— C’est trop bête !
Marie venait d’ouvrir grand les yeux et s’asseyait dans son lit. Surprise, la jeune lectrice hasarda :
— Vous n’aimez pas ces vers ? Je peux aller chercher un autre livre ?
— Ce n’est pas cela ! Il faut que tu me rendes un service… un énorme service…
— Mais je suis là pour ça.
Marie fronça le sourcil :
— J’entends ! Mais un service… discret dont tu ne devras parler à personne. Et d’abord, donne-moi de quoi écrire !
Légèrement inquiète parce qu’elle n’augurait rien de bon de cette subite envie, Herminie chercha ce qu’on lui demandait et regarda sa cousine rédiger en hâte un court billet qu’elle sécha, plia et scella avec soin avant de le lui tendre :
— Tu vas prendre un cheval aux écuries sous prétexte de te procurer un onguent à l’abbaye de la Roche et tu en emprunteras le chemin, mais en réalité tu te rendras au château de Maincourt, chez le marquis de Montmort. Là tu demanderas à voir son hôte à qui tu remettras cette lettre. Tu attendras ensuite la réponse.
Une fièvre brûlait dans les yeux de Marie, tremblait dans sa voix qu’elle essayait d’affermir. Herminie sut alors qu’elle n’apprécierait absolument pas cette mission, mais elle s’efforça au calme :
— Monsieur de Montmort ne me connaît pas. Si je lui demande « son hôte » il se méfiera.
— Pas si tu viens de ma part !
— N’importe qui peut s’en targuer. Ce n’est pas écrit sur ma figure et je réussirai sans doute mieux si je lui donne un nom.
Au prix de sa vie, Herminie aurait été incapable d’expliquer à cet instant pourquoi elle se montrait si curieuse. Besoin de gagner du temps ?… ou de savoir au juste à qui elle avait affaire ? Quoi qu’il en soit, la Duchesse en montra de l’humeur :
— Tu me parais un peu trop curieuse pour me plaire longtemps ! J’aime que l’on m’obéisse sans ergoter…
— Et moi j’aime accomplir au mieux ce que l’on m’ordonne. J’aime surtout que l’on m’accorde confiance, ajouta-t-elle avec une pointe de tristesse, et je croyais avoir gagné la vôtre…
Marie aussitôt se radoucit. Dans la crise qu’elle traversait, elle savait qu’il lui était vital d’avoir de l’assistance, et finalement, quel mal y avait-il à ce que la gamine sût à qui elle l’envoyait ? Dans quelques heures, Herminie n’existerait plus pour Marie, elle reculerait dans le temps comme ce château et ce qu’il représentait tandis que la route de la liberté s’ouvrirait devant deux amants incapables de vivre l’un sans l’autre. Marie avait pris sa décision : vivre jusqu’au bout cette passion qui la ravageait…
— Soit ! admit-elle. Tu as peut-être raison. Tu demanderas à voir Lord Holland et tu écouteras attentivement les instructions qu’il te donnera. Va vite à présent ! Maincourt n’est pas loin mais la journée s’avance…
Sans rien ajouter, Herminie prit la lettre et partit en courant jusqu’aux écuries où elle fit seller Princesse, la jument préférée de sa cousine. C’était la plus rapide et puisque l’on voulait qu’elle aille vite… S’enlevant en selle avec l’aisance de son âge, elle partit au galop en direction de l’abbaye de la Roche dont les moines fabriquaient un miraculeux dictame pour toutes sortes de contusions. Le petit mais charmant château de Maincourt était sans doute plus proche de Dampierre, mais l’adolescente préféra commencer par cette partie-là d’une mission qui lui déplaisait tant que, d’instinct, elle s’efforçait de la retarder le plus longtemps possible. Elle avait très peur, en effet, du billet qu’on lui avait confié et sa curiosité naturelle luttait contre l’envie de l’ouvrir. Un pressentiment lui disait qu’il contenait la reddition de Madame de Chevreuse, que celle-ci incapable de résister à son amour s’était résolue à tout abandonner pour lui, sans se soucier du scandale… et même du désastre qui s’ensuivrait. Pour Herminie : Marie partie courir les mers dans les bras de Holland, il ne resterait plus à la petite suivante qu’à reprendre le chemin du triste manoir de son enfance…
Après sa visite à la porterie du monastère où l’on pouvait se procurer le baume, ce fut avec une sage lenteur qu’elle dirigea sa monture vers le but de son expédition. Et même quand elle put le voir au bout du chemin où elle s’engageait, elle s’arrêta, prise d’une forte envie de rebrousser chemin. Soudain, l’idée lui vint que le « grand diable » était déjà parti. Au fond, à la suite de la rupture, il n’avait plus de raisons de s’attarder… sinon… pour se reposer un peu de ses exploits nocturnes ?
