Devenue l’une des femmes les plus en vue de Paris, et d’ailleurs des plus élégantes, Cora se révèle du même coup femme d’affaires accomplie : partant de ce principe que son corps est son capital, elle l’administre ni plus ni moins qu’une maison de commerce. C’est ainsi que tenant un grand livre de comptes, elle y note sur trois colonnes le nom du client, la somme perçue et son appréciation personnelle.
Dans ces conditions, elle aurait pu n’être jamais rien d’autre qu’une fille de joie si une vraie chance ne lui était venue avec le journaliste Nestor Roqueplan, ancien directeur de l’Opéra et l’une des principales « locomotives » de la vie parisienne. En effet, Roqueplan s’éprend de Cora, autant tout au moins qu’il est possible à un homme sceptique, raffiné et sans illusions. Mais son accent anglais l’amuse et aussi certaine verdeur de langage. Il devient alors son protecteur attitré, corrige certains défauts trop évidents et lui enseigne tout ce que doit savoir une véritable « lionne ». Ensuite, il la présente à quelques-uns des hommes qui à Paris tiennent le haut du pavé. L’un d’eux en tombe amoureux fou : il se nomme Victor Masséna, duc de Rivoli et prince d’Essling et il possède une grosse fortune.
Dès lors Cora Pearl est vraiment lancée. Installée dans un magnifique appartement de la rue de Ponthieu, elle possède tout ce qu’un homme riche peut offrir à une femme. Attelages et chevaux de selle emplissent ses écuries et chaque matin on peut la voir, sanglée dans une sévère amazone, galoper sous les ombrages du bois de Boulogne. De même que, l’après-midi, elle participe dans sa calèche bleue à la rituelle promenade où se rencontrent la Cour et le Tout-Paris.
L’amour que lui voue Masséna toucherait un cœur moins fermé que le sien. Il ne sait que faire pour lui plaire demandant seulement en échange qu’elle ne soit qu’à lui mais Cora n’entend pas se consacrer à un seul homme et, un soir, c’est le drame. Au cours d’un souper dans le fameux cabinet n° 16 du Café anglais où quelques joyeux fêtards sont réunis avec leurs belles amies, le duc de Gramont-Caderousse l’un des rois de la fête qui, se sachant condamné, brûle sa vie avec une joyeuse désinvolture propose une idée bizarre : ces dames vont se livrer au concours de la plus belle poitrine.
Sa maîtresse en titre, la chanteuse Hortense Schneider refuse farouchement de se mêler à des femmes qu’elle méprise et, ce soir, c’est la belle Adèle Courtois qui accompagne le jeune duc. Sans hésiter, celle-ci fait tomber le haut de sa robe et Cora se dispose à l’imiter quand Masséna s’interpose : elle ne va pas faire ça ? Et devant lui ? La réponse de la jeune femme est un défi : oserait-il le lui interdire ? Il n’hésite pas :
— Oui. Je vous le défends mais aussi je vous en prie. Cela… me déplairait.
Pour toute réponse, Cora dégage ses seins et gagne le concours haut la main mais Masséna ne verra pas la triomphatrice baigner l’une de ses victorieuses rondeurs dans une coupe de champagne car il est parti dès la chute de la robe. Le lendemain, après une scène pénible, c’est la rupture et Cora Pearl choisit comme nouvel amant le prince Murât, banquier plus jeune et plus riche encore que son prédécesseur, ce qui ne l’empêchera nullement d’accueillir d’autres amants de passage : son appétit d’or est intarissable et elle s’entend comme personne à mener les hommes à la cravