L’imagination de Rose Bertin se donnant libre cours, la Reine peut avoir chaque jour une nouvelle robe ou une nouvelle coiffure. Ce sera le temps des poufs « au Sentiment », à l’« Inoculation », à la « Belle Poule », au « Janot », à la « Cagliostro », des polonaises à la « Poulette », à l’« Héroïsme d’Amour », des bonnets aux « Soupirs étouffés » à « l’Esclavage brisé », aux « Relevailles » (celles de la Reine) aux « Plaintes amères », à la « Bonne Maman », etc. Ce fut aussi le temps des coiffures à la « Quès Aco » sommées de plumes si longues que pour les porter, les élégantes ne pouvaient se tenir qu’à genoux dans leurs carrosses. Une folie de colifichets, une tempête de fanfreluches et d’idées folles soufflèrent sur les têtes féminines car, naturellement, toutes les femmes rêvaient de copier la Reine et cela leur coûtait fort cher.
Imperturbable, Rose continuait à accumuler sur la tête de ses clientes fleurs, légumes, bateaux, tout ce que l’actualité lui inspirait plus, bien entendu les plumes, toujours les plumes, encore plus de plumes au point que l’impératrice Marie-Thérèse, soupirant sur les folies de sa fille, l’appelle dans une lettre « la tête emplumée ».
Marie-Antoinette aime beaucoup sa modiste et lui réserve toujours le plus charmant accueil, d’où des jalousies que la vanité de Rose ne fait d’ailleurs rien pour adoucir. Elle règne, un point c’est tout et c’est ainsi que Marie-Antoinette devra s’entremettre personnellement pour que Mlle Bertin consente à travailler pour la princesse de Lamballe qu’elle n’aime pas.
Bientôt, elle habille presque toute l’Europe. Chaque saison, des poupées revêtues de ses dernières créations partent pour la Russie, le Portugal, l’Angleterre. Elle prépare le trousseau de l’infante de Portugal, habille la duchesse de Marlborough, des princesses espagnoles, la princesse de Wurtemberg, la Cour de Suède, celle de Savoie et bien d’autres. Elle finira par arracher à Mlle Pagelle sa dernière cliente : la comtesse Du Barry toujours ravissante.
Tout cela bien sûr représente beaucoup d’argent mais Rose devient moins riche qu’on pourrait le croire car ses clientes ne sont pas toutes bonnes payeuses et la Reine elle-même fait un peu traîner ses factures. Néanmoins, Rose s’offre une belle propriété à Épinay, une maison rue du Mail et transporte le Grand Mogol devenu trop petit rue de Richelieu… en avril 1789.
Hélas, le 14 juillet n’est pas loin et bientôt les belles clientes prennent le chemin de l’immigration en oubliant bien sûr de payer leurs dernières notes. Néanmoins, Rose Bertin reste fidèle à sa Reine avec un beau courage. Quand elle est prisonnière, c’est elle qui continue à la fournir mais il n’est plus question de luxe. Le dernier bonnet livré en mars 1793 sera celui que Marie-Antoinette portera pour marcher à l’échafaud… Aucun fournisseur, jamais, n’aura eu ce geste royal : quand le danger est venu rôder autour de la Reine, Rose Bertin a entassé ses factures dans sa cheminée et y a mis le feu afin que l’on ne puisse trouver chez elle d’autres motifs d’accusation. Mais après la mort de la Reine, Rose enfin s’éloigne.
Quand elle revient en 1795 et se fait rayer des listes d’émigration, elle n’a plus guère d’argent et aimerait rouvrir sa maison mais, avec la nouvelle mode gréco-romaine, Mlle Bertin fait un peu figure de vieille lune.
Elle le comprend, ne s’obstine pas et, quittant définitivement Paris, elle s’installe dans son domaine d’Épinay où, entourée de ses neveux et des quelques amis fidèles que son cœur généreux a su lui donner, elle regarde se dérouler sous ses yeux la grande aventure de l’Empire. Lorsqu’elle meurt, le 22 septembre 1813, c’est Leroy qui règne sur la mode…
On l’appelait : « Imperia »
LUCREZIA COGNATI
Un diamant brut…
Au cours de la dernière année du XVe siècle, on ne parle, à Rome, que de la mystérieuse maîtresse du vieux Paolo Trotta que ce Crésus cache jalousement. Ce qu’on en sait est peu de chose : elle s’appelle Lucrezia Cognati, elle vient du Borgo Nuovo où sa mère, la Dianora, exerce toujours le métier de courtisane. Son père, un amant de passage, était un Grec dont la mère prétendait qu’il était prince mais dont elle ne connaissait qu’un nom : Pâris. Il est vrai qu’avec un nom pareil… Mais au Borgo Nuovo, personne ne voyait jamais Lucrezia, cachée dans l’espoir de trouver le riche amateur de chair fraîche. Ce fut Trotta qui, en échange d’une grosse somme, emmena la petite chez lui où elle vit depuis gardée par des serviteurs muets achetés au marché aux esclaves de Venise.
Rome grille de curiosité et plus que tout autre le pape Alexandre VI. Pour ce Borgia amateur de femmes qui remplit le Vatican de ses enfants naturels, ce genre de mystère est prodigieusement excitant. Aussi le Saint-Père, intrigué par la merveille cachée décide-t-il d’en inviter le protecteur à un petit souper intime dans le but d’en savoir un peu plus. Si cette Lucrezia (il aime ce nom-là qui est celui de sa fille) était aussi belle qu’on le prétend ?
