Ce fut à nouveau le silence. Herminie referma discrètement et s’éloigna sur la pointe des pieds… la tête pleine de points d’interrogation.

CHAPITRE IV

OÙ BASILIO FAIT UNE PRÉDICTION

Marie n’alla pas rejoindre Holland.

La réapparition de Walter Montaigu, qui resta seulement deux jours avant de reprendre le chemin de la Lorraine, n’y fut pas pour grand-chose. C’était un homme charmant, un amant tout à fait convenable, et Marie l’appréciait, mais rien de comparable à la passion dévastatrice que lui inspirait Henry Holland. Et si, encore brûlante des heures passées dans les bras du fugitif, elle s’abandonna à lui dans la nuit qui précéda son départ, ce fut davantage pour lui faire plaisir que par envie personnelle. Une sorte de politesse !

En revanche, Montaigu apportait avec lui ce parfum d’intrigues de cour aussi nécessaire à Marie que les plaisirs de l’amour. À sa sortie de prison, Madame du Fargis avait réussi à l’introduire auprès de la Reine sous un habit ecclésiastique – la référence à la remuante marquise arracha une grimace à Marie qui commençait à trouver qu’elle tenait beaucoup trop de place, et surtout que c’était sa place à elle qui en faisait les frais ! – et tous deux avaient accordé leurs violons sur l’attention qu’il convenait de donner à la suite des événements : le mariage de Monsieur avec la fille du nouveau duc de Mantoue et son corollaire : l’adhésion de l’infante Isabelle-Claire-Eugénie, gouvernante des Pays-Bas, à l’accueil de Gaston et de sa « fiancée », le resserrement des liens avec l’Espagne par le truchement du marquis de Mirabel et enfin la grande affaire toujours pendante, la mise à l’écart voire l’élimination définitive de l’encombrant cardinal de Richelieu. Montaigu, pour sa part, avait reçu mission d’aller maintenir à bonne température les sentiments hostiles du duc Charles de Lorraine. En outre la signature du traité de paix avec l’Angleterre approchait et Walter Montaigu, renseigné par un espion, laissa entendre à Madame de Chevreuse que l’amitié du roi d’Angleterre lui était toujours acquise et qu’il se pouvait que son retour en grâce apparût en marge du document…

Lord Montaigu était un « ami » et sa présence à Dampierre, en l’absence de Chevreuse, n’avait rien d’extraordinaire. Il n’en était pas de même pour l’ambassadeur Mirabel à un moment où le maître des lieux était occupé, sous Casal, à en découdre avec des Espagnols. Il ne vint donc pas et Marie, une belle nuit, reprit la route du Val-de-Grâce mais, cette fois, elle y acheva la nuit dans la chambre de la Reine. À sa grande satisfaction : cet arrangement lui permit un long entretien avec la Reine, puis avec l’ambassadeur où elle trouva sans peine un terrain d’entente. Don Antonio de Toledo, marquis de Mirabel, était un Grand d’Espagne selon son cœur – mais pas selon ses sens ! – un diplomate fin et rusé, agréablement dépourvu de la morgue inhérente à sa caste lorsqu’il était en compagnie des dames. Il sut à merveille achever de convaincre Anne d’Autriche d’adhérer pleinement au mariage de son beau-frère avec la petite Gonzague. Elle y était assez naturellement disposée pour contrecarrer la Reine Mère, Marie de Médicis, qui n’en voulait à aucun prix parce que cela évinçait sa candidate, une cousine Médicis. Mirabel sut expliquer à la Reine que si son époux mourait « prématurément », il serait beaucoup plus difficile de faire valider aux yeux des Français un mariage conclu hors du royaume sans avoir reçu la permission d’en sortir et de convoler, et cela en pays ennemi : en un mot comme en cent, cela s’appelait trahir et la descendance d’un couple ainsi formé n’avait aucune chance d’accéder au trône. Pas davantage l’auteur de ladite trahison.

— D’ores et déjà, tout est prêt pour recevoir à Bruxelles le Prince et celle qu’il aime. L’infante Isabelle-Claire-Eugénie fera célébrer le mariage en sa présence avec l’éclat désirable…

— Sans doute, émit Marie qui au fond d’elle-même préférait de beaucoup Gaston veuf à Gaston marié, afin qu’il soit libre d’épouser sa belle-sœur, si Louis XIII quittait cette « vallée de larmes » mais pour se marier il faut être deux et Mademoiselle de Gonzague est toujours prisonnière à Vincennes en compagnie de sa tante et notre actuelle Régente n’a certainement pas la moindre envie de leur donner la volée ?

— On peut l’y contraindre… J’ai fait en sorte que le cardinal de Richelieu soit informé secrètement de cette incarcération arbitraire, ce qui lui permettra de prévenir le Roi, et je ne doute pas que ces dames ne recouvrent prochainement leur liberté. Cela fait, il nous sera facile d’organiser le départ du futur couple pour les Pays-Bas…

— Ma belle-mère sera furieuse, hasarda la Reine.

— … et contre son cher ami Richelieu. C’est pourquoi il sera prévenu en premier.

— Vous voulez brouiller la Reine Mère et son protégé ? demanda Marie.

