— Sors, Requin ! ordonna-t-elle.
L’homme obéit en grinçant des dents et, tandis qu’Arcadius se tournait contre la muraille, Marianne se hâta, avec un regret cependant, d’ôter manteau et robe roses. Bientôt la toilette de conte de fées fut entre les mains griffues de la vieille tandis qu’apparemment indifférente Marianne revêtait l’épaisse jupe, le caracot et les gros bas de laine qu’on lui avait apportés et s’enroulait dans le grand châle noir. Ce n’était ni neuf ni même parfaitement propre, mais c’était chaud et à tout prendre mieux adapté à la vie dans une carrière uniquement meublée de paille et de platras.
Satisfaite de son butin, Fanchon s’apprêtait à regagner les étages supérieurs. Avant de quitter le souterrain, elle lança :
— On t’apportera à manger dans la matinée, en même temps qu’à l’espèce de mulet qui te tient compagnie ! Au fait, mon joli, on n’a toujours rien à me dire ! Philomène s’impatiente, tu sais ?
— Qu’elle s’impatiente. Moi, je ne suis pas encore prêt à entrer dans la famille !
— Réfléchis, mon garçon, réfléchis bien ! Si dans une semaine tu n’es pas décidé, Philomène pourrait bien être veuve sans avoir été mariée ! Ma patience a des limites !
— Justement, fit Arcadius avec suavité, la mienne n’en a pas !
Quand la vieille et son garde du corps eurent disparu, le nouvel ami de Marianne revint près d’elle et se mit à ramasser la paille par brassées pour en faire une couche plus confortable.
— Vous devriez vous étendre et essayez de dormir, dit-il gentiment. Je n’ai guère de moyens de savoir l’heure car cette gracieuse créature m’a piqué ma montre depuis longtemps, mais le jour ne doit guère tarder à se lever. Nous n’en verrons rien, bien sûr, mais nous jouirons d’une parfaite tranquillité. Le cabaret de l’Homme-de-Fer que tient la douce Fanchon n’est guère fréquenté le jour. La nuit, par contre, ce sombre séjour jouit d’une assez intense activité. Dormez, vous êtes bien pâle et vous avez les yeux creux. Et puis, vous n’avez maintenant rien d’autre à faire.
Marianne accepta le lit improvisé que son compagnon lui offrait tandis qu’il allait remettre dans le brasero quelques bûches dont, heureusement, il y avait une bonne provision dans un coin. Roulée en boule dans son châle, elle le regarda faire avec reconnaissance. Il lui avait rendu courage, il s’était montré amical, rassurant et, surtout, il était là ! La jeune femme n’osait pas penser à ce qu’elle aurait éprouvé s’il lui avait fallu demeurer solitaire au fond de cette carrière abandonnée, dans l’obscurité, livrée à tous les phantasmes du désespoir et de la peur. Elle allait pouvoir dormir un peu, chercher dans le repos une réponse à toutes ces questions que, pour le moment, elle ne voulait pas se poser. Comment oser s’avouer, sans risquer de sombrer dans la folie, qu’elle s’était bel et bien éprise de l’homme que, depuis sa jeunesse, elle avait appris à redouter et à haïr par-dessus tout ? Elle était épuisée. Son esprit lui refusait tout service. Il fallait dormir, dormir pour y voir plus clair. Demain elle chercherait comment fuir d’ici !
L’AIGLE ET LE ROSSIGNOL
13
OU LA GRÈCE, ROME ET CARTHAGE CHERCHENT UN ALLIÉ
Quand Marianne s’éveilla d’un mauvais sommeil coupé de cauchemars, elle avait la fièvre et grelottait malgré la paille que le brave Arcadius, inquiet, avait accumulée sur elle. Sa gorge lui faisait mal et, bientôt, elle se mit à tousser.
— Vous avez pris froid, c’est certain ! se lamenta son nouvel ami. Vous étiez glacée quand on vous a apportée ici ! Il faut que l’on vous soigne !
Aussi, quand apparut le préposé à la nourriture qui n’était autre que Requin, réclama-t-il avec énergie des tisanes, des couvertures et un calmant pour la toux.
— Je n’ai pas d’ordres ! grogna l’homme. Si elle a attrapé la crève, j’en ai rien à faire !
— Mais Fanchon aura sûrement quelque chose à faire avec toi s’il arrive malheur à cette jeune dame, pour l’excellente raison qu’elle aura à en répondre au chevalier ! Si tu n’as pas d’ordres, va en chercher !
De mauvaise grâce, traînant les pieds, Requin remonta sans se presser, mais revint beaucoup plus vite portant une pile de vieilles couvertures qu’il laissa tomber sans ménagements sur Marianne. Après quoi, il tira de sa poche un premier flacon.
— Potion, dit-il.
— J’ai demandé de la tisane chaude !
— Ça va venir !
Il prit un temps. Une espèce de combat parut se livrer en lui, puis, avec un énorme soupir, il tira de sa blouse un second flacon qu’il tendit à Arcadius avec l’expression déchirante de quelqu’un qui se sépare d’un être cher.
— Rhum ! grogna-t-il.
Arcadius mira le flacon devant la flamme puis se mit à rire.
— Il en manque ! Tu as pris un acompte, hein ? Mais je ne dirai rien si tu m’apportes tout ce que je demanderai pour elle.
— Elle peut bien crever ! lança l’autre hargneux.
