— Je ne demande pas mieux mais je ne vois pas comment ? Vous n’essayez quand même pas de me faire comprendre que je dois renouveler l’exploit du défunt Luynes votre premier époux qui, un beau soir, a pris le jeune Roi sous son bras pour le porter tout gigotant au lit de sa femme ? Nous n’avons plus, l’un et l’autre, l’âge de ces gamineries…

— C’est dommage. Néanmoins, vous pourriez agir de façon différente.

— Laquelle ?

— Je vous le dirai plus tard parce qu’il me faut réfléchir encore. Pour le moment, allez reprendre votre place, montrez-vous agréable et – pourquoi pas ? – indispensable en tant que bon compagnon. Ce que vous ferez à merveille. Et surtout, surtout tenez-moi au fait de quelque événement dont vous pourriez être le témoin. En un mot : soyez mes yeux et mes oreilles..



La nuit qui suivit acheva de convaincre Chevreuse, point trop mécontent au fond de prendre à nouveau sa part de la vie captivante de la Cour et de retrouver ses habitudes urbaines. L’été allait vers sa fin et il ne serait pas fâché de se réinstaller dans son bel hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre et de le ramener à une vie mondaine disparue au moment de la fuite de Marie vers la Lorraine. En dehors des chasses, la campagne en hiver n’avait rien de fort récréatif. Aussi, dès le lendemain Claude rejoignait-il Fontainebleau où le Roi, à son retour de la guerre, avait retrouvé les Reines. Les Chevreuse y possédaient un hôtel agréable où le Duc ne fit que toucher terre : enchanté de se voir préféré aux charmes ensorcelants de la belle Marie, le Roi logea auprès de lui ce compagnon dévoué et sans malice qui devait lui sembler reposant…

On était alors au début du mois de septembre et la Cour attendait le retour du cardinal de Richelieu dans une atmosphère étrange où s’agitaient les sentiments les plus divers : le Roi avec impatience, la Reine avec une inquiétude mitigée de crainte et d’espérance dans les plans que ne cessaient d’ourdir Madame de Chevreuse et l’ambassadeur d’Espagne, et Marie de Médicis avec la mauvaise humeur permanente qu’entretenait chez elle un entourage ultramontain farouchement hostile à la politique du Ministre et mené par le cardinal de Bérulle.