— Exactement. Au regard de l’Espagne, Richelieu est beaucoup plus gênant que son maître dont il inspire les actions. Or, je sais de source sûre que l’actuelle Régente supporte de plus en plus mal les initiatives d’un protégé qu’elle espérait garder sous sa coupe sa vie durant. Voilà que l’obéissant serviteur se change en maître. Il fait sa propre politique, trop souvent contraire à celle de sa bienfaitrice, et elle le supporte très mal. Si on l’oblige à libérer Mademoiselle de Gonzague et Madame de Longueville, c’est Richelieu qu’elle rendra responsable de cette humiliation. Elle n’aura de cesse alors de le faire chasser du Conseil et renvoyer dans son évêché de Luçon dont il n’aurait jamais dû sortir.

— Brillamment imaginé ! applaudit Marie. Mais le Roi acceptera-t-il de se séparer d’un homme qu’il apprécie de plus en plus pour faire plaisir à une mère qu’il n’écoute plus autant…

— Il lui a tout de même confié le royaume alors que cet honneur, cette responsabilité aussi, revenaient de droit à Sa Majesté ici présente. C’est un signe, il me semble ?

— Et dont il faut tenir compte ! Vous parlez d’or, don Antonio, fit la Duchesse en riant. Quel que soit le moyen employé pour nous débarrasser de ce gêneur insolent, il ne peut que nous plaire…

— Si mon époux suit sa mère dans son ressentiment, elle n’en aura que davantage de puissance, murmura Anne d’Autriche, et toute latitude de me faire plus de mal !

— À chaque jour suffit sa peine, Madame, fit doucement l’Ambassadeur. Débarrassons-nous d’abord de Richelieu ! Il sera temps, ensuite, de faire entendre raison au Roi. Quand l’amitié sera renouée entre la France et l’Espagne, Votre Majesté aura un rôle prééminent à jouer…

— Ce rôle ne ferait aucun doute si j’avais le bonheur de donner un héritier au royaume, mais…

— Vous êtes plus belle que jamais, Madame, coupa Marie sincère. Votre époux ne manquera pas de s’en apercevoir quand il rentrera de guerre. J’ai remarqué qu’à ces moments-là, il s’est toujours montré plus empressé à remplir ses devoirs conjugaux. On peut l’y aider, si besoin ?

— Comment l’entendez-vous ? hasarda Madame du Fargis.

— Oh ! de la façon la plus simple : il existe des liqueurs, des philtres propres à exciter l’amour. Pourquoi n’en pas essayer un sur notre Sire ?

— Encore faut-il ne pas se tromper, fit gravement Mirabel. On trouve ce que l’on veut dans certaines officines, en France aussi bien qu’en Espagne sans doute, mais cela oblige à beaucoup de circonspection et savoir à qui l’on s’adresse. Il ne s’agit pas d’enherber le Roi sous le prétexte de le rendre plus vaillant au déduit…

— C’est une tâche que j’assumerai volontiers, dit Marie. Vous avez entièrement raison, don Antonio, en précisant qu’il ne faut pas se tromper mais je connais, moi, un homme savant et sage, et de qui nous ne pourrions attendre que le meilleur…

— Il est à Paris ? demanda Madame du Fargis.

— Non. Sur l’une de mes terres et je n’ai jamais eu qu’à me louer de sa science et de ses conseils. Traité par lui, le Roi ne subira aucun mal. Au contraire… Voulez-vous que je m’en charge ?

Elle s’adressait à la Reine, craignant que son étroite piété ne renâcle devant une pratique qui, selon elle, devait fleurer la sorcellerie, et celle-ci lui offrit un sourire tremblant :

— Si vous en répondez, Duchesse, j’accepterai d’employer ce moyen. Je sais la qualité d’une amitié qui m’est, vous le savez, infiniment chère et précieuse entre toutes…

— Oh ! j’en réponds comme de moi-même, ma Reine ! Ce qu’il me remettra – s’il accepte, ce qui n’est pas encore certain car c’est un homme à principes – ne pourra que nous donner entière satisfaction. Je m’étonne d’ailleurs de ne pas y avoir songé plus tôt… ajouta-t-elle plus bas.

En même temps, elle se reprochait d’avoir parlé trop vite. Elle n’aurait sans doute guère de peine à obtenir de Basilio une liqueur adéquate. Se poserait alors la question de savoir à qui l’on confierait la tâche délicate de la faire avaler à Louis et, dans ce rôle, elle ne pouvait se fier qu’à elle-même puisque la principale intéressée, la Reine, n’avait aucune possibilité d’agir : son époux la tenait déjà en très suffisante suspicion. Alors ? La du Fargis était en train de chercher à haute voix comment il faudrait s’y prendre…

— Nous n’en sommes pas là ! coupa Marie agacée. Il faut d’abord que, moi, je réussisse et le Roi qui est en Piémont n’est pas à la veille de rentrer… Moi non plus, à ce que l’on dirait, ne put-elle s’empêcher de soupirer.

Ce regret que son amie ne pouvait retenir émut Anne d’Autriche. Elle se leva pour venir la prendre dans ses bras :

— Ayez confiance, Marie ! L’impossible sera tenté pour obtenir votre retour auprès de moi. J’ai grande confiance dans l’influence du roi d’Angleterre dont l’amitié pour vous ne se dément pas à ce que l’on m’a dit.