Mmes de Chevreuse et de Conti, flanquées de Mme de La Valette (ex-Mlle de Verneuil) se rendirent en cérémonie chez le maréchal d’Ornano pour lui offrir leurs compliments. Il était à nouveau malade, aussi jugèrent-elles bon de lui faire quelques visites supplémentaires afin de lui remonter le moral.
Sur ces entrefaites, l’état de grâce dans lequel baignaient Marie de Médicis, Louis XIII et Richelieu subit une atteinte dont il ne se relèverait pas : Gaston voulut rentrer au Conseil afin de pouvoir suivre par lui-même les développements de la politique et d’y mettre son grain de sel. Cela signifiait qu’il entendait se préparer au règne.
Le Roi et son ministre comprirent qu’ils étaient joués. Gaston n’avait pas trouvé cette idée tout seul. D’Ornano devait espérer prendre place dans son sillage à la table des délibérations. Ils refusèrent. Vexé, Gaston fit savoir que, tout compte fait, il n’avait pas envie de se marier… à moins qu’on ne lui donne un bel apanage, le comté d’Anjou ne représentant pas grand-chose à ses yeux. Il voulait plus, beaucoup plus ce qui, ajouté aux terres Montpensier, ferait de lui le maître d’une bonne partie du royaume… C’était inacceptable !
Depuis le départ de Henry Holland, les relations entre la Duchesse et sa suivante semblaient se poursuivre comme par le passé à cette différence près que Marie sortait le plus souvent seule et qu’Elen se rendait pratiquement chaque jour à l’église Saint-Thomas. Non pour y rencontrer le père Plessis qu’elle n’avait pas revu depuis son retour d’Angleterre – elle ne l’avait d’ailleurs pas demandé – mais parce qu’elle trouvait en ce lieu un apaisement à une douleur qui ne la quittait plus. Elle s’était crue aimée ; elle n’avait été qu’un jouet entre les mains d’un libertin sans scrupules. La blessure était profonde et mettrait sans doute beaucoup de temps à cicatriser. En admettant qu’elle y arrive un jour ! Le poison de la haine qui l’infectait empêchait le retour à la santé. Car désormais il ne restait rien de l’amitié ancienne, de cette espèce d’affection complice qui l’avait si longtemps unie à Marie. Elen en venait à la détester à cause de l’humiliation infligée par Holland en lui confiant qu’il l’avait recherchée dans le seul but d’en faire un moyen sûr d’avoir barre sur une maîtresse dont il connaissait mieux que quiconque la fascination sur les hommes. Dans un sens, Marie était aussi sa chose et il jouissait de son pouvoir sur elle, mais cette idée ne consolait pas la pauvre Elen parce qu’il y avait entre elles une énorme différence : au contraire de ce qu’il affirmait naguère, c’était Marie qu’il aimait et non Elen. Il le lui avait fait entendre sans prendre de gants. Celle-ci ne l’oublierait pas. Et pas davantage de rancune envers Marie à cause de la pitié qu’à certains moments elle croyait lire dans son regard. Et qui était insupportable à son orgueil !
Ce matin-là Elen se rendit comme d’habitude à la première messe rue Saint-Thomas-du-Louvre. Elle aimait cette heure obscure où seul l’autel mettait un peu de lumière au milieu des ténèbres réduisant les rares fidèles à l’état d’ombres incertaines. L’odeur de cire chaude mêlée d’encens masquait celle des pierres souvent humides au voisinage de la Seine.
Elen alla s’agenouiller à sa place habituelle. Elle ne priait pas, se contentant de suivre des yeux les mouvements du prêtre en chasuble verte et joignant de temps en temps sa voix à celle des autres pour les répons de l’office. Elle se laissait gagner peu à peu par l’espèce d’engourdissement qu’elle venait chercher. Il la ramenait aux cérémonies de son enfance où, assise auprès de sa grand-mère, elle s’essayait à ânonner les mots latins qu’elle ne comprenait pas et qui lui semblaient appartenir à quelque incantation. La fumée montant de l’encensoir qu’un diacre balançait d’un geste ample ajoutait à la magie. Il arrivait alors parfois à Elen de s’endormir et c’était le sacristain qui la réveillait. En effet, elle ne s’approchait plus de la Sainte Table pour ne pas avoir à étaler au confessionnal la confusion de son âme et ses rancœurs accumulées.
L’officiant venait de reposer le calice après l’Elévation quand quelqu’un s’approcha de la jeune fille. Ce n’était pas le sacristain mais le chanoine Lambert :
— Venez ! chuchota-t-il. On vous attend !
— Qui ? Le père Plessis ?
Il se contenta de répéter qu’on l’attendait. Elle se leva et le suivit mais au lieu de la précéder vers la sacristie, il la mena de l’autre côté de la nef et ouvrit devant elle la porte d’une salle qu’elle ne connaissait pas où il l’introduisit avant de la refermer derrière elle. Un prêtre enveloppé d’un vaste manteau noir à capuche était assis là près d’une table couverte d’un tapis sur lequel était posé un petit calvaire d’ébène et d’ivoire. C’était, ainsi qu’elle s’y attendait, le père Plessis mais il ne la regardait pas. Toute son attention était retenue par la Croix dont ses longues mains sèches caressaient le socle.
