François se dresse dans le lit d'un bond et la regarde avec stupéfaction.
FRANÇOIS. — D'un sexe de femme ? Tu veux dire que je sens la chatte ? Tu es folle, ou quoi ?
ANNE. — Ne sois pas vulgaire ! Ce n'était pas ton odeur naturelle, et Gaby l'a remarqué, même avant moi. C'était très fort, et tons les vêtements en étaient imprégnés. J'ai trouvé cela bizarre.
FRANÇOIS (se grattant la nuque). — C'est bizarre.
ANNE (faisant des nœuds avec le cordon de son peignoir). — Et là, en reniflant ta nuque, je constate que tu portes toujours cette odeur. Oui, c'est une odeur de chatte. Sur ton cou. Juste là. (Elle touche le cou de son mari.) Comment expliques-tu cela ?
FRANÇOIS (touchant son cou avec un mouvement de défense). — Oui, c'est bizarre…
Anne attrape les doigts de son mari et les porte à son nez.
FRANÇOIS. — Aïe ! Que fais-tu ?
ANNE. — Je renifle tes doigts.
FRANÇOIS. — Mais pourquoi ?
ANNE. — Pour voir s'ils sentent la chatte. (Elle renifle énergiquement.) Ils sentent le savon. (Elle a l'air déçu).
FRANÇOIS (dégageant sa main). — Encore heureux ! Tu dérailles, ma pauvre.
ANNE (à voix basse). — J'ai l'impression, en respirant cette odeur, que tu as passé la semaine entière entre les cuisses d'une femme.
FRANÇOIS (reprenant son magazine). — Arrête, veux-tu, Anne ? Tu vas continuer toute la nuit, ou quoi ?
ANNE. — Je voudrais te poser une question.
FRANÇOIS (soupirant). — Quoi ?
ANNE. — Est-ce que tu m'as déjà trompée ?
FRANÇOIS. — Mais, non, enfin ! C'est inouï ! Je rentre de voyage, fatigué, heureux de retrouver ma famille, et ma femme et ma fille fouillent mes affaires, décrètent que je sens le sexe, du coup, on m'accuse d'être infidèle !
ANNE (très calme, bras croisés sur la poitrine). — Je ne t'accuse pas, je te pose simplement une question. Oui ou non ?
FRANÇOIS (excédé). — Non, Anne ! Je ne t'ai jamais trompée. J'ai failli, mais je ne l'ai pas fait.
ANNE. — En dix ans de mariage, tu ne m'as jamais trompée ?
FRANÇOIS. — Eh bien, non.
ANNE. — Eh bien, je ne te crois pas.
FRANÇOIS. — Pendant dix ans, tu m'as cru !
ANNE. — J'avais des doutes. Je fermais un peu les yeux. Mais là…
FRANÇOIS (furieux). — Mais là, quoi ?
ANNE. — Cette odeur de sexe…
FRANÇOIS. — Tu es folle. Complètement folle.
ANNE (se tournant vers lui). — Écoute, François. On ne va pas se taper dessus. On ne va pas se mentir, comme la plupart des couples. Je ne supporte pas l'idée que tu me mentes. Alors dis-moi la vérité. J'essayerai de comprendre. Si tu persistes à me le cacher, cela sera encore pire. Je finirai par l'apprendre de toute façon. Dis-moi la vérité. Maintenant, s'il te plaît.
FRANÇOIS (se renfrognant). — Je n'ai rien à ajouter.
Anne le fixe encore quelques instants. Puis elle se tourne, enlève son peignoir, se met dans le lit et éteint sa lumière, sans un mot. François s'efforce de lire pendant quelques instants, puis se met dans le lit, éteint sa lumière, ainsi que la télévision. Le silence et le noir sont complets.
ACTE I, scène 3
La même chambre, quelques instants plus tard François, allongé sur le dos, ronfle. Anne s'assied et rallume la lumière. Elle reste assise en tailleur, observant son mari. Finalement, elle le secoue.
FRANÇOIS (ahuri). — Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
ANNE (d'une voix morne). — Je veux que tu me dises la vérité.
FRANÇOIS (fermant les yeux). — Tu ne vas pas recommencer ! C'est pas vrai !
ANNE (avec la même voix). — Je ne te lâcherai pas de la nuit. Dis-moi la vérité.
FRANÇOIS (agacé). — Écoute, Anne, je dois me lever tôt demain matin. Arrête tes âneries et laisse-moi dormir.
ANNE. — La vérité.
FRANÇOIS (furieux). — Mais tu la connais, la vérité ! (En détachant chaque syllabe.) Je-ne-t'ai-ja-mais-trom-pée ! Je ne vais quand même pas te dire le contraire, non ?
ANNE. — Tu mens.
FRANÇOIS (hilare). — Je mens ! Je mens ? Ah oui ! C'est ça. Madame sait tout ! Madame croit tout savoir.
ANNE. — Quand tu mens, tu ne me regardes plus dans les yeux.
FRANÇOIS. — Dis tout de suite que j'ai le nez qui pousse, comme Pinocchio !
