— Je voulais seulement savoir si mon fils vous avait bien dépeinte, fait-il aimablement. En vérité, il était fort au-dessous de la vérité.

L’entrevue qui promettait d’être orageuse se terminera par un dîner à quatre chez Véry.

Il faut reconnaître à Jean Simons d’être l’homme des décisions rapides. Il commence par accorder son consentement au mariage de son fils mais s’arrange pour le gagner de vitesse et, au mois d’août, il épouse Julie Candeille alors qu’Élisabeth et son fils ne se marieront qu’en décembre.

Le jeune ménage commence par mettre en vente l’hôtel de l’ex-Mlle Lange mais s’installe un peu plus loin, dans la même rue Chantereine dans une superbe demeure en compagnie de la petite Élise qui adore sa nouvelle mère. D’ailleurs, la fortune de Michel va croissant. Les relations d’Élisabeth – surtout avec Talleyrand ! – sont fort utiles à son époux et l’or coule à flots entre les jolis doigts de Mme Simons.

Hélas – pour eux tout au moins – les temps changent. Devenu consul à vie Bonaparte entend faire rendre gorge aux « profiteurs de guerre ». Simons prend peur au point de faire offrir à Louis Bonaparte, le frère du maître, son hôtel que celui-ci envie et propose de le lui céder à tel prix que ce geste lui vaudra d’être regardé moins dangereusement par le consul qui, cependant, ne perd pas de l’œil le jeune financier.

Pendant ce temps, l’ex-Mlle Lange s’est muée en la plus sage et la plus fidèle des épouses. C’est ce qu’elle fait entendre au peintre Girodet, fort amoureux d’elle, à qui Michel Simons a commandé le portrait de sa femme. Or, Girodet est un homme orgueilleux qui n’admet pas qu’une ancienne femme facile lui résiste. Une fois, deux fois, il revient à la charge et toujours avec le même résultat : Élisabeth aime son époux et ne veut pas le tromper. Obstiné, il croit à une défense de façade et finit par recevoir le salaire de son obstination : une paire de gifles dont il jure de tirer vengeance. Néanmoins, Élisabeth l’a mis en garde : son époux tire aussi bien à l’épée qu’au pistolet.

Il en faut plus néanmoins pour calmer un mâle outragé. Le jour de l’ouverture du Salon où le portrait est exposé, il se jette dessus, le lacère à coups de couteau, jette les débris à terre et les piétine avant de s’enfuir en courant à la stupéfaction générale.

Sa rage néanmoins n’est pas apaisée. Il veut se venger de façon encore plus éclatante : travaillant jour et nuit, il parvient à exposer, avant la fin du Salon une nouvelle toile, franchement répugnante il faut bien le dire : Mme Simons y est représentée entièrement nue sur une couche couverte de pièces d’or avec, auprès d’elle, un dindon ressemblant furieusement à son époux et portant, pour que nul n’en ignore, un anneau conjugal à la patte. Naturellement, le scandale est énorme.

Girodet y perd une part de sa réputation et s’attire la réprobation et la méfiance des femmes. On juge son procédé d’autant plus lamentable qu’alerté par le miniaturiste Isabey, ami de Mme Simons, et par sa femme, Bonaparte a fait hautement savoir sa réprobation. Il exige le retrait immédiat de la toile scandaleuse. Élisabeth n’aura pas à souffrir de cette aventure. Mlle Lange est bien morte. Mais pas oubliée. Le 22 avril 1806, elle espère recevoir sa consécration de femme respectable. Bonaparte, en effet, a cédé la place à Napoléon Ier et Joséphine, sachant que son ancienne voisine a des ennuis du fait de la guerre que l’Empereur a déclarée à ceux qu’il appelle « les trafiquants », a cru bien faire en l’invitant à un bal aux Tuileries.

Pour cette fête, Élisabeth s’est préparée comme s’il s’agissait d’une bataille et, en vérité, elle est bien belle. Hélas, quand Napoléon fait le tour des salons, il repère vite cette femme si belle qui s’incline devant lui avec grâce. Il s’arrête devant elle.

— Qui êtes-vous, Madame ? Je ne vous connais pas…

Les joues soudain brûlantes, la jeune femme plonge dans sa révérence :

— Madame Simons, sire…

— Ah oui, je sais…

Puis, éclatant d’un rire qui est la pire des insultes, il tourne les talons et s’éloigne. Jamais Élisabeth n’oubliera ce rire-là. Pour l’instant elle commence par s’enfuir, malade de honte et, de toute la nuit, elle ne ferme pas l’œil, persuadée que ce rire marque le glas de leur fortune à elle et à son époux. Et elle a raison : trois mois plus tard, Napoléon fait réviser les comptes de Simons. L’enquête va durer deux ans et, en dépit des amis du couple, dont Talleyrand, le verdict est redoutable : Michel Simons est condamné à verser au Trésor un million de francs : c’est la ruine.

Dignement Élisabeth s’efforce d’aider son époux. Heureusement elle et Michel sont mariés sous le régime de la séparation de biens et c’est ce qui leur permettra d’achever leur vie dans la dignité.

