Il avait chuchoté les derniers mots contre ses lèvres et à nouveau s’emparait d’elle avec cette ardeur proche de la violence qu’elle aimait tant. Elle se laissa emporter par la brûlante tempête, pourtant son esprit ne s’y noya pas comme les fois précédentes. Une part d’elle demeura sinon froide, du moins lucide. Même à l’instant suprême qui la fit crier… La vague la submergea mais, quand elle se retira, Marie se sentit envahie par une étrange tristesse.
Lui avait réussi à conserver assez d’empire sur lui-même pour épier chaque frisson de ce beau corps dont il savait si bien jouer. Désormais sûr de lui, quand il s’en écarta il murmura :
— Il vaut mieux que je parte maintenant, mon cœur, afin d’organiser notre départ. La nuit prochaine je viendrai te chercher…
Comme au fond d’un rêve, elle s’entendit répondre :
— Non !
Il y eut un soudain silence, mais qui dura peu. Croyant avoir mal entendu, Henry interrogea :
— As-tu vraiment dit… non ?
Sentant venir le combat, Marie glissa du lit où, captive de son amour et des faiblesses de sa chair, elle se savait en état d’infériorité, ramassa sa robe de chambre et s’y réfugia sans oser regarder son amant… Celui-ci n’avait pas bougé mais s’impatientait :
— Allons, Marie, réponds-moi ! Tu refuses de me suivre ?
À son tour elle s’accroupit devant l’âtre pour tisonner le feu, ce qui lui permit de garder son visage détourné.
— C’est vrai, Henry, je refuse. Je ne peux pas partir. Pas maintenant !
— Et pourquoi pas maintenant ? Tu es chez toi mais tu n’en es pas moins exilée. Je ne vois pas ce qui peut te retenir.
Oh ! la froideur de cette voix devenue métallique ! Elle se releva, s’assit dans un fauteuil sans quitter des yeux les flammes qui repartaient de plus belle et frotta ses mains l’une contre l’autre :
— Le mot que je vais employer va sans doute te surprendre mais c’est pour moi une question de-décence !
— Tu as raison, fit-il sarcastique. Ce mot-là te va fort mal !
— Parce que tu confonds celle du corps et celle de l’âme. Même si, de cette dernière et tu le sais bien, il m’arrive de ne me soucier guère ! Mais mon époux a suivi le Roi au combat et compte, à force de bravoure, obtenir mon retour sans conditions. Je suis seule maîtresse ici où sont mes enfants. Enfin… il y a la Reine ! Nos relations sont plus étroites, encore plus confiantes qu’auparavant. Elle a besoin de moi…
— Tu sembles oublier que j’ai, moi aussi, besoin de toi ? Besoin à en crier parfois, gronda-t-il avec amertume. Partir sans toi n’aurait aucune signification. Toi seule peux m’insuffler le courage de courir une aventure, exaltante sans doute, mais dangereuse aussi ! Tu es l’inspiratrice, la compagne qu’il me faut…
Tout en parlant il attrapait ses vêtement, enfilait ses chausses, sa chemise. Marie le dévorait des yeux, luttant déjà contre l’envie de retrouver la chaleur de sa peau, la force de ses muscles. Elle réussit cependant à maîtriser cette attirance et détourna son regard :
— Tu viens de me dire que tu voulais conquérir… un empire ? fit-elle d’une voix dont le calme la surprit.
— Je l’ai dit en effet : un empire pour toi et moi !
— Et pas pour l’Angleterre ? Tu es anglais, Henry, et tu ne me feras pas croire que tu refuseras d’y planter l’emblème de ton pays… donc celui du Roi ! Oh ! il t’en nommerait gouverneur à coup sûr et ne manquerait pas d’envoyer ton épouse et tes enfants te rejoindre ! Que deviendrais-je alors ? Ta concubine ? C’est-à-dire pas grand-chose…
— Ne te fais pas plus naïve que tu ne l’es ! Chez nous le divorce existe, tu le sais, et je ferai table rase de ce qui restera derrière moi.
— Il existe chez vous mais pas chez nous. Seule la mort peut me séparer de Claude…
— Je ne te pensais pas si attachée à lui ! ricana-t-il.
— J’ai de l’affection pour lui, sans plus, mais…
— Cette passion qu’il a pour la guerre te fera certainement veuve un jour ou l’autre ! Tu n’auras qu’à attendre tranquillement ce jour-là à mes côtés. Et j’ai tant d’amour à te donner que tu ne verras pas le temps passer !
Un élan fougueux le jeta à genoux près d’elle et il l’entoura de ses bras, cherchant ses lèvres :
— Cesse de lutter contre nous deux, mon amour ! Laisse-moi t’emporter au bout du monde !
Comment lui dire que c’était justement ce bout du monde qui l’effrayait ? Encore qu’elle fût de culture plus que moyenne, elle avait lu des récits de voyageurs revenus des immenses terres d’Amérique du Nord. La vie y était plus difficile qu’en Europe, vécue souvent dans des conditions d’austérité, d’indigence parfois qui avaient de quoi l’épouvanter. Elle se voyait mal confinée dans une maison de bois, attendant le retour du guerrier dans la solitude et le dénuement, privée de ce luxe qui servait si fidèlement sa beauté, et donc vieillissant doucement auprès d’un homme que les années détacheraient d’elle… Pourtant, il était celui de sa vie : elle le ressentait. La pensée de s’en séparer pour toujours lui était insupportable… Un seul baiser de lui la faisait défaillir en lui mettant le feu au ventre. Elle voulut atermoyer :
— Ne peux-tu patienter ? Je ne peux pas partir ainsi, en laissant ma maison à l’abandon. J’ai besoin de temps…
— Et moi je n’en ai pas à te donner parce que j’ai déjà tout préparé et qu’un délai, certainement assez long, pourrait me mettre en danger ! C’est maintenant ou jamais !
