En effet l’équipée espagnole du prince Charles et du cher Buckingham – « Steenie » dans l’intimité ! – se soldait par un échec retentissant en dépit de l’accueil courtois du roi Philippe IV et de la reine Elisabeth de France[13]. Des réceptions avaient été données mais la sévère Espagne plus catholique que le Pape et son étiquette encore plus rigide voyaient d’un mauvais œil le comportement extravagant de ces Anglais protestants qu’elle considérait plus ou moins comme des suppôts du Diable. Le comble fut atteint dans une aventure décidée par Buckingham pour que l’infante Maria, sœur du Roi, pût apprécier par elle-même la galanterie et le charme de son prétendant qu’elle n’avait pas eu l’occasion de voir.
Ayant appris que l’Infante avait pour habitude de se promener le matin dans le jardin d’un agréable pavillon d’été, la Casa de Campo, l’industrieux « Steenie » tira son maître de son lit aux aurores et l’emmena jusqu’à la Casa où il réussit à l’introduire dans la partie la plus extérieure des parterres. Le verger où l’Infante venait respirer la fraîcheur de l’air matinal en était séparé par un mur de clôture et une porte fermée à double verrou. Il en aurait fallu bien davantage pour décourager l’envahisseur. Buckingham fit la courte échelle à son maître et Charles se retrouva à califourchon sur le mur d’où il put apercevoir, en effet, la charmante Maria – elle était aussi blonde que ravissante ! – errant sous les arbres escortée de sa gouvernante Doña Margarita de Tavara et d’un vieux gentilhomme chargé de veiller à ce qu’aucun incident ne vînt troubler la promenade. Ce que voyant, Charles se laissa tomber de l’autre côté, se reçut sans mal et se précipita vers l’Infante avec l’intention évidente de la prendre dans ses bras. L’effet fut immédiat : Doña Maria poussa un grand cri, ramassa ses jupes et prit la fuite en courant. Charles voulut la suivre mais il trouva devant lui le vieux gentilhomme qui, l’ayant reconnu, tomba à genoux en le suppliant de s’en tenir là et de repartir d’où il venait. Si l’on découvrait qu’il avait laissé un homme approcher la princesse, sa tête tomberait…
Il fallut bien se résigner, mais repartir par le même chemin paraissait impossible puisqu’il n’y avait plus la haute stature de Buckingham pour l’aider à grimper : Charles obtint donc de ressortir par cette porte même qu’il n’avait pu franchir et retrouva son ami de l’autre côté. Non seulement c’était raté mais il dut répondre de ses agissements devant le roi Philippe et aussi devant son redoutable ministre, Gaspar de Guzman, duc d’Olivares, qui n’avait pas pour habitude de donner dans la dentelle. Ce que le Prince entendit ce fut un ultimatum : s’il voulait l’épouser il serait d’abord obligé de se convertir au catholicisme et de jurer que les enfants à venir seraient tous reçus dans le sein de l’Eglise. L’impossible pour un prince anglais qui, s’il passait outre, mettrait en danger le trône de son père !…
Il ne restait qu’à repartir, bredouille évidemment. Cependant lors de la dernière audience qui lui fut accordée, le prince Charles entendit la reine Elisabeth lui murmurer :
— Que n’épousez-vous plutôt ma petite sœur Henriette ?
— N’est-elle pas catholique elle aussi ?
— Sans doute ! N’oubliez pas cependant qu’elle est la fille de celui qui a dit « Paris vaut bien une messe ». En outre elle est tout à fait charmante…
Ce fut la fin de l’aventure. Les héros malheureux repartirent, par mer cette fois, pour l’Angleterre où le bon roi Jacques ouvrit grand ses bras pour accueillir ceux qu’il appelait ses « chers babies » et s’efforça de les consoler. « Steenie » devint duc et pair et l’on se mit à considérer d’un œil nouveau un mariage avec la France.
— Avant peu, j’ai l’impression, confia Chevreuse à sa femme, que nous allons voir venir une ambassade chargée d’engager des pourparlers auprès du Roi et de son Conseil.
A propos du Conseil, il allait plutôt mal. Mécontent de tout et de tous, Louis XIII ne cessait d’en changer les membres, soit en les renvoyant chez eux, soit en les expédiant tranquillement en prison. Il lui fallait un homme d’Etat digne de ce nom avec lequel, ce qui était primordial, il pût s’entendre. Or il avait en aversion le cardinal de Richelieu dont sa mère – bien inspirée pour une fois mais intéressée au premier chef car elle espérait bien gouverner à travers lui ! – ne cessait de lui rebattre les oreilles. Finalement, alors que la Cour s’en était allée voir éclore le printemps à Compiègne – Marie et son époux y compris –, Louis XIII, un beau matin, pénétra chez sa mère pour lui donner le bonjour comme il le faisait régulièrement mais, ce jour-là, au lieu de s’asseoir un instant pour causer, il ne fit que traverser la chambre, tout botté et le fouet de chasse en main, pour embrasser la vieille dame et lui annoncer que l’après-midi même son cher Richelieu prendrait place au Conseil.
