— Pas grand-chose ! Depuis quelque temps j’éprouve le soir une grande lassitude… mais revenons à notre affaire !

— Parce que c’est notre affaire à présent ?

— A qui d’autre ? Dès demain je commencerai à glisser le plus souvent possible votre amoureux dans mes entretiens avec la Reine. Peu à peu, je suis presque certaine de parvenir à lui donner du goût pour lui et quand il viendra… car il viendra, j’espère ?

— Si le mariage se conclut, aucune force humaine ne l’empêchera de mener en personne l’ambassade qui viendra prendre possession de la princesse.

— Et nous ferons en sorte qu’un amour si fidèle trouve sa récompense ! Oh oui… faire connaître à cette pauvre petite les brûlures de la passion, la faire tomber dans les bras du beau George… quelle joie ce serait pour moi ! Et quelle revanche !

— Contre qui ?

— Le Roi, évidemment ! Ne vous ai-je jamais dit que je le hais ? Ajouter des cornes aux lys de sa couronne m’enchanterait !…

Sa voix devenait si dure que Henry fronça le sourcil et prit le menton de Marie pour l’obliger à le regarder ;

— Soyez prudente ! Louis n’est pas un petit sire dont on peut se moquer impunément et je serais navré que si jolie tête soit livrée au bourreau !

— Vous m’aimez donc ? Pourtant vous ne me l’avez jamais dit !

— Je vous le prouve. N’est-ce pas mieux ? Le mot aimer n’a guère de sens pour moi…

— Peut-être…

Elle aurait tant voulu, pourtant, entendre au moins une fois ce mot vide de sens…

CHAPITRE VI

OÙ BUCKINGHAM PERD LA TÊTE…

En se levant sur Paris, le soleil du 8 mai 1625 se préparait à illuminer le premier des quatre jours de gloire absolue de Claude de Chevreuse. A savoir : les fiançailles de la princesse Henriette-Marie avec le roi Charles Ier d’Angleterre. Or, le roi Charles, c’était pour cette période le bienheureux Chevreuse, chargé par lui de le représenter et d’épouser « par procuration » la plus jeune fille du défunt Henri IV. Et jamais le Duc ne s’était senti aussi fier qu’en contemplant dans un miroir que tenaient deux valets sa propre personne, revêtue d’un superbe costume de satin noir à bandes blanches scintillantes de diamants avec des aiguillettes de pierres précieuses. Jamais il ne s’était trouvé aussi à son avantage !

En effet, le prince de Galles qui courait voici peu l’aventure en Espagne s’était mué en souverain quand, le 27 mars dernier, le vieux roi Jacques Ier, son père, avait rendu l’âme dans son palais de Hampton Court. Le mariage avec la Française était alors devenu sa préoccupation première encouragée en cela par son ami Buckingham, son presque frère dont l’influence grandissait à vue d’œil. Il se trouvait que le beau duc brûlait de venir en France afin d’y remporter la plus fière victoire. Les lettres de Holland ne lui répétaient-elles pas qu’Anne d’Autriche, déjà conquise, l’attendait avec impatience ? Il avait de ce fait pressé les pourparlers du mariage.

Ce qui n’était pas si facile, Louis XIII et Richelieu à présent à la tête du Conseil royal n’entendant pas se montrer moins attachés à la religion de Rome que Philippe IV et le duc d’Olivares, même si cette union leur semblait souhaitable. A dire le vrai, Carlisle et Holland ne faisaient pas le poids en face d’un Richelieu. Celui-ci leur avait déjà arraché des mesures de clémence pour les catholiques anglais persécutés et la liberté de culte pour la future reine et sa suite, mais on butait sur le baptême des enfants à venir et les négociations traînaient en longueur. De Londres Buckingham avait alors brusqué la situation en proposant que « la première éducation des enfants serait confiée à leur mère », ce qui revenait à lui permettre d’en faire de bons petits catholiques. Et bien sûr les Français acceptèrent. Le favori n’avait plus qu’à venir cueillir les tendres lauriers que lui préparait la reine de France sans se soucier un seul instant des réactions probables du peuple anglais. Il annonça son arrivée.

Ce qui n’enchanta ni le Roi ni surtout Richelieu, trop intelligent pour ne pas l’avoir jugé à sa juste valeur : un bel homme follement vaniteux, prêt à faire tout et n’importe quoi pour se mettre en valeur et assurer son pouvoir. Malheureusement il était impossible de l’éviter.

Donc, le 8 mai se jouait le premier acte d’une pièce à grand spectacle qui allait occuper la Cour, la ville et même la France entière jusqu’au départ de la petite reine pour son nouveau pays. Les satisfactions vaniteuses de Chevreuse dureraient plus longtemps puisque à la demande de son « bon cousin Charles » il devait accompagner celle-ci jusqu’à Londres et y séjourner quelque temps. Et cette fois, sa duchesse serait de la fête. Ce qui l’enchantait.

