La préfecture de police n’a pas l’air de la croire et, par représailles, menace le directeur des Bouffes-du-Nord de fermer son établissement s’il s’obstine à employer Mélie. Ce qui va inspirer à un journaliste les lignes suivantes :
« On empêche une courtisane pauvre de risquer sa chance sur les planches pour la renvoyer à son trottoir. » Et, dans le beau monde, on s’indigne. Au point qu’un artiste en vogue, Albert Dépré, propose à la jeune femme de faire son portrait qui sera exposé au Salon. C’est compter sans la vindicte de la police qui fait interdire l’exposition du tableau.
Pendant ce temps, les affaires de Leca se gâtent de plus en plus. Comme son confrère Manda, il est tombé sur un indicateur et se voit arrêté avec son lieutenant Erbs. On le ramène à Paris où la nouvelle consterne Mélie : avec le casier qu’il a, Leca est bon pour le bagne.
En attendant, Manda va affronter les assises : Casque d’Or y est citée comme témoin. Le Tout-Paris s’écrase dans la salle pour voir cette créature célèbre mais Mélie a changé : elle sait désormais s’habiller et c’est en tailleur gris à revers verts, sa chevelure éclatante surmontée d’un béret de plumes noires qu’elle paraît à la barre. Elle va déposer en faveur de Manda en vertu d’une politique bien simple : c’est lui qui est en danger pour l’instant, pas Leca dont le procès n’est pas encore annoncé. C’est ce dernier qu’elle charge quitte, quelques mois plus tard, à renverser la vapeur et à charger Manda, déjà condamné au bénéfice de Leca. Peine perdue : le jury envoie Manda au bagne à perpétuité. Ceux de ses hommes jugés avec lui écoperont d’un peu moins. C’en est fini : Manda ne reverra plus Casque d’Or.
On lui fait de nouvelles propositions : le directeur du théâtre de La Chapelle lui propose un engagement. Hélas, cette fois, c’est un manifeste des habitants du quartier qui s’oppose à sa carrière. Alors, un autre courageux se présente : le dompteur Mark. Veut-elle apprendre à maîtriser les fauves elle qui sait si bien maîtriser les hommes ? Pourquoi pas ? Et Mark annonce bientôt « la dompteuse masquée ». En effet Mélie se présente sous un loup de velours noir… qui ne trompe pas la police. Voilà encore une carrière qu’il faut abandonner.
Cependant le jour du procès de Leca et d’Erbs approche à la grande angoisse de Mélie qui tremble pour son amant favori. La séance s’ouvre le 20 octobre. La sentence différera de celle de Manda : les deux hommes n’auront que huit ans de bagne mais ensuite subiront la relégation à vie.
Le coup est moins dur pour Mélie qu’elle ne le craignait. Peut-être parce qu’elle s’y est préparée. Et puis un éditeur lui propose d’écrire ses mémoires, aidée bien sûr par un « nègre ».
Jugements rendus, Manda et Leca sont acheminés vers La Rochelle d’où ils gagneront le pénitencier de Saint-Martin-de-Ré puis, de là, les îles du Salut. Sachant à quel point ils se haïssent, les gardiens prennent soin de les tenir éloignés l’un de l’autre. De même à bord du transport La Loire qui les emmène vers la Guyane. On se demande au fond pourquoi car, avant d’embarquer Leca s’est marié. Mais pas avec Mélie : il a épousé à Fresnes son ancienne amie Germaine Van Maelle. Une femme celle-là et qui, en 1910, quittera la France pour vivre avec lui sa peine de relégation.
De son côté Manda avait appris la sagesse. Pas plus que son ennemi, il ne tenta une évasion vouée à l’échec. En outre, l’ancienne terreur a développé la part de douceur qui, dans son caractère, avait séduit Mélie. Souhaitant sincèrement se racheter, il a obtenu une place d’infirmier et, désormais, il aidera les médecins dans leur tâche avec autant de dévouement que d’intelligence. C’est seulement en 1935 qu’il mourra à l’âge de cinquante-neuf ans, devenu un homme exemplaire.
Quant à Mélie que Francis Carco rencontra rue des Rosiers peu avant la Première Guerre mondiale, elle était, à trente-cinq ans, prématurément vieillie. Néanmoins, le 27 janvier 1917, elle épousait un ouvrier vernisseur, André Nardin, à la mairie du XXe arrondissement. Il avait quinze ans de moins qu’elle et, avec lui, elle fit l’apprentissage de la vie honnête. Tous deux faisaient sur les marchés de la banlieue est le commerce de bonneterie et de tissus, ce qui leur permit d’élever quatre neveux et nièces. Une dure existence quand la santé n’est pas fameuse. En 1941, celle qui avait été Casque d’Or mourut, minée par la tuberculose. Elle repose au cimetière de Bagnolet.
PIAF…
à jamais sublime…
De P’tit Louis à Marcel Cerdan…
Un visage, deux longues mains diaphanes, une silhouette noire si menue, si droite dans son immobilité qu’on l’oubliait mais aussi, mais surtout une voix… Immense, déchirante, à briser les micros, à bouleverser les cœurs les plus fermés, une voix que la mort elle-même n’a pu éteindre et qu’aucune autre, si belle soit-elle, n’a jamais réussi à égaler…
La vie d’Édith Piaf, à qui la considère en essayant de fermer sa mémoire aux échos de cette voix, apparaît comme un mélodrame invraisemblable qui laisse loin en arrière Les Deux Orphelines ou La Porteuse de pain. Rien n’y manque : le ruisseau, la misère, les prostituées, le miracle, la fille-mère, l’enfant abandonnée, plus une kyrielle de princes plus ou moins charmants.
