— Tout de suite les grands mots ! Et pourquoi pas le bûcher pendant que vous y êtes ? Je ne vous demande pas de faire passer le Roi de vie à trépas mais d’aider sa nature à rejoindre celle qui devrait être l’unique objet de ses soins ! Je suis persuadée qu’en rentrant au Louvre, il ira passer un moment dans son lit mais un moment ne suffit pas. Il doit y en avoir d’autres, et répétés, afin d’avoir une certitude… Et vous ne pouvez pas me refuser cela ! conclut Marie triomphalement.
Un triomphe auquel son interlocuteur n’éprouvait pas la moindre envie de s’associer, et son point de vue ne se fit pas attendre :
— Mais naturellement que Basilio va refuser ! Ce n’est pas parce qu’il connaît les plantes pour soulager les maux des pauvres gens… et des autres aussi, qu’il est capable de concocter n’importe quoi pour n’importe qui… Pour ce qu’il en sait, ce que tu réclames n’est pas à la portée du premier apothicaire venu !
— Mais vous n’êtes pas un apothicaire, vous êtes un homme de science que la Galigaï prisait fort. Après la mort de son médecin Montalto c’est vous qui soulagiez ses maux, n’est-ce pas ?
— Voilà le mot qui convient : Basilio soignait les terribles crises d’hystérie qui la ravageaient. Il fallait apaiser, tu comprends ? Apaiser ! Et tu me demandes le contraire ! C’est très dangereux, un philtre magique ! Ça Basilio le sait, et même pour quelqu’un en bonne santé. Ce qui n’est pas le cas de celui à qui tu le destines. Il a des intestins en toile d’araignée ! Et Basilio ne veut pas avoir sa mort sur la conscience…
— Que vous voilà donc prudent et précautionneux ! Mille tonnerres ! Maître Basilio ! À quoi vous sert de savoir lire dans les astres ? Tirez donc l’horoscope du Roi et vous verrez si un danger le menace !
— Il y a longtemps que c’est fait et Basilio peut te dire qu’il est sans cesse menacé. Quant à toi tu aurais intérêt à te tenir tranquille, Madame la Duchesse, sinon tu risques de déchaîner une nouvelle catastrophe.
— Vous voulez que je reste dans ma campagne à me tourner les pouces ? Mais j’enrage d’être ainsi confinée au fond des bois et des étangs pendant que la Reine a tellement besoin de mon aide !
— Tu n’y resteras pas ! Bientôt tu pourras jouir des rayons de ce soleil factice de la Cour que tu aimes tant… Cela devrait te suffire, il me semble ?
— C’est vrai ? s’écria Marie qui se sentit revivre.
— Ce que Basilio annonce est toujours vrai. Ta bonne étoile va te donner une nouvelle chance. À toi de ne pas en faire un désastre. Entoure ta Reine, aide-la à se rapprocher de son époux, à ramener la concorde dans ce ménage trop chaotique pour la paix du peuple. Voilà une tâche digne de toi… et ne te mêle pas de faire avaler n’importe quoi à ton souverain ! Ou alors accepte d’en payer le prix si tu passes outre à ma mise en garde !
Le ton du petit homme était si sombre que Marie, désagréablement impressionnée, sentit un frisson glacé parcourir son échine :
— Ce qui veut dire ?
— Que ton joli cou ne donnerait guère de peine à l’épée du bourreau !
Chacun des mots de Basilio pesait le poids de ladite épée et Marie savait d’expérience qu’elle avait tout intérêt à tenir compte des avertissements de son astrologue. Pourtant elle n’arrivait pas à se sentir vaincue : elle s’était quasi engagée à obtenir de Basilio la liqueur miraculeuse dont elle avait eu l’idée. De quoi aurait-elle l’air lorsqu’elle avouerait son échec ?
— Quelque chose encore qui ne va pas ? fit Basilio, voyant qu’elle restait immobile et muette.
Elle lui lança un regard lourd de rancune :
— Comment voulez-vous que ça aille quand je vais devoir avouer aux personnes qui ont mis leur espoir en moi, en vous, que j’ai été incapable d’obtenir ce que j’ai annoncé…
Elle avait l’air tellement déconfit que Basilio éclata de rire :
— Toujours le paraître, hein ? Toujours en point de mire des autres ? Tu es incorrigible, Madame la Duchesse ! Mais comme j’ai peur que tu ne te livres à je ne sais quelle sottise dès que tu seras sortie d’ici, Basilio va te préparer… un remède.
— Mais… vous disiez ?
— Et je n’ai pas changé d’avis. L’important est que tu rapportes un flacon décoratif un peu mystérieux avec des consignes d’emploi très compliquées. Quant à ce qu’il y aura dedans, cela ne risquera pas de faire de mal à qui que ce soit. Servi dans un vin capiteux, cela aura au moins un effet euphorisant et personne ne pourra t’en vouloir si le résultat n’est pas absolument ce que l’on attendait. Il est même possible que ton roi s’en trouve mieux que tu ne crois… Tu restes ici cette nuit ?
— Oh ! oui ! J’aime cette maison…
— Alors demain tu ne rentreras pas les mains vides. Toi, tu ne croiras pas aux vertus que cette liqueur n’aura pas mais les autres y croiront. Et c’est ce qui compte…
Il allait tourner les talons, elle le retint par un pan de sa robe noire :
— Encore un mot ! Je vais vraiment rentrer en grâce ?
