ACTE I, scène 4
La même chambre, après l'amour. Anne et François sont au lit, dans les bras l'un de l'autre.
ANNE. — C'était comment avec elle ?
FRANÇOIS. — Quoi ?
ANNE. — L'amour.
FRANÇOIS. — Pourquoi veux-tu savoir ?
ANNE. — Parce que.
FRANÇOIS (mal à l'aise). — C'était pas mal.
ANNE. — Mieux qu'avec moi ?
FRANÇOIS. — Non. Toi, je t'aime.
ANNE. — Comment cela a commencé ?
FRANÇOIS. — Elle m'a allumé.
ANNE. — C'est-à-dire ?
FRANÇOIS (embarrassé). — Eh bien, elle m'a fait comprendre qu'elle voulait…
ANNE. — Qu'elle voulait bien.
FRANÇOIS. — Oui, c'est ça.
ANNE. — Et puis après ?
FRANÇOIS. — Tu veux tout savoir ?
ANNE. — Tout.
FRANÇOIS. — Cela va te faire du mal.
ANNE. — J'ai déjà mal. Je ne peux pas avoir plus mal.
FRANÇOIS. — Elle est venue dans ma chambre d'hôtel, un soir.
ANNE. — Pour quoi faire ?
FRANÇOIS. — Pour me rendre un dossier.
ANNE. — Elle aurait pu attendre le lendemain matin.
FRANÇOIS. — Oui, elle aurait pu.
ANNE. — Mais elle ne l'a pas fait.
FRANÇOIS. — Non, elle est venue me le rendre ce soir-là. Et puis voilà.
ANNE. — Et puis voilà quoi ?
FRANÇOIS. — Elle s'est assise de façon suggestive sur le lit.
ANNE. — Suggestive ?
FRANÇOIS. — Elle me montrait ses jambes. Et ses cuisses.
ANNE. — Qui sont comment ?
FRANÇOIS. — Pas mal.
ANNE. — Et puis alors ?
FRANÇOIS. — Nous avons commandé quelque chose à boire.
ANNE. — Continue.
FRANÇOIS. — Tu le souhaites vraiment ? Anne. — Oui.
FRANÇOIS. — Puis elle m'a dit qu'elle était attirée par moi, et qu'elle m'aimait.
ANNE. — Et tu l'as crue ?
Une pause.
FRANÇOIS. — Il était trop tard.
ANNE. — Que veux-tu dire ?
FRANÇOIS. — Elle ne m'a pas donné le temps de réfléchir. Elle s'est ruée sur moi.
ANNE. — Et puis ?
FRANÇOIS. — Elle a ouvert ma braguette. Anne. — Ne le dis pas !
Un bref silence.
ANNE. — Si, dis-le.
FRANÇOIS. — Elle m'a… (Il hésite).
ANNE (horrifiée). — Elle t'a quoi ?
FRANÇOIS (à voix très basse). — Elle m'a fait ce que tu penses.
Silence.
ANNE (incrédule). — Tu t'es laissé faire ?
FRANÇOIS (penaud). — Oui.
ANNE. — Tu n'as pas essayé de résister ?
FRANÇOIS. — C'était au-delà de toute résistance possible et imaginable.
Un silence plus long.
ANNE (d'une voix étranglée). — Et après ?
FRANÇOIS. — Elle m'a demandé de lui faire l'amour.
ANNE (ironiquement). — Et toi, comme un gentil garçon, tu t'es appliqué à obéir.
FRANÇOIS (gêné). — On ne devrait pas parler de tout cela, cela te fait du mal, et à moi aussi.
ANNE. — Une dernière question…
FRANÇOIS. — Quoi ?
ANNE. — C'était donc bien son odeur que j'ai sentie, et que ta fille a sentie ?
FRANÇOIS (honteux). — Oui.
ANNE. — Donc j'ai eu raison. Tu as passé une semaine à baiser cette femme.
FRANÇOIS (à voix basse). — Oui. Mais c'est fini.
ANNE. — Qu'est-ce que j'en sais, moi, si c'est fini ? C'était chouette, cette partie de jambes en l'air ! Vous avez peut-être envie de recommencer ?
FRANÇOIS. — Non. Elle est mariée.
ANNE. — C'est du propre !
FRANÇOIS (un peu pompeux). — Nous savions bien que c'était purement sexuel. Elle m'a expliqué qu'elle ne voulait pas que cela aille trop loin. Nous en étions conscients. C'était simplement une histoire de rut.
ANNE (cinglante). — Tu peux dire « de cul ».
Elle se lève, se rhabille et prend son sac.
FRANÇOIS. — Où vas-tu ?
ANNE. — Dormir à l'hôtel. (Arrivée à la porte, elle se retourne.) Petit conseil pour la prochaine fois. Pense à bien laver tes vêtements avant de rentrer, ou alors choisis une fille aux odeurs plus modérées. Ça doit exister. (Elle sort et referme la porte derrière elle).
François tend l'oreille. La porte d'entrée claque. Il lit son magazine pendant quelques instants, en sifflotant. Puis il décroche le combiné du téléphone et fait un numéro.