Elle est née sur un trottoir devant le 72, rue de Belleville, en plein hiver et en pleine guerre, le 19 décembre 1915. Sa mère, une chanteuse de beuglant nommé Line Marsa, alcoolique puis morphinomane, l’abandonne. Elle a tout de même un nom, celui de son père, un acrobate de cirque. Elle s’appelle Édith Giovanna Gassion et si elle n’est pas morte dans la rue c’est grâce à sa grand-mère maternelle, une curieuse femme d’origine kabyle qui s’en est occupée et à son père qui veille tout de même sur elle…
Édith a un peu plus de deux ans quand Gassion, épouvanté par sa maigreur et l’état de saleté où elle vit l’emmène chez Louise, sa propre mère, en Normandie. Celle-ci vit à Bernay où elle pourrait être cuisinière chez un notaire ou un pharmacien mais, comme avec Piaf rien n’échappe aux couleurs d’un mauvais roman, Louise est cuisinière dans un bordel et, au fond, c’est une chance car les pensionnaires de la maison vont chouchouter la petite fille. « Mes meilleures années ! » dira Piaf plus tard en riant.
Dieu sait si elle a besoin de soins car, à trois ans, elle est aveugle. Branle-bas de combat dans ce qui pourrait être la Maison Tellier. Toutes « ces dames » ont bon cœur et elles aiment la petite. Alors, comme Lisieux n’est pas bien loin, elles font des neuvaines à sainte Thérèse… et Édith recouvre la vue. Toute sa vie – elle demeurera très pieuse – elle gardera une vénération pour la petite carmélite normande, même si, de temps en temps, elle lui demandera des grâces qui relèveraient davantage d’un gourou ou de l’acrobatie.
On s’est vite aperçu qu’elle aimait chanter et aussi qu’elle possédait une voix fort peu en rapport avec son corps frêle qui n’atteignait pas tout à fait un mètre cinquante. La mort de Mémé Louise la ramène à Paris. Elle a quinze ans et il faut travailler pour manger. Alors elle travaille dans une blanchisserie, ou fabrique des couronnes mortuaires… La nuit, elle chante dans les bals musette : à l’As de cœur, rue des Vertus, au Tourbillon, rue de Tanger et ailleurs. Même les souteneurs séduits par sa façon de chanter lui donnent volontiers un peu d’argent. C’est l’un d’eux, d’ailleurs qui, l’ayant entendue dans la rue, l’a conduite chez un copain bistrot… Elle a retrouvé aussi Momone, sa demi-sœur, avec qui elle vit… en principe.
Et puis, à seize ans, elle rencontre P’tit Louis, un livreur en triporteur de dix-neuf ans. Ils s’aiment… et neuf mois plus tard vient au monde une petite fille, Marcelle, devenue automatiquement Cécelle pour une mère qui, au fond, ne sait trop qu’en faire. Ni d’ailleurs de P’tit Louis avec qui elle rompt bientôt. Le garçon, lui, tient à sa fille et s’apercevant qu’Édith et Momone la déposent volontiers dans un coin de porte pour chanter dans les rues (le travail régulier a disparu depuis la grossesse), il récupère l’enfant. La jeune mère ne s’y oppose pas. Elle aime son bébé mais ne se sent pas faite pour les soins maternels. Néanmoins, quand elle apprend, au bout de quelques semaines que Cécelle est aux Enfants malades avec une méningite, elle y court… Pour la trouver morte et à la morgue. Désespérée elle coupera une petite mèche de cheveux… avec une lime à ongles. Il faut penser à l’enterrement, elle n’a pas d’argent et P’tit Louis pas davantage. Dans un bar de Pigalle, après avoir bu quelques verres pour se donner du courage elle chante. On l’applaudit, elle récolte quelques francs mais trop peu. Alors… elle essaie même le plus vieux métier du monde : un client la suit mais elle est tellement jeune, minable et si visiblement bouleversée qu’il l’interroge. Pourquoi fait-elle ça ? « C’est pour enterrer ma gosse… » L’homme paiera mais ne consommera pas…
Toute sa vie, Piaf qui ne s’était pas cru maternelle, gardera plantée comme une épine au fond du cœur l’image de la petite Cécelle.
Édith continue à chanter. Elle a vingt ans en 1935 quand Louis Leplée, le patron du Gernys la remarque et l’engage. Enfin sortie de la misère, elle commence à être connue quand s’abat une nouvelle catastrophe. Leplée est assassiné à coup de revolver par un client qui vide la caisse. Mais le client en question passe pour être l’amant de « La Môme Piaf » comme l’a baptisée Leplée. Il n’en faut pas plus pour que la presse se déchaîne contre la chanteuse en ajoutant, pour faire bon poids, qu’elle porte malheur. Un seul journaliste Marcel Montarron et un photographe de Détective prendront sa défense. Mais la bonne étoile semble veiller : Piaf rencontre Raymond Asso, comédien et compositeur. Durant trois années il va enseigner toutes les techniques à la jeune chanteuse, et lui écrire des chansons. C’est le succès… et la rencontre avec Paul Meurisse. Un amour étrange entre celle qui est encore un peu une fille des rues et ce gentleman élégant et sceptique.
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