A l’heure fixée, les ambassadeurs vinrent prendre Chevreuse dans sa chambre du Louvre pour le mener dans celle du Roi. Le lit en avait été remplacé sous un dais de velours cramoisi et à l’intérieur de la balustrade dorée isolant la moitié de la pièce par un fauteuil à haut dossier et une table. Au-delà trois autres sièges plus petits attendaient la Reine, la Reine-mère et la fiancée. Celles-ci firent aussitôt leur entrée : Marie de Médicis en noir avec voile de veuve, Anne d’Autriche en satin incarnat brodé d’or et Henriette-Marie, ravissante dans une robe en toile d’argent semée de lys d’or et rehaussée de perles.

Le Roi s’assit cependant que M. de la Ville-aux-Clercs, secrétaire d’Etat, donnait lecture du contrat de mariage annonçant le chiffre de la dot qui était de huit cent mille écus. Le duc de Chevreuse produisit la dispense papale – obtenue non sans mal par Marie de Médicis qui avait bonnement menacé le Saint-Père de s’en passer s’il ne l’envoyait pas ! – que le cardinal légat avait apportée à un train inhabituel pour une éminence. Lecture en fut donnée puis Chevreuse prit place auprès de la petite princesse et le cardinal de la Rochefoucauld procéda à la cérémonie des fiançailles.

Trois jours plus tard, le dimanche 11 mai, tout le monde se retrouvait à Notre-Dame. La cathédrale était décorée des plus belles tapisseries des collections royales et l’on avait construit, devant le portail principal, une sorte de scène de tissu fleurdelisé qu’un chemin en pente douce menait à l’entrée du chœur. En outre, ce « théâtre » était relié à l’Archevêché par une galerie couverte sur laquelle défilerait le cortège.

A neuf heures du matin, Henriette-Marie et sa mère arrivaient à l’Archevêché, où à onze heures, un carrosse de la Reine amenait Chevreuse que ses deux mentors anglais étaient allés prendre, cette fois, à son hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Pendant ce temps les corps d’Etat – Parlement, Cours des Aides, Prévôts des Marchands etc. – prenaient place dans la nef de l’église. Et l’on attendit le Roi, qui devait avec sa cour au grand complet aller chercher sa sœur à l’Archevêché pour la conduire à l’autel.

On l’attendit longtemps car il n’arriva qu’à quatre heures et demie et le cortège ne se mit en marche qu’à cinq heures. Magnifique ô combien ! En tête, encadré par Carlisle et Holland, tout de suite après le Grand Maître de la Maison du Roi et le Maître des Cérémonies, venait Chevreuse toujours en noir mais plus richement paré encore que pour le contrat. Ensuite venaient les Cent-Suisses, les gardes du corps, une fanfare composée de tambours, de trompettes et de hautbois, les chevaliers du Saint-Esprit, sept hérauts d’armes, trois maréchaux de France, une poignée de ducs et de pairs, enfin Henriette-Marie que conduisaient chacun par une main, le Roi, vêtu d’or, et Monsieur son frère. La longue traîne de la fiancée, étincelante de diamants, était portée par les princesses de Condé, de Conti et la comtesse de Soissons. Les Reines suivaient puis les duchesses de Montpensier, de Guise, de Chevreuse et d’Elbeuf, toutes en robe à traîne. On avait construit sur le parvis des tribunes pour les gens de quelque importance et pour les dames de la bourgeoisie, mais il y avait tant de monde que celle où Rubens avait trouvé place s’écroula sous le poids. Le peintre réussit à se retenir à l’un des montants de la construction, tandis qu’une trentaine de personnes étaient jetées au sol. Heureusement sans grand dommage…

Sur l’estrade, le cardinal de la Rochefoucauld procéda au mariage en plein air, après quoi le cortège pénétra dans Notre-Dame pour entendre la messe. Le pseudo-roi d’Angleterre et ses deux ambassadeurs appartenant à la religion réformée ne pouvaient y assister et se retirèrent. Pour revenir prendre leur rang à la sortie. A l’issue de la célébration on regagna l’Archevêché où un somptueux festin était préparé cependant que Paris, illuminé, se livrait à la fête, dansant dans les carrefours où les fontaines faisaient couler du vin tandis que s’allumaient les feux d’artifice et que tonnaient les canons.

Pour Marie cette journée avait été un enchantement. Durant la cérémonie dont son époux était le héros, elle avait occupé une place privilégiée. En outre elle se savait plus belle que jamais dans une robe couleur d’aurore givrée de petits diamants, écrin scintillant pour son cou et sa gorge dont aucun joyau ne masquait les contours charmants. En revanche, des étoiles de diamants étincelaient dans son épaisse chevelure. Personne n’aurait pu deviner qu’elle était enceinte et d’ailleurs elle n’y pensait même pas ! Et puis, Holland étant son voisin au souper, leurs mains s’étaient souvent rencontrées cependant que leurs jambes se frôlaient. Trop souvent peut-être pour leur paix intérieure. Ils évitaient de se regarder, mais un bref coup d’œil avait suffi à Marie pour reconnaître, sur le visage de son amant, la légère crispation qu’amenait le désir. Quand on se leva de table, il se pencha pour murmurer à son oreille :

— Cette nuit ! Dans le pavillon du jardin…