— Mais enfin c’est impossible ! Une femme n’a pas le droit d’abandonner en quelques heures ce qui a fait sa vie. Un départ définitif ça se prépare…
— En avais-tu eu le loisir quand, par deux fois, la disgrâce t’a frappée ? Tu as fait face, non ?
— … mais avec la ferme intention de revenir et je disposais de suffisamment de temps pour mes bagages et ceux des serviteurs qui m’accompagnaient. Essaye de comprendre, Henry !
Il eut un petit rire méprisant :
— Comprendre quoi ? Que tu ne veux rien lâcher de tes biens, que tu es incapable de renoncer à ton « confort » comme on dit chez nous ? Même pour vivre le plus bel amour au monde, il te faut des toilettes, des domestiques et Dieu sait quoi ! La vie difficile peut-être mais si souvent exaltante des colons vous fait peur, Madame la duchesse de Chevreuse ?
Le ton persifleur, dédaigneux, fouetta l’orgueil de Marie, éveillant sa colère :
— Et pourquoi pas ? Tu exiges de moi que je renonce à tout, tu entends ? Tout ! Famille, position, affections, fortune et jusqu’à mon honneur ce que « tu » ne risques pas car on pardonne ses incartades à un homme qui s’en va courir les aventures mais pas à celle qui le suit. Si tu m’aimes autant que tu le dis, va donc le conquérir, cet empire dont tu veux me faire hommage… et puis appelle-moi !
— Et pourquoi donc ne pas attendre que j’aie construit pour toi un palais, puisque tu ne saurais t’en passer ?
— Je n’ai pas remarqué que tu vivais toi-même dans des masures et que le luxe t’était à charge ?
— Mais à moi ce n’est pas indispensable, loin de là ! Nous autres de la religion réformée ne sommes pas comme vous les catholiques : vivre dans la simplicité des premiers âges ne nous fait pas peur parce que cela plaît à Dieu. La sainte Bible nous ordonne…
— Ah non ! protesta Marie. Tu ne vas pas te mettre à prêcher maintenant ? Sois au moins logique avec toi-même : il y a un instant tu me promettais de l’or et tous les trésors de la terre, et voilà que tu veux faire de moi une puritaine ?
— Je n’en demande pas tant ! Il y faut de la vertu…
— … dont je manque mais ce n’est pas une nouvelle pour toi ? Je suis telle que je suis et c’est ainsi qu’il faut me prendre ! Je t’aime, Henry, comme je n’ai jamais aimé. Vivre avec toi est mon plus cher désir mais, je te le répète, j’ai besoin d’un peu de temps.
— Combien ?
— Est-ce que je sais ? Jusqu’au retour de mon époux afin, au moins, de ne pas avoir l’air de me sauver comme une voleuse. Je pourrai mettre de l’ordre à mes affaires…
— Combien ?
— Trois ou quatre mois…
Il revint vers elle et, s’appuyant des deux poings aux bras de son fauteuil, il lâcha :
— Je te donne dix jours ! Pas un de plus ! Le 15 de ce mois, mon navire, le Pennmarrick, partira de Greenwich à la marée du soir. Si tu es là tu me feras plus heureux et plus fort qu’un dieu. Si tu n’y es pas… je ne te reverrai de ma vie !
Il se pencha davantage, appuya sur les lèvres de la jeune femme un dur baiser puis, jetant son manteau sur ses épaules, il balaya le tapis des plumes noires de son chapeau en un salut d’un respect exagéré avant de le recoiffer :
— À bientôt, Madame ! Sinon adieu !
Un bref courant d’air, et les portes de la nuit se refermèrent sur lui…
Il laissa derrière lui une femme pétrifiée. Un long moment, Marie resta au fond de son fauteuil, inerte, quasi foudroyée. Holland venait de disparaître comme un fantôme et c’était en vain que l’oreille de la jeune femme cherchait l’écho de ses pas. Son regard demeurait rivé à ce lit bouleversé qui gardait l’empreinte de leurs corps et l’odeur de l’amour. Elle avait l’impression que sa vie à elle venait de s’arrêter, que plus jamais elle ne bougerait et qu’elle allait rester là jusqu’à la fin de ses jours, paralysée, à peine vivante puisque celui qui s’en allait emmenait la moitié de son être. Elle aurait voulu courir après lui que c’eût été impossible…
Et soudain quelque chose craqua en elle qui lui arracha une plainte tandis que montaient à ses yeux un flot de larmes qui la délivrèrent. Elle voulut se lever mais les forces lui manquèrent et elle se laissa tomber sur le tapis, à genoux d’abord puis de tout son long et là, face contre terre, éclata en sanglots si violents qu’ils lui blessaient la gorge en passant. Ce fut un abîme de désespoir dans lequel Marie s’enfonça avec la sensation terrifiante qu’elle ne pourrait en trouver le fond. C’est ainsi qu’elle perdit connaissance sans s’en rendre compte… et le silence revint dans le pavillon de l’île.
"Marie des passions" отзывы
Отзывы читателей о книге "Marie des passions". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Marie des passions" друзьям в соцсетях.