— On dirait que vous ne la connaissez pas ? fit Anne avec un haussement d’épaules. Elle vient de faire arrêter Mademoiselle de Gonzague et sa tante Madame de Longueville : on les a conduites à Vincennes !
— Quoi ?
Marie n’était pas facile à surprendre et elle savait la Médicis capable de tout et de n’importe quoi, mais la nouvelle était à n’y pas croire. Elle eut un bref éclat de rire à la pensée de ce qui se passerait quand le Roi serait informé de cet exploit. En outre, les échos des hurlements de son frère, même à distance, ne tarderaient guère à lui parvenir – mais elle reprit vite son sérieux :
— C’est insensé ! On n’arrête pas les gens sans raison ?
— Oh ! elle en avait une excellente, intervint Madame du Fargis, elle craignait un mariage secret et comme ces dames partaient pour le château de Coulommiers qui est aux Longueville, elle était persuadée que cette union était imminente. Le bruit lui était venu que Monsieur devait s’y rendre de son côté.
— Qu’en pensez-vous, Marie ? demanda la Reine.
Celle-ci s’accorda un délai pour répondre : elle réfléchissait.
— Dans un sens, dit-elle au bout d’un moment, cela fait notre affaire puisque nous ne voulons à aucun prix que Gaston se remarie. Nous nous retrouverions là où nous en étions il y a deux ans, quand nous nous efforcions d’empêcher le Prince d’épouser Mademoiselle de Montpensier. Et la nouvelle duchesse d’Orléans n’aurait sans doute pas le bon esprit de mourir au bout de peu de mois en ne laissant qu’une fille. Ce qu’il faut, c’est profiter de ce que la belle est prisonnière pour convaincre son amoureux de filer aux Pays-Bas…
— Sans elle il n’acceptera jamais !
— Si je ne me trompe pas, elle sera vite libérée. Avec l’assurance que nous ferons en sorte qu’elle le rejoigne, il devrait se laisser convaincre sans trop de peine. Jusqu’ici il a eu l’amour assez accommodant dès l’instant où son intérêt venait en balance. Est-ce que Marie-Louise de Gonzague est amoureuse de lui ?
— Il y paraît.
— Alors c’est parfait ! On les réunit à Bruxelles ou ailleurs, ils se marient avec la bénédiction de l’infante Claire-Eugénie qui pourrait promettre en cadeau de mariage d’obtenir des arrangements pour délivrer le père enfermé dans Casal ? De ce fait, le jeune couple, placé sous la protection de l’Espagne constituerait une sorte d’otage bienvenu qui pourrait peser d’un poids singulier sur la politique délirante de Richelieu… et le convaincre que c’est un crime de combattre ses coreligionnaires quand il y a encore tant à faire avec les parpaillots ?
— Au besoin, reprit Madeleine du Fargis enthousiasmée, nous pourrions, dans la foulée, revenir à notre ancienne idée : débarrasser définitivement le Roi d’un ministre aussi envahissant ?
— Pourquoi pas ? renchérit Marie.
— Vous n’oubliez qu’une chose, coupa la Reine sèchement. C’est que vous êtes en train de concocter ce que nous refusions il y a un instant : marier Monsieur !
Ces quelques mots douchèrent l’entrain des deux autres qui, à l’évidence, s’étaient laissé emporter par le mirifique projet qu’elles échafaudaient.
— C’est vrai, admit Madame de Chevreuse. Il y a là un point qu’il faut étudier mais si nous avions un moyen d’agir sur l’infante à Bruxelles, une fois les tourtereaux réunis sous son aile, il ne serait pas difficile de retarder, d’éluder le mariage jusqu’à ce que nous ayons obtenu le résultat que nous venons d’évoquer, c’est-à-dire la fin du conflit contre l’Espagne, ce maudit Cardinal et peut-être le Roi ! L’infante verrait certainement d’un bon œil un mariage entre Monsieur, devenu Gaston Ier et Votre Majesté ! Reste à trouver ce moyen…
— Mais nous l’avons, ce moyen, s’écria Madame du Fargis. Le marquis de Mirabel, l’ambassadeur d’Espagne à Paris, est aussi dévoué à notre reine qu’à une entente harmonieuse entre son pays et le nôtre… Vous devriez le voir, Duchesse !
— Je ne demande pas mieux, mais je ne peux pas venir au Val-de-Grâce toutes les deux minutes. Et à moins qu’il ne vienne à Dampierre… sous un déguisement quelconque, il s’entend !
— Cela devrait être possible…
L’horloge du couvent sonnait deux heures. Marie se leva pour partir, non sans regrets : retrouver la Reine et sa dame d’atour c’était respirer un peu, même dans la dépendance d’un couvent, l’odeur de cette Cour qui lui manquait tant parce que c’était son élément naturel. Elle ne put retenir un soupir :
— Il faut que je retourne dans ma campagne…
Anne d’Autriche comprit la tristesse ainsi exprimée. Elle prit la jeune femme dans ses bras et la tint un moment contre elle :
— Soyez certaine que je ferai mon possible pour que votre exil prenne fin et que vous reveniez auprès de moi. Le cœur me fend de vous voir partir. Je vais dire à La Porte de vous escorter…
— Non, c’est inutile…
Elle chercha un miroir pour recoiffer crânement son feutre en lui donnant une allure cavalière et sourit :
— Qui donc oserait s’en prendre à un Mousquetaire du Roi ?
Un moment plus tard, on lui ramenait Lancelot dont on avait pris le plus grand soin et l’on ressortit de la même manière que l’on était entré. Hors les murs, Marie se remit en selle. Moins lestement qu’au départ et, du coup, elle sentit de l’inquiétude : aurait-elle préjugé de ses forces ?
— Tout va bien ? demanda La Porte à qui rien n’échappait jamais. Peut-être vaudrait-il mieux que Madame la Duchesse prenne du repos et ne reparte qu’au jour ?
— Pour que mes gens s’imaginent que je me suis enfuie et crient au secours ? Il n’en est pas question ! Je dois rentrer à Dampierre où j’aurai largement le loisir de me reposer. Dites à Sa Majesté que je reviendrai aussi souvent qu’il sera nécessaire ou simplement quand elle aura envie de me voir…
Un instant encore, et elle avait disparu dans les obscurités du faubourg. Elle n’avait pas eu besoin de solliciter son cheval pour qu’il prît le galop. L’intelligent animal savait que l’on rentrait à l’écurie. Il fallait seulement, pour Marie, éviter de penser à la longueur du chemin qu’il restait à parcourir. Mais la Reine lui avait donné du grain à moudre et la jeune femme s’occupa à réfléchir aux meilleurs moyens de réussir la belle intrigue fraîchement découverte que l’on allait entreprendre. Rien de plus stimulant pour l’esprit et quand l’esprit est en ébullition, le corps suit sans même s’en rendre compte.
Cependant la fatigue était présente et, en remettant pied à terre à la grille du château, Marie dut s’accrocher à Peran pour ne pas tomber.
— Vous êtes épuisée, gronda celui-ci. Cette chevauchée nocturne était de la folie pure !
— Penses-tu ? Eh bien, je vais pourtant te dire que je suis prête à recommencer sinon demain, du moins un jour prochain…
— En ce cas, j’irai avec vous.
— Tu m’es davantage utile ici à préparer mon départ et à attendre mon retour.
— Et à me ronger les sangs en imaginant ce qui pourrait vous arriver en route ?
Cher Peran ! Il y avait beau temps que Marie savait à quel point il lui était attaché puisque cela datait de son enfance, mais comme c’était le personnage le plus silencieux, le plus taciturne qui soit, c’était bonne chose de se l’entendre dire. En récompense, elle posa un baiser léger sur sa joue râpeuse :
— Nous verrons plus tard ! En attendant je meurs de sommeil et n’ai d’autre envie que de retrouver un lit… et vite ! Lancelot aussi a besoin de repos.
— Je connais mon métier ! Vous n’aurez pas froid au pavillon…
— Tu es allé ranimer le feu ?
— Oui, mais c’était déjà fait. Quelqu’un vous y attend.
— Qui donc ?
— Vous verrez bien !
C’était l’heure sombre qui précède l’aube et il faisait trop noir pour pouvoir distinguer l’expression d’un visage. Pourtant, à la note narquoise qu’elle décela dans la voix du Breton, Marie aurait juré qu’il esquissait un sourire. Du coup, galvanisée par la curiosité et oubliant sa lassitude, elle prit sa course vers l’étang. Les planches du petit pont résonnèrent sous ses pieds bottés et la porte parut s’ouvrir d’elle-même. Deux secondes plus tard, elle était dans les bras de Henry Holland…
CHAPITRE III
LE TENTATEUR
La surprise fut telle que Marie, épuisée, perdit connaissance.
Quand elle revint à la conscience avec, dans la bouche, la brûlure parfumée de l’eau-de-vie, elle se serait crue dans un rêve si, justement, il n’y avait eu cette brûlure. Et quel rêve ! Celui-là même qu’elle faisait depuis des mois et des mois sans jamais en obtenir l’accomplissement et qui la laissait au matin haletante, frustrée, sans que ses amants – le duc Charles ou Montaigu – réussissent jamais à l’effacer. Et cette fois, elle découvrait avec un immense bonheur que tout était réel : elle était nue dans les bras d’Henry nu lui aussi et, avant qu’elle eût ouvert les yeux, il reprenait possession de son corps avec une violence égale à celle du premier soir. Il la dévorait littéralement mais elle ne fit rien pour se défendre, au contraire, parce que en dépit de sa fatigue cet ouragan de passion faisait naître en elle des sensations à la limite de la douleur mais ô combien délectables… dont le point d’orgue qu’ils atteignirent ensemble leur arracha à elle un cri, à lui un râle avant de les abandonner, haletants, dans le lit dévasté.
Ils n’avaient pas échangé une seule parole.
Le silence les enveloppa, troublé seulement par l’éclatement d’une bûche dans la cheminée. C’était le moment divin où les sens apaisés mènent doucement au sommeil dans lequel Marie, au moins, aurait dû s’enfoncer, mais par extraordinaire elle n’en avait plus envie. Etendue contre le flanc de son amant, la tête au creux de son épaule, elle laissait sa main errer lentement sur les muscles puissants d’un torse digne du ciseau d’un sculpteur, s’émerveillant de le trouver plus beau encore que dans son souvenir. Il avait dix ans de plus qu’elle mais aux approches de la quarantaine Lord Holland demeurait un splendide spécimen d’humanité, même si les traits de son visage se creusaient davantage, ce qui en accentuait l’énergie.
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