La déception se peignit si clairement sur son visage que Le Dru se mit à rire.
— Eh oui ! vos amis m'ont amarré aussi solidement qu'une bonne frégate. Mais, s'ils vous ont donné la clef que je vois dans votre main, ils ont peut-être également poussé la bonté jusqu'à vous confier celle qui ouvre ce joyau ?
Elle fit signe que non, murmura sombrement :
— Ils ne sont pas mes amis. J'ai su où ils cachaient cette clef. J'espérais fuir avec vous, cette nuit même.
— Fuir ? Pourquoi donc voulez-vous fuir ? N'êtes-vous pas bien ici ? Je vous ai vue partir au bras de ce démon masqué, traitée en invitée de marque et, ma parole, on vous a nippée comme une princesse. Une princesse bretonne mais, selon moi, ce sont les plus belles ! Et il faut bien avouer que cela vous va : vous êtes charmante ainsi.
— Oh ! cessez de vous moquer ! Nous ne sommes pas dans un salon. Je vous dis qu'il faut que nous trouvions le moyen de fuir, sinon nous sommes perdus, tous les deux !
— Moi, de toute façon, je le suis. Quant à vous, encore que je ne voie pas bien en quoi vous pourriez être menacée, ma chère... marquise ? C'est bien cela ?... je ne vous empêche nullement d'aller courir la campagne par cette belle nuit. Quant à moi, si vous le permettez, je vais dormir, car, après tout, on n'est pas si mal dans cette paille ! Il me reste à vous souhaiter bon voyage, mais n'oubliez pas der refermer la porte en partant. Il fait un vent du diable, cette nuit !
— Mais vous ne comprenez pas ! gémit Marianne au bord des larmes en se jetant à genoux auprès de lui. Je ne suis pas ce que ces gens s'imaginent.
— Vous n'êtes pas une aristocrate ? A qui ferez-vous croire ça ? Il suffit de vous regarder.
— Je suis une aristocrate, c'est vrai ! mais je ne suis nullement un agent du Roi. Je ne connais même rien à tout cela. On ne me parle, depuis mon arrivée, que de conspiration, d'agents des princes ou d'espions de l'Empereur... mais je n'y comprends rien... rien, je vous le jure !
Eperdue, envahie par un besoin profond de le convaincre, elle avait joint les mains, dans un geste enfantin de supplication. Il fallait qu'il la crût, qu'il redevînt son ami comme la dernière nuit, dans la tempête. Elle avait tellement besoin de sa force d'homme ! Et puis, maintenant, avec ce visage dépouillé, il lui semblait incroyablement jeune, beaucoup plus proche d'elle qu'auparavant. Il y avait en lui quelque chose de clair, de propre, qui attirait et rassurait. A bout d'arguments, elle dit, d'une petite voix timide qui, sans qu'elle s'en doutât, alla toucher quelque chose au fond du cœur fermé du garçon :
— Vous comprenez... je n'ai que dix-sept ans !
Les yeux clairs, si froids l'instant précédent, s'adoucirent. Tendant le bras, Jean enferma d'une seule main les deux mains jointes de la jeune fille et, l'attirant vers lui, l'obligea à s'asseoir dans la paille.
— Alors, dit-il doucement, explique-moi pourquoi tu as voulu fuir l'Angleterre ? Car, si tu ne « passais » pas en France, tu fuyais, n'est-ce pas ?
Elle ne répondit pas tout de suite, hésitant à lui révéler la vérité. Son expérience avec le duc d'Avaray lui avait démontré combien son histoire était fantastique et difficile à croire. D'un autre côté, elle avait trop besoin de Jean pour avoir envie de le tromper. Si elle inventait une histoire, quelque chose lui dirait qu'elle n'était pas sincère. Et puis, elle en avait assez de mentir. Se décidant brusquement, elle jeta :
— J'ai tué mon mari en duel le soir de mes noces !
— Quoi ?
Marianne comprit qu'elle avait réussi à briser la carapace d'indifférence moqueuse dans laquelle Jean s'enfermait. Avec un naïf orgueil, elle vit son regard s'effarer, prendre une couleur nouvelle. Elle devinait obscurément qu'il lui accordait d'autres dimensions qu'auparavant. Il ouvrit à peine la bouche pour demander doucement :
— Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ?
— Je sais, c'est difficile à croire, fit-elle avec – tristesse, mais c'est pourtant la vérité.
Et, poussée aussi bien par la confiance instinctive qu'elle lui accordait que par un besoin profond d'être enfin comprise, elle raconta tout ce qui s'était passé durant cette nuit de noces insensée. Elle le fit sans rien cacher, avec une ingénuité qui trouva son écho dans l'âme intransigeante du
Breton. Elle comprit qu'il ne la repousserait pas et même qu'il lui accordait sa sympathie quand, son récit terminé, il hocha la tête, et, d'un doigt timide, caressa sa joue.
— C'est dommage que tu sois fille ! Tu aurais fait un rude garçon, petite ! Capable d'en remontrer à plus d'un ! Maintenant, dis-moi pourquoi tu es en danger, pourquoi il te faut fuir d'ici ? Que t'a fait l'homme au masque ?
— Il ne m'a encore rien fait, rectifia-t-elle, touchée qu'il ne s'occupât que d'elle, mais il faut que nous trouvions un moyen de filer d'ici, tous deux, parce que nous ne pouvons rien isolément. En attendant, je suis venue vous demander de continuer à mentir avec moi. Le chef des naufrageurs croit que...