— Ah, mon fils ! Jamais vous ne le regretterez ! s’écria-t-elle sans imaginer une seconde que ce serait elle qui, un jour, le regretterait.
Quelques semaines seulement suffirent au Cardinal pour en devenir le chef après avoir fait une sorte de ménage en envoyant son prédécesseur La Vieuville à la Bastille sous divers chefs d’accusation. La Surintendance des Finances fut supprimée et remplacée par deux directions confiées l’une à Marillac, l’autre à Champigny, mais cela ne se fit qu’après avoir obtenu l’aval du Roi. Richelieu était trop fin diplomate et trop perspicace pour ne pas avoir retenu les leçons du passé. Envers ce jeune roi qui le regardait encore d’un œil méfiant, il se montrerait scrupuleusement respectueux de son autorité et de ses prérogatives royales. Il le tiendrait au courant de tout mais aussi lui faciliterait le travail et même les distractions comme la chasse parce qu’il savait pertinemment que sa santé devait être préservée afin d’effacer au maximum le côté atrabilaire de son caractère. Par nature, Louis XIII était indépendant et autoritaire, et ce serait l’honneur du Cardinal de laisser leur place à ce qu’il considérait comme de vraies qualités royales. Ainsi réussirait-il à trouver la manière d’inspirer à son maître les décisions qu’il souhaitait lui voir prendre cependant que lui-même abattait un ouvrage de titan en dépit d’une santé qui ne serait jamais bonne.
On en était là quand les ambassadeurs annoncés par Chevreuse arrivèrent à Paris avec une suite réduite et naturellement s’en allèrent prendre logis à l’hôtel de Chevreuse à présent terminé et qui passait pour l’une des habitations les plus agréables de la ville.
Le monumental portail d’entrée orné de statues, de pilastres et de trophées présentait de riches vantaux en bois sculpté de médaillons à personnages. Un suisse gigantesque, chamarré sur toutes les coutures, veillait là depuis une petite loge où se trouvait un râtelier abondamment fourni en armes. La cour intérieure était carrée et de style essentiellement français. Métezeau, l’architecte, s’était inspiré du Louvre de Pierre Lescot et, entre les hautes fenêtres de l’habitation, des pilastres encadraient des niches peuplées de statues surmontées de bandeaux plats à entablements. Les fenêtres à frontons de l’étage supérieur se détachaient sur l’ardoise des combles. Noble et magnifique, l’ensemble se complétant d’un vaste jardin où entre les parterres fleuris, on avait aménagé des tonnelles, des bancs de pierre et de petits bosquets où il faisait bon s’isoler – à un ou à deux ! – pour rêver, deviser, se confier et même s’abandonner à des plaisirs plus doux encore.
L’intérieur était superbe. Sous leurs plafonds peints et dorés, les diverses pièces regorgeaient de tentures précieuses, de meubles incrustés de nacre, d’ivoire ou de pierres fines, de sièges aux coussins moelleux de ce rouge corail clair que Marie affectionnait et qui ressortait si bien sur les lambris d’appui des fenêtres de l’habitation, des pilastres encadrant les niches peuplées de statues dont les bois sombres se relevaient d’or et que surmontaient des tentures de damas ou de brocart. Des cheminées monumentales en bois peint et doré réchauffaient l’atmosphère, accompagnées de centaines de bougies parfumées que l’on allumait, le soir venu, dans leurs flambeaux d’argent. Dans ce décor à faire envie à plus d’un Roi, animé par une armée de domestiques en livrée rouge, blanc et or, les Chevreuse recevaient souvent et avec une prodigalité qui laissait loin derrière les autres hôtels, princiers ou non.
C’est dans cet ensemble chatoyant, joyeux et accueillant qu’au soir de leur arrivée les envoyés anglais furent reçus par le Duc et la Duchesse avec, chez le maître de maison, une cordialité due au fait qu’il les connaissait déjà et chez son épouse une joie si forte qu’elle eut peine à la dissimuler. Le premier était le comte de Carlisle, le second le comte de Holland, tous deux pairs du royaume et proches de la famille royale. Mais ce Holland n’était autre que le beau gentilhomme entrevu le soir du ballet et dont l’image n’avait cessé d’obséder Marie, et, quand il s’inclina sur sa main, soudain froide et tremblante, elle eut un frisson au moment où il posa ses lèvres sur sa peau à peine plus longtemps qu’il ne le fallait. Elle faillit retenir cette main qui les réunissait mais garda assez d’empire sur elle-même pour n’en rien faire. Peut-être était-ce aussi à cause du regard dont il l’enveloppa et qu’elle déchiffra aisément. Lui non plus n’avait pas oublié… Profitant même de l’inattention de Claude qui échangeait des politesses fleuries avec Carlisle, il osa murmurer :
— Enfin, je vous revois après ces longs jours…
Elle lui sourit de tout son cœur, ébloui comme celui d’une adolescente à son premier battement trop rapide et, quand elle parla, sa voix fut d’une douceur exquise :
— Cette demeure est heureuse de vous recevoir, Mylord Holland… et s’il est possible, je le suis plus encore !
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