Connaissant son hôte, le vieil homme pourrait s’efforcer d’en minimiser l’écho mais il emploie une autre tactique. En effet, on n’est jamais certain de sortir vivant d’un souper chez le Pape et celui-ci pourrait fort bien se débarrasser de lui pour envoyer ensuite chercher la jeune femme. Alors il rayonne de satisfaction. Il exulte : sa trouvaille est cent fois, mille fois plus belle que tout ce que l’on peut imaginer mais s’il la cache c’est parce qu’elle n’est pas encore prête à tenir la place à laquelle il la destine. C’est un diamant brut qui, une fois poli et taillé, illuminera la nuit romaine. Lucrezia est encore gauche, ignare presque fruste, indigne en tout cas d’être présentée à un prince aussi raffiné que le Pape. Pour l’instant, on lui apprend les arts, la danse, le chant, l’art de s’habiller… et de se déshabiller. Encore quelques mois et, Trotta en fait le serment, il viendra lui-même la conduire au pied du trône pontifical…
Tout ce qu’il veut, au fond, c’est gagner du temps et ce temps, Alexandre VI le lui accorde benoîtement. Quelques mois… mais pas plus ! Or, Dieu, lui, ne les lui accorde pas et peu de temps après, le vieil homme meurt subitement dans les bras de Lucrezia, laissant à son neveu une grande fortune, des terres, un palais… et sa belle maîtresse ! Lorsque le jeune Trotta vient prendre possession de tout cela, il est subjugué par cette créature véritablement hors du commun. Lucrezia est plus que belle. Son corps digne du ciseau de Praxitèle présente un visage aux traits infiniment purs couronné d’une invraisemblable chevelure d’or qui, dénouée, l’enveloppe tout entière ; son teint est d’ivoire rosé et ses yeux immenses ont la couleur des plus belles aigues-marines. En outre, on lui a donné une éducation digne d’une princesse.
Gian-Paolo Trotta est donc tombé follement amoureux de son héritage mais il n’a pas la prudence de son oncle et ne résiste pas à l’orgueilleux plaisir de l’exhiber dans un festin qu’il donne pour célébrer son bonheur. Le premier convié sera le Pape qui viendra sous un déguisement de cavalier qui ne trompe personne. Et Lucrezia paraît vêtue d’une robe de brocart d’or qui sert d’écrin à des épaules et à des seins parfaits. Ses cheveux dénoués, à peine retenus par un cercle de pierreries coulent derrière son dos comme une rivière dorée. À son entrée un grand silence s’est fait. Stupeur, émerveillement, en un instant, elle a cent cinquante amoureux mais il y en a un parmi eux chez qui le coup de foudre va tourner au délire passionnel et, dans la nuit même, Francesco Beccuto fait enlever la jeune femme par une bande de spadassins à sa solde qui laissent le jeune Trotta sur le carreau.
Lucrezia ne le regrette guère. Beccuto d’ailleurs est beau même s’il est brutal et un peu trop sauvage pour son goût. Mais elle sait manier un homme et elle pose ses conditions : elle sera fidèle mais elle ne peut être ravalée à ce rôle d’objet que l’on fait admirer. En outre, elle refuse de vivre chez lui. Elle veut sa maison et le droit d’y recevoir qui elle veut.
Beccuto promet tout. Il est riche. Mais il ajoute tout de même que si elle rompt son serment de fidélité, il y aura du sang versé. Quelques jours plus tard, Lucrezia s’installe dans un petit palais situé près du Tibre et entreprend de se faire un cercle d’amis, dignes d’elle.
Au premier rang vient le Pape suivi des cardinaux les plus mondains, puis des poètes dont l’Arioste. Le succès de la jeune femme est tel qu’elle sera invitée aux noces de Lucrèce Borgia et du duc de Ferrare. Mais ce seront les écrivains, les poètes qui lui donneront la consécration suprême ; après la mort d’Alexandre VI et une fois que Jules II, tenant Rome sous sa poigne de fer, permettra aux arts et à la beauté de s’épanouir plus librement, un grand concours poétique a lieu au Capitole.
C’est là que Lucrezia Cognati va cesser de vivre en tant que telle car, en lui offrant la couronne symbolique de Rome – un laurier d’or que l’on pose sur ses beaux cheveux, on lui décerne le nom d’Imperia qui va lui rester à jamais et faire entrer dans l’Histoire la petite fille du Borgo Nuovo. C’est un vrai triomphe auquel participe Beccuto, fou d’orgueil et toujours admis au privilège de pourvoir au luxe de la souriante souveraine. Il n’en deviendra que plus jaloux…
Tant qu’Imperia se laissait adorer par une ville entière, il n’y voyait pas d’inconvénient mais tout change le jour où, pour la première fois de sa vie, elle tombe réellement amoureuse. Il s’agit d’un Vénitien, Giacomo Stella, de très ancienne, très noble et très riche famille. Il est venu des bords de l’Adriatique tout exprès pour voir la jeune femme et, quand il la rencontre chez le prince Colonna, il s’éprend d’elle sur-le-champ. Quant à Imperia, elle ne parvient pas à cacher son émotion.
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