Et elle entama, cette fois, le récit de ses démêlés avec Morvan. Comme auparavant, Jean l'écouta, mais, cette fois, quand elle cessa de parler, la petite flamme chaude s'était éteinte dans le regard du Breton. Entourant de ses bras ses genoux repliés, le menton posé dessus, il remarqua :
— Si je me laisse embarquer pour l'Angleterre, je retourne au ponton ! Et, cette fois, Dieu sait quand j'en sortirai ! Et si même j'en sortirai !
— Mais il n'est pas question que vous y retourniez ! Il faut simplement gagner du temps. Si vous acceptez, moi j'arriverai bien à gagner quelques jours, quelques heures peut-être seulement, mais qui suffiront à assurer notre fuite. Tenez, jusqu'à la nuit prochaine ! D'ici là, je saurai où est la clef de cette chaîne et nous fuirons, nous fuirons tous les deux puisque j'ai un ami dans la place ! Mais si vous lui dites la vérité quand il vous la demandera, rien ne nous sauvera !
Lentement, Jean tourna la tête. Son visage figé fit couler un filet glacé le long du dos de Marianne. Est-ce qu'il se méfiait encore d'elle ? Il la regardait comme s'il cherchait à voir l'envers même de son âme. Elle voulut parler, convaincre encore, mais il la fit taire.
— Jusqu'à quel point puis-je avoir confiance en toi ? Tu représentes tout ce que je hais et tout ce que je combats. Si tu me tendais un piège, je serais perdu puisque je n'aurais plus Black Fish ! Et on a besoin de moi ! Non... fuis, cette nuit même puisque tu le peux, et laisse-moi. Je me débrouillerai toujours !
— Il n'en est pas question ! Je ne fuirai pas sans vous ! Et moins encore maintenant que vous vous méfiez ! C'est alors que vous seriez perdu ! Morvan vous égorgerait sans explication dès le lever du jour.
— Et tu tiens vraiment beaucoup à me sauver ? Pourquoi ?
Pourquoi ? A vrai dire, Marianne n'aurait pas pu l'expliquer clairement, mais, dans son esprit, c'était tout naturel. Leur fuite commune de Plymouth, les dangers courus ensemble les avaient liés l'un à l'autre. L'attitude de Jean, la protection qu'il avait donnée à sa compagne, la tendre camaraderie qu'il lui avait montrée, tout cela avait trouvé le chemin de son cœur. Elle se fût méprisée de fuir seule, l'abandonnant, sans espoir de secours, aux mains de Morvan. Mais comment lui expliquer tout cela s'il ne le comprenait pas de lui-même ?
Jean attendait, visiblement, sa réponse. Il s'était rapproché de Marianne. Elle sentait son souffle sur son cou. Très doucement, pour lire sa pensée dans son regard, il prenait son visage dans sa main, le tournait vers lui. Elle vit, de tout près, les yeux bleus qui l'interrogeaient. Les lèvres du garçon tremblèrent quand il insista :
— Réponds-moi, petite fille ! Pourquoi veux-tu me sauver ? Par pitié ?
— Oh, non ! Pas par pitié ! Mais peut-être... par amitié.
— Ah ! Seulement par amitié.
Il semblait déçu. Sa main glissa à regret le long du cou de Marianne, passa sur la rondeur de l'épaule, s'arrêta au bras comme s'il ne pouvait se décider à l'abandonner tout à fait. Marianne eut peur de lui avoir fait de la peine. Elle demanda :
— Est-ce que vous n'êtes pas content que je sois votre amie ? Nous avons tellement couru de dangers ensemble... et puis vous m'avez sauvée quand ces hommes voulaient me tuer sur la plage.
— C'était tout naturel ! Je n'allais pas te laisser égorger comme un mouton sans défense sous mes yeux. N'importe quel homme de cœur en aurait fait autant.
— Je crois que la difficulté est, justement, de rencontrer des hommes de cœur. Quoi qu'il en soit, c'est décidé : Je reste avec vous.
Jean ne répondit pas. Le silence s'installa entre les deux jeunes gens, si profond que Marianne croyait entendre les battements de son cœur. Il faisait chaud dans cette grange et la main abandonnée sur son bras était chaude, elle aussi. Elle en sentait la chaleur à travers le tissu de sa manche et, sans trop savoir pourquoi, en tirait une sorte de réconfort.
La flamme de la bougie vacillait. Elle n'en avait plus pour longtemps à brûler, mais Marianne n'avait pas envie de s'en aller. Elle sentait que tout était dit, que, sans le lui dire, Jean avait accepté, mais elle trouvait doux de s'attarder auprès de lui. Au-dehors, le vent hurlait autour de la grange, mais, dans ce creux de paille, on était bien. C'était un havre de calme au milieu d'un univers tourmenté, mais Marianne s'efforçait de ne pas regarder la chaîne qui rivait Jean à la muraille. Elle avait lu une histoire dans laquelle une fille amoureuse vient, la veille de son exécution, rejoindre dans sa prison son fiancé condamné à la potence. Cette nuit, c'était un peu comme dans l'histoire dont elle avait oublié le nom. Bien sûr, aucun échafaud ne se bâtissait au-dehors, mais un ordre de Morvan pouvait, à tout instant, transformer l'un de ses hommes en bourreau.
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