— Tout l’indique…
— Ce qui veut dire que le roi Charles d’Angleterre se sera montré une fois encore un parfait ami ? Je n’en ai jamais douté.
— Tu as tort d’en être aussi sûre parce que, cette fois, ce n’est ni l’amour de ton époux ni l’amitié qui vont jouer en ta faveur. C’est même le contraire…
— Le contraire ?
— Eh oui ! Le secours viendra d’ailleurs parce qu’on aura besoin de toi. Ce sont des choses qui arrivent…
Il fut, bien entendu, impossible d’en tirer davantage. Confiante néanmoins dans les prédictions de son mage, Marie, par exception, mit son esprit en vacances et prit plaisir à se retrouver pour quelques heures dans ce petit château qui avait ses préférences avant que Dampierre ne lui soit donné. Elle le fît découvrir à sa jeune suivante. Le soir venu, toutes deux s’attardèrent au jardin puis dans la chambre de la Duchesse devant la belle cheminée de porphyre où des bûches flambaient avec une bonne odeur sylvestre. Assises sur le tapis, pieds nus et en vêtement de nuit, elles bavardèrent en buvant du vin d’Alicante, Marie trouvant un plaisir nouveau à jouer à la grande sœur avec cette petite cousine dont elle découvrait au cours des jours la qualité. Cette nuit-là, elle évoqua pour elle l’ombre de Leonora Galigaï comme si c’était la chose la plus naturelle. Et en fait ce l’était puisqu’à entendre Basilio, le douloureux fantôme avait cherché refuge à Lésigny.
— Je crois qu’on en parlait dans tout le royaume et même au-dehors, dit Herminie. Chez nous, en Lorraine, on racontait que c’était un monstre, une sorcière maléfique qui s’était emparée de l’esprit de la reine Marie. On la disait laide et contrefaite…
— Contrefaite non mais laide sans doute. Ce dont elle a souffert sa vie durant et d’autant plus qu’elle aimait avec passion un époux qui, lui, était fort beau. C’était elle l’âme du couple et, avec le temps – je n’étais qu’une enfant à l’époque et m’intéressais peu à ces gens ! – j’ai fini par comprendre que sans elle, Concino Concini n’eût jamais été rien d’autre qu’un bellâtre cupide, habile à se servir des femmes, un joueur sans scrupules, un rufian déguisé en grand seigneur et qui n’avait pas assez d’intelligence pour retenir ses insolences et rendre à la majesté royale ce qui lui était dû. Tant que le roi Henri vivait il n’osait pas trop se montrer, mais après le couteau de Ravaillac on a vu de quoi il était capable et si le jeune roi s’est mis à le haïr, Concini avait fait ce qu’il fallait pour ça. Aussi a-t-il eu le sort qu’il méritait. Quand le peuple l’a mis en morceaux, il n’y a eu que Marie de Médicis pour le pleurer… et Leonora ! Elle avait vécu pour lui : elle est morte de lui car le peuple a reporté sur elle toute la haine accumulée pendant des années. Lui a connu quelques instants de souffrance : elle a gravi un cruel chemin jusqu’à l’échafaud de la place de Grève où la Reine Mère l’a laissée monter sans tenter quoi que ce soit pour adoucir son calvaire en souvenir de leur jeunesse, des jardins de Florence où elles couraient enfants et de tous ces jours vécus côte à côte…
— Vous en parlez comme si vous l’aviez aimée ? remarqua Herminie.
— Pas lorsqu’elle était vivante. Je l’ai plainte alors et c’est après que je me suis attachée à elle. C’est à moi que l’on a donné la totalité de ses biens les plus chers : ses joyaux, sa maison… Alors, parfois, je fais dire une messe dans l’espoir que son âme trouvera enfin le repos.
— Vous ? Des messes ? Mais je pensais que…
— … j’étais une sorte de mécréante ne croyant pas à grand-chose ? C’est un peu vrai dans un sens mais pas complètement. Il m’arrive d’éprouver certains élans…
— Jamais de… regrets ?
Marie ne répondit pas tout de suite. Elle observa un instant le reflet du feu à travers le vin doré de sa coupe et soupira :
— Cela sert à quoi, les regrets ?
Ayant dit, elle vida son verre d’un trait, s’étira puis, se relevant :
— Assez philosophé pour ce soir ! Allons dormir…
Au matin, emportant au fond de son aumônière un flacon emmailloté de paille tressée, elle rentrait à Dampierre pour y attendre avec une confiance mitigée la réalisation des prédictions de Basilio, sans se douter que le destin s’apprêtait lentement à travailler pour elle.
Dans les premiers mois de cette année 1629, les armes de la France dans les Alpes enneigées venaient de connaître le succès. La décisive victoire du Pas de Suse remportée par le Roi en personne avait remis le duc de Savoie dans le droit chemin, libéré Casal dont les Espagnols avaient dû lever le siège, et affermi le nouveau duc de Mantoue dans ses droits. La paix offerte n’avait rien d’humiliant et s’efforçait au contraire de resserrer les liens de famille puisque la princesse de Piémont, épouse de l’héritier de Savoie n’était autre que Christine, la sœur de Louis XIII.
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