— Il y a longtemps que nous ne nous sommes rencontrés, ma fille, murmura-t-il, et vous avez vécu bien des aventures. Avez-vous aimé l’Angleterre ?
— Pas autant que je l’aurais voulu, mon père et j’ai peur que ce ne soit aussi le cas de la jeune reine Henriette-Marie…
— Elle n’est pas heureuse, je sais, mais on ne devient pas reine pour être heureuse…
— Elle y a cru pourtant ! L’abord de Charles et leurs premiers jours lui ont laissé espérer que son union serait une réussite. Et puis…
Elen n’ajouta qu’un mouvement désolé des mains évoquant une défaite. Un éclair passa alors dans les yeux sombres que le prêtre tournait enfin vers elle :
— Racontez ! ordonna-t-il, et sa voix était étrangement autoritaire. Je veux tout savoir de ce que vous avez vu, entendu, remarqué…
— Mais, mon père…
— Racontez ! vous dis-je. Je le veux !
En même temps, il dégrafait le manteau noir qu’il laissa tomber sur le siège découvrant une soutane rouge qu’Elen, abasourdie, contempla bouche bée.
— Monsieur le Cardinal ? réussit-elle à articuler. Votre Eminence…
Conscient de l’avoir décontenancée par son petit coup de théâtre, Richelieu l’apaisa d’un sourire et d’un geste de la main désigna un fauteuil de l’autre côté de la table.
— Allons, remettez-vous ! Je ne vous reçois pas pour vous terroriser mais pour que nous causions comme nous le faisions par le passé. Asseyez-vous !
Les jambes de la jeune femme tremblaient trop pour qu’elle tentât une révérence. Elle plia vaguement le genou avant de prendre la place qu’on lui indiquait.
— C’est que, naguère, il m’était facile de me confier à vous, Mon… Monseigneur. Je crains qu’à présent…
— … ce ne soit plus difficile parce que ma robe est rouge et non noire ?… Je suis toujours un prêtre.
— Ce serait plutôt parce que j’ai honte d’avoir osé vous raconter mes misères, moi qui ne suis pas grand-chose !
— Ne vous mésestimez pas ! C’est en écoutant les misères des humbles que l’on apprend à gouverner. Et vous n’êtes pas si humble que cela ! Votre situation auprès de Mme de Chevreuse fait même de vous un témoin privilégié…
— Beaucoup moins que vous ne le pensez, Monseigneur, et ce depuis la dernière ambassade de Lord Carleton et de Lord Holland !
— Que j’ai chassé ! Je suppose que la Duchesse m’en veut ?
— C’est trop peu dire. Je crois qu’elle exècre Votre Eminence !
— Nous essaierons de nous en accommoder. Racontez-moi votre histoire à présent… comme vous le feriez avec un vieil ami ! Il n’est pas nécessaire, cette fois, de recourir à la confession, n’est-ce pas ? A moins que vous n’ayez à vous reprocher une faute grave ?
— Si haïr est une faute grave, alors oui j’ai péché…
— Nous en jugerons ensemble. Je vous écoute.
Mal remise encore du choc ressenti en découvrant la vérité du père Plessis, elle entama son récit sur le mode hésitant mais à mesure qu’elle racontait, l’effort devenait plus facile. Le Cardinal savait à merveille écouter et en face de ce visage attentif Elen découvrit qu’il était presque plus aisé de lui livrer le fond de sa pensée qu’à la forme toujours imprécise qu’elle rencontrait dans l’ombre d’un confessionnal.
— Je suppose, fit Richelieu quand elle eut terminé, que vous ne souhaitez plus revoir un jour celui qui vous a fait si grand tort !
— Je n’en sais rien, Monseigneur, soupira la jeune femme après un instant de réflexion. Une part de moi le rejette avec horreur mais une autre rêve de le retrouver.
— C’est bien d’en être consciente et plus encore de l’avouer. En ce qui concerne Mme de Chevreuse, nous ferons en sorte qu’à moins de fuir en Angleterre pour le rejoindre, ce qui lui fermerait à jamais les portes du Louvre, elle ne le revoie de sa vie… ainsi d’ailleurs que le duc de Buckingham, mais si le désir vous venait de vous rapprocher de Lord Holland il serait possible de vous y aider… Pour le moment j’ai besoin de savoir qui la Duchesse fréquente. On me rapporte que l’on s’agite beaucoup à l’hôtel de Chevreuse alors que le Duc n’y est pas.
— Pour ce que j’en sais, il accompagne souvent le Roi à la chasse. Même quand celui-ci se rend à son pavillon de Versailles.
— En d’autres termes il continue d’ignorer ce qui se passe chez lui. Après son coup d’éclat il a choisi de se rendormir. Qui y voit-on ?
— Comme d’habitude Madame la Princesse de Conti, Mme de La Valette, Mme du Vernet et, parfois, depuis peu, Mme du Fargis…
— La nouvelle dame d’atour de la Reine ? C’est nouveau en effet… Et du côté des hommes ?
— Les ducs de Montmorency et de Nevers, le maréchal d’Ornano, qui, à deux reprises, a amené Monsieur le… comte de Soissons, le duc de Vendôme et son frère, le Grand Prieur de France…
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