Elle en était à ce point de ses cogitations quand elle remarqua une agitation devant le seuil du château sur lequel un personnage levait un bras en signe d’adieu cependant que deux autres se mettaient en selle. Et il lui sembla bien que l’un d’eux était coiffé d’un feutre, noir comme les plumes qui l’ornaient. Il fallait cependant s’en assurer. Aussi dirigea-t-elle Princesse derrière les buissons qui bordaient la route. Puis elle attendit…
Pas longtemps. Bientôt les deux cavaliers s’inscrivirent dans son champ de vision. Par chance, la voie campagnarde, étroite et creusée d’ornières profondes, ne permettait guère le galop, et elle eut largement le loisir de reconnaître l’Anglais, suivi d’un homme qui devait être son valet. À cet instant elle dut livrer un rude combat à sa conscience : Holland passait devant elle, à portée de voix, et rien n’était plus simple que lui remettre la lettre. D’autant qu’en le voyant au jour, il était facile de comprendre l’amour que lui portait Madame de Chevreuse et combien le renoncement lui était douloureux mais, si beau qu’il soit, Herminie découvrit qu’elle le détestait à cause de son air dominateur et arrogant. Si la fière, la folle Marie le suivait, c’était à un maître sans doute impitoyable qu’elle allait se livrer et sacrifier ce qui faisait sa vie, celles de plusieurs autres sans compter son honneur. Alors Herminie de Lénoncourt ne bougea pas…
Et même, elle attendit un long moment que le pas des chevaux se fût éteint dans la campagne. Après quoi elle s’en alla tranquillement porter une lettre dont elle savait à présent que le destinataire ne la recevrait jamais.
Une heure plus tard, elle était de retour à Dampierre et rendait à la Duchesse le billet au sceau de cire verte.
— Il est parti ce matin, dit-elle seulement.
En voyant Marie se lever avec agitation et faire, bras croisés, quelques tours dans sa chambre, elle sentit son cœur manquer un battement, redoutant une réaction extrême : par exemple ordonner que l’on fasse ses coffres et que l’on attelle afin de se lancer à la poursuite du fugitif. Elle se dirigea vers une fenêtre donnant sur les parterres et les canaux.
— Le vent se lève, émit-elle d’une voix mal assurée. Un paysan m’a dit que nous allions avoir de la tempête !
Marie s’arrêta pile devant elle :
— Pourquoi dis-tu cela ?
— Parce que c’est la vérité. En outre, le jour baisse. Il ne va pas faire bon voyager cette nuit…
— Cette nuit sans doute, mais pourquoi pas demain ?
Herminie n’eut pas le temps de répondre : un laquais, après avoir gratté à la porte comme il convenait, entrait dans le cabinet et s’inclinait :
— Madame la Duchesse veut-elle bien recevoir Mylord Montaigu qui arrive à l’instant ?
Absorbées par leurs pensées, aucune des deux femmes n’avait prêté attention aux bruits extérieurs mais Marie eut un cri de joie :
— Lui ? Mais quelle bonne surprise ! Qu’il monte, Lebleu ! Qu’il monte tout de suite !
Elle se dirigea rapidement vers sa chambre :
— Je dois être à faire peur. Viens m’aider, Herminie !
Celle-ci, étouffant un soupir de soulagement, se dépêcha de la suivre. Décidément, les Anglais se succédaient à un rythme soutenu dans la région mais celui-là, c’était vraiment le Ciel qui l’envoyait ! Presque toute la Lorraine savait qu’il s’agissait d’un ami… très particulier de Madame de Chevreuse, un ami qui avait eu le tort de déplaire au roi Louis et qui, ces jours derniers, jouissait encore de son hospitalité dans une prison qui s’appelait la Bastille. Il y avait donc gros à parier que son prochain entretien avec Marie n’avait guère de chance d’avoir Lord Holland comme principal sujet.
Pendant quelques minutes, elle s’activa avec Anna à parer la Duchesse qui, assise devant son miroir, s’y contemplait avec inquiétude :
— Il faudrait de la poudre ! J’ai beaucoup pleuré et je crains que les traces n’en soient visibles…
— Vous semblez un peu lasse, assura Herminie, mais cela vous sied et vos yeux ne sont pas rouges.
— Tu crois ?
Au sourire qu’elle s’adressait dans la glace en touchant ses lèvres d’un soupçon de rouge, Herminie comprit qu’elle était déjà convaincue. Un instant plus tard, recoiffée et parfumée, la tête haute et les mains tendues pour accueillir, Marie allait rejoindre le dernier en date de ses amants anglais. Adressant mentalement à la Providence une fervente action de grâces, Herminie tendit l’oreille de son mieux en rangeant les précieux objets disséminés sur la table de toilette. Il y avait gros à parier, la journée étant finie, que l’on offrirait l’hospitalité du château à l’arrivant et, pour peu que celui-ci s’attarde, du temps s’écoulerait. Peut-être suffisamment pour que Marie renonce à son projet de rejoindre Holland ?
En quittant sa chambre, la Duchesse avait ordonné :
— Que l’on ne me dérange pas !
Avec un haussement d’épaules fataliste, Anna sortit en emportant la cuvette de cristal où Marie s’était rafraîchie. Herminie en profita pour aller écouter à la porte qu’elle entrouvrit mais aucun son n’arriva jusqu’à elle… sinon, au bout d’un moment, un soupir et un :
— Ma déesse ! J’ai tant souffert d’être privé de vous ! Ce baiser me rend la vie !
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