ANNE (d'une voix douce). — Écoute, François, je te supplie de me dire la vérité. Je te promets que j'essayerai de comprendre. Ce que je ne supporte pas, ce sont tes mensonges. Ce n'est pas bien grave, que tu m'aies trompée. Toutes les femmes savent que leur mari peut avoir un jour une envie. Je sais tout cela. (François se lève et fait les cent pas, bras croisés sur sa poitrine.) Cela doit être difficile pour toi de me dire la vérité. Si tu as peur de me faire souffrir, c'est parce que tu m'aimes. Je suis là pour te comprendre, je suis ta femme. Tu dois te confier à moi. Pense à ta fille que tu aimes tant, et qui t'aime tant. Nous sommes une famille unie. Nous devons le rester. Sans mensonges. En toute vérité. (Un silence s'installe. François s'est assis dans le fauteuil. Il regarde ses orteils. Anne sort du lit et vient se mettre à ses pieds.) N'aie pas peur de parler, François. Ensemble, nous essayerons de repartir sur de nouvelles bases. Nous reconstruirons notre mariage. J'essayerai d'être plus tolérante, plus compréhensive. Nous sommes jeunes. Nous avons du temps devant nous. On s'est mariés à vingt ans. On était des gamins. J'étais enceinte de Gabrielle. Tu ne regrettes pas de m'avoir épousée ?
FRANÇOIS (secouant la tête). — Mais non, mais non.
ANNE (lui prenant la main). — Alors parle-moi. N'aie pas peur.
FRANÇOIS (regardant toujours ses pieds et parlant très rapidement). — C'est une secrétaire de mon bureau. (Anne se fige).
ANNE (figée). — Quoi ?
FRANÇOIS. — Elle était de ce voyage. (Anne ne dit plus rien.) Elle m'a fait des avances. Je n'ai pas pu lui résister.
ANNE (se levant et marchant dans la pièce). — Je la connais ?
FRANÇOIS. — Non.
ANNE. — C'est quoi, son nom ?
FRANÇOIS. — Madeleine Sablé.
ANNE. — Quel âge a-t-elle ?
FRANÇOIS. — Notre âge.
ANNE (ne le regardant toujours pas). — Comment est-elle physiquement ?
FRANÇOIS (se grattant la tête, d'une voix hésitante). — Elle est plutôt mignonne.
ANNE (se tournant vers lui en hurlant). — Salaud ! (Elle lui assène une gifle violente.) Espèce de porc ! Je te hais ! Je te déteste…
FRANÇOIS (lui attrapant les mains). — Anne, calme-toi ! Je t'en supplie, calme-toi.
ANNE (le regardant avec haine). — Ah, tu croyais que j'allais te pardonner, hein ? Tu pensais que j'allais te dire : mais mon chéri, ce n'est pas grave, je te pardonne, ne t'en fais pas, viens, mon chéri, viens te coucher. (Haussant le ton) C'est bien fait pour toi ! Tiens ! (Elle lui donne un coup de pied) Tiens ! (Un autre.) Je vais te tuer ! Salaud !
FRANÇOIS (l'immobilisant avec peine). — Arrête, Anne ! Arrête ! Tu vas réveiller ta fille !
ANNE (tentant de se dégager). — Je m'en fiche ! Je lui dirai que son père est une ordure ! Un salaud, un monstre, une crapule ! Je te hais ! Je voudrais te tuer !
François la gifle. Elle s'effondre sur le lit en pleurant. François la regarde quelques instants, puis s'assied à côté d'elle. Il lui caresse les cheveux. Elle sanglote, puis se relève.
ANNE. — Ne me touche pas ! Va-t'en ! Sors d'ici ! Va retrouver ta pouffiasse ! Fous le camp !
FRANÇOIS. — Anne, calme-toi. Pardonne-moi, je t'en supplie, pardonne-moi.
ANNE (sanglotant). — C'est trop tard ! Tu as détruit notre mariage !
FRANÇOIS. — Ne dis pas cela. Je t'ai fait du mal, c'est vrai, mais je te promets que je ne recommencerai plus.
ANNE. — Je ne te crois plus, François. C'est fini, tu entends ? Fini ! Boucle tes valises et pars ! Je ne veux plus te voir !
FRANÇOIS. — Tout à l'heure tu as parlé de compréhension, et de vérité. Tu voulais que je te dise tout, et je l'ai fait. Tu voulais même qu'on reparte à zéro. Et maintenant tu me mets à la porte !
ANNE (trépignant de rage). — Ce que j'ai dit tout à l'heure n'a aucune importance. L'important, c'est que tu es un traître, et un lâche. Dehors !
FRANÇOIS (soupirant). — Anne, s'il te plaît… Parlons, discutons. Je sais que j'ai eu tort, mais…
ANNE (hurlant). — Dehors !
FRANÇOIS (résigné). — Je vais dormir dans le salon.
ANNE (hurlant). — Je m'en fiche où tu dors ! Disparais ! Tu prendras tes cliques et tes claques, et tu iras où tu voudras, chez ta mère, ou chez ta bonne femme, mais pas ici, tu entends ? Pas ici !
FRANÇOIS (prenant un oreiller). — Ça va, j'ai compris. Je m'en vais. Tu vas réveiller l'immeuble entier.
ANNE (lui jetant l'autre oreiller). — Je m'en fiche !
François ferme la porte derrière lui Anne se jette sur le lit en pleurant. Au bout de quelques instants, elle se calme. Elle reste sur le lit à hoqueter, abattue. La porte s'entrouvre. C'est François.
FRANÇOIS (doucement). — Ça va mieux ? (Elle ne dit rien. Il s'approche et la prend dans ses bras. Elle ne se débat pas. Il l'embrasse.) Je t'aime, tu sais. (Elle le serre dans ses bras et pleure à nouveau. Puis ils s'embrassent passionnément et basculent sur le lit).
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