— Tu l’as déjà dit ! Et ça ne m’intéresse pas ! File maintenant ! Et fais ce que je demande ou je préviens Fanchon !
Avec des soins presque maternels, Jolival se mit en devoir de faire avaler un peu de potion à la malade, puis l’emmitoufla dans les couvertures. Elle se laissait faire, la tête vide, lasse à mourir, mais au bord des larmes cependant. Elle avait été si rarement malade qu’elle n’avait, devant ce subit amoindrissement de ses forces, ni patience ni endurance. Au contraire, le mal exaspérait en elle le désir de fuir, d’échapper à cette cave qui ressemblait tant à un tombeau. Et elle ne voulait pas mourir, là, comme un rat dans son trou. La crise de désespoir qui l’avait un instant terrassée la veille avait disparu. Seul subsistait, impérieux, l’instinct de conservation.
La fièvre décuplait le travail de son cerveau. Elle cherchait désespérément de quel côté pourrait lui venir le secours, car, si elle avait compris que Bruslart n’avait sur elle aucune pensée homicide, elle était beaucoup moins sûre de Morvan. Celui-là ne tolérerait pas qu’elle échappât à sa vengeance ; même s’il devait pour cela entrer en lutte avec le chevalier. A moins qu’il ne se considérât suffisamment vengé si la vieille Fanchon réussissait à réduire Marianne à l’ignoble esclavage dont elle l’avait menacée. Pour le moment, Morvan avait suivi Bruslart, avec les autres cavaliers des Ténèbres. Mais il reviendrait et, à ce moment-là, qui pouvait savoir s’il n’aurait pas réussi à convaincre le chevalier de la supprimer ? Il avait une aide sérieuse en ce baron de Saint-Hubert qui avait, pour Marianne, tant de mépris. Et, pendant des jours et des jours, pendant que la prisonnière s’étiolerait lentement dans son souterrain, ils pourraient plaider, user la résistance de Bruslart. Plus elle y pensait et plus Marianne était persuadée qu’elle n’aurait guère le choix qu’entre la Seine et la maison du Ranelagh. Il fallait fuir avant. Mais fuir où ?
— Cessez de vous tourmenter ainsi, coupa soudain la voix apaisante de Jolival. Vous pensez trop, ma chère ! Pourquoi donc l’homme tout-puissant à qui vous avez su plaire, la nuit passée, ne vous ferait-il pas rechercher ?
— J’aurais une chance s’il souhaitait me voir ce soir, mais il ne m’a pas caché que plusieurs jours, peut-être, se passeraient avant qu’il me fasse demander. Si même il le fait jamais.
— Vous vous dépréciez ! Je suis sûr qu’il pense à vous !
— Vous êtes surtout gentil, mon ami. Vous cherchez à me rassurer, mais comment croire que j’aie pu être pour lui autre chose qu’un instant de plaisir ? N’y a-t-il aucune autre femme dans sa vie ? Chez le prince de Bénévent, j’ai entendu parler d’une comtesse polonaise...
— La Walewska ? Elle en était folle, en effet. Elle a tout abandonné pour le suivre, et c’est même parce qu’elle était enceinte qu’il s’est décidé à répudier Joséphine.
— Vous voyez bien ! soupira Marianne tristement.
— La Walewska est partie. Pas depuis longtemps, mais-elle est partie.
— Parce qu’il doit se remarier, parce qu’elle ne veut pas souffrir ! Pourquoi serais-je plus heureuse qu’elle ! On l’appelait 1’« épouse polonaise ». Elle est jeune, belle, noble, et cependant il la laisse partir. Que puis-je espérer d’autre que cette unique nuit ?
Cette fois, Arcadius de Jolival ne répondit pas. « Il sait que j’ai raison, pensa Marianne, mais il ne veut pas me l’avouer. Il craint que je ne me laisse aller au désespoir... »
Une quinte de toux lui coupa la respiration. Jolival se hâta de lui faire boire un peu de potion, puis essaya de lui faire manger un peu de la soupe chaude qu’avait apportée le Requin. Mais Marianne n’avait pas faim. La seule odeur de la nourriture, pas très appétissante à vrai dire, lui soulevait le cœur.
— J’ai soif ! dit-elle. J’ai seulement soif, mais terriblement !
Hochant la tête d’un air soucieux, il lui fit boire un peu d’eau qu’il avait réchauffée légèrement au-dessus du brasero, puis, ramenant les couvertures autour d’elle, s’installa à son chevet pour attendre. Livrée au silence, à la torpeur née de sa fièvre, Marianne, pour la première fois, songea à Jason Beaufort. Elle regrettait, maintenant, d’avoir refusé ce qu’il lui offrait. Fascinée par le miroir aux alouettes d’un brillant avenir théâtral, elle n’avait pas voulu comprendre sa mise en garde. Pourtant, il avait eu raison : le danger annoncé était venu... et il ne pouvait plus rien pour elle. Quand reviendraient Bruslart et sa bande, l’Américain serait déjà en haute mer. Bien sûr il avait parlé d’un ami, le consul américain à Nantes, un certain Paterson, mais, pour la prisonnière des carrières de Chaillot, Nantes était aussi éloignée que la planète Mars. Marianne ferma les yeux, s’efforçant de ne plus penser. Cela lui faisait mal, cela augmentait sa fièvre et elle désirait désespérément guérir.
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