FRANÇOIS. — Allô ? C'est moi. Elle sait tout. (Silence.) Elle est partie dormir à l'hôtel. Non, elle n'est pas contente. C'est normal. Cela lui passera. Je ne suis pas inquiet. (Pendant qu'il parle, la porte s'ouvre doucement, et Anne entre sur la pointe des pieds. Il ne la voit pas. Elle reste debout, près du lit.) Ce n'est pas le genre à trop s'énerver. Elle est plutôt calme, en général. Mais elle m'aime, qu'est-ce que tu veux. Il faut que je lui fasse un grand numéro de charme. Et ton mari ? Il ne se doute de rien ? Il doit être bien plus idiot que ma femme ! On se voit demain ? Même endroit, même heure ? Je serai là. Comme d'habitude. Au revoir, ma douce.
François raccroche. Avec un soupir de satisfaction, il se retourne. Puis il aperçoit sa femme, bras croisés devant le lit. Alors qu'il pousse un cri de surprise et de terreur, le rideau tombe.
Fin.
IX. LA JALOUSE
« Les gens qui aiment ne doutent de rien,
ou doutent de tout. »
Honoré de Balzac (1799-1850),
Une ténébreuse affaire.
Rue Raynouard, mardi.
Eugénie,
C'est fini.
Ce n'est plus un mariage.
C'est un enfer.
Notre amour est réduit à une misérable peau de chagrin.
Ta façon de m'aimer, si particulière, si démesurée, nous a achevés.
Je n'ai jamais douté de ton amour, crois-moi. Mais ce genre d'amour-là, je n'en veux plus.
Eugénie, je te l'ai toujours dit, et je te le redis ici, tu es pathologiquement jalouse.
Pendant six ans j'ai supporté cette jalousie dévorante, tes soupçons, tes accusations, tes scènes, tes sanglots, tes rages, sans parler de toutes ces fois où tu m'as suivi, à pied, en voiture, où tu as fait mes poches, fouillé dans mes affaires, regardé mon agenda, étudié mes relevés bancaires, débarqué à mon bureau à l'improviste, humé mes cols, frémi à la vue d'un cheveu suspect.
Chaque détail infime de notre vie quotidienne devient une pièce à conviction et fait naître en toi, encore et encore, cette sourde rumeur : « Il me trompe ! il me trompe ! il me trompe ! »
Un banal numéro de téléphone, griffonné sur un chéquier, sur un ticket de métro, ou sur un bout de papier égaré, ne manque pas de te mettre dans des états seconds.
Dans ces moments-là, tu es capable du pire.
Capable de composer ce numéro pour insulter la personne qui répond.
Si c'est un homme, tu lui apprends que sa femme le trompe avec moi.
Si c'est une femme, tu la traites de tous les noms.
La dernière fois, c'était un garagiste, la fois d'avant, ma conseillère fiscale.
Les fois précédentes, je m'efforce de les oublier.
Eugénie, c'est bien fini.
Tu m'empoisonnes l'existence.
Comment vivre avec quelqu'un qui appuie sur la touche « bis » du téléphone dès que je raccroche, qui écoute chaque jour le répondeur à la recherche d'un message mal effacé, et qui ouvre mon courrier ?
Penses-tu que nos filles auront plus tard une conception saine du mariage et de l'amour ?
Que fais-tu de la confiance ?
Connais-tu seulement ce mot ?
J'aurais dû te quitter quand Ève m'a appelé au bureau, peu de temps après notre mariage.
Elle était gênée et ne voulait rien me dévoiler par téléphone.
Nous avions pris rendez-vous dans un café.
— Je crois que ta femme m'en veut.
— De quoi ? Vous ne vous connaissez pas !
— D'avoir été ta petite amie.
— Mais c'était avant notre mariage !
— Elle m'en veut quand même.
Elle me raconta alors cette histoire invraisemblable.
Sa voiture, qu'elle garait dans le parking de son domicile, eut pendant deux semaines les quatre roues régulièrement crevées.
Puis elle trouva des mots orduriers sous les essuie-glaces.
Ensuite, elle reçut des lettres anonymes, dans le même style, chez elle et à son bureau.
Ève ne comprenait pas qui lui en voulait à ce point.
Un jour, grippée, elle ne se rendit pas à son travail.
De son lit, elle entendit des bruits étranges sur le palier.
À pas de loup, elle s'approcha de la porte d'entrée et, à travers le judas, elle vit une jolie jeune femme, portant des lunettes noires, qui rôdait à l'étage.
La jeune femme sonna.
Ève retint son souffle.
La jeune femme sonna une dernière fois, puis s'en alla.
Devant la porte, incrustée dans le paillasson, il y avait une énorme et odorante crotte de chien.
Ève, de sa fenêtre, regarda s'éloigner la jeune femme, puis la vit s'engouffrer dans une voiture.
Elle releva le numéro d'immatriculation.
Je te fais grâce de la fin de l'histoire, que tu connais aussi bien que moi.
Tu t'es confondue en excuses.
Tu m'as dit être si amoureuse de moi, si folle d'amour, que tu étais devenue jalouse de mon passé et des femmes que j'ai pu aimer avant toi.
J'aurais dû m'inquiéter à ce moment précis.
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