Après la catastrophe, elle suit son mari à Bruxelles dans la vieille maison de la rue des Blanchisseries où elle va demeurer jusqu’en 1818 date à laquelle, sa santé le réclamant, elle va s’installer avec son époux sur les bords du lac Léman, au château de Bissey. La fin approche. Les médecins conseillent le climat plus chaud de l’Italie mais il est déjà trop tard. Le 2 décembre 1825, celle qui avait été l’une des reines de Paris s’éteignait doucement dans les bras de son cher époux, ce bourgeois de Bruxelles pour qui elle n’avait voulu être que l’ange du foyer…

La trop jolie

BARONNE DE VAUGHAN

Un rendez-vous galant…

Un soir de l’automne 1898, alors que le paquebot Chili en provenance d’Amérique du Sud, via Dakar, approche de son quai à Bordeaux, un jeune couple – visiblement des amoureux – regarde approcher cette terre de France où ils ont décidé de bâtir un bonheur qu’ils espèrent durable.

Il y a pourtant bien peu de temps qu’ils se connaissent. Tout juste depuis qu’à Dakar, le lieutenant Emmanuel Durieux est monté à bord et qu’il a posé les yeux sur la jeune Blanche Delacroix, âgée de quinze ans seulement mais parée d’une de ces beautés rares qui chavirent les cœurs les mieux ancrés. Il a été ébloui. Quant à Blanche, l’arrivée de ce jeune homme élégant, charmeur, aimant le faste lui a fait l’effet d’un rayon de soleil dans un océan de grisaille : celui d’un retour au bercail aussi dépourvu de gloire que d’espoir. Et ce voyage est loin d’être le premier !

Blanche Delacroix est née en Roumanie. Son père, un tout jeune ingénieur lillois a dû s’expatrier pour fuir le ressentiment de sa famille ulcérée par un mariage trop hâtif avec une jeune fille de condition très modeste. Blanche est le treizième enfant d’un couple beaucoup plus riche de rejetons que d’argent et, très tôt, elle fait l’apprentissage d’une vie difficile. Puis, quand la gêne est devenue misère on l’a envoyée à Paris chez sa sœur aînée Mariette, de vingt ans plus âgée qu’elle qui acceptait de s’en charger.

Mariette, qui faisait profession de galanterie, vivait alors avec un certain Du Péage – un nom fait sur mesure – dont elle se lassa d’ailleurs assez vite au profit d’un riche Argentin qui les emmena, elle et Blanche, à Buenos Aires où elles devaient mener une vie fastueuse. Hélas, l’arrivée dans ce port illustre marqua la fin des bonnes relations entre les deux sœurs. Mariette s’avisant brusquement de la rayonnante beauté de sa cadette, lui voua soudain une amère jalousie qui déchaîna une scène au cours de laquelle l’aînée tenta de massacrer avec des ciseaux l’opulente chevelure blonde qui était l’un des principaux attraits de la jeune fille. Prise de peur, la pauvre enfant ne trouva rien de mieux, pour se mettre à l’abri de la furie que de reprendre en sens inverse le bateau qui l’avait amenée sur cette terre inhospitalière. C’est ainsi que, rentrant mélancoliquement, elle vit en Durieux une sorte de réponse du Ciel à ses incessantes prières. D’autant qu’elle se disposait depuis un moment déjà à suivre le chemin tracé par Mariette. Or le jeune homme semblait riche…

Une fois débarqués, les deux jeunes gens s’installent à l’hôtel de Bayonne et entreprennent de se prouver l’un à l’autre leur amour. Pour Blanche, c’est une révélation merveilleuse. Quant à son compagnon, il avoue volontiers qu’il ne s’est jamais senti aussi épris. Mais la vie à Bordeaux ne lui paraît pas une fin en soi et il décide que l’on va « monter » à Paris et que là, lui et Blanche se marieront. Il est d’ailleurs tout à fait sincère.

À Paris, ils s’installent au Claridge, l’un des palaces les plus luxueux des Champs-Élysées puis Emmanuel, qui tient la toilette pour un sûr élément de succès offre à sa chère Blanche deux ou trois robes de chez Creed, un couturier alors en vogue. Celle-ci est enchantée et pense que sa vie sera désormais un long conte de fées… malheureusement elle va bientôt perdre ses illusions car le plus clair des revenus de son amant lui viennent du jeu auquel il s’adonne avec passion. Chaque jour il part sur les champs de courses ou pour le casino d’Enghien et Blanche apprend bientôt à faire dépendre l’abondance et le raffinement de ses repas des gains ou pertes d’Emmanuel. Tantôt on soupe chez Maxim’s tantôt on mange frugalement dans la chambre d’hôtel. Mais les nuits sont toujours égales à elles-mêmes bien qu’on ne parle plus guère de mariage.

Dans la journée, la plupart du temps la jeune femme s’ennuie. Elle lit des magazines ou sort, erre longuement en regardant les vitrines luxueuses. Pourtant, elle devine dans les yeux des hommes que son existence pourrait devenir moins précaire et, un beau jour, elle accepte de recevoir la visite d’une dame Mohilov qui lui a fait passer sa carte en assurant qu’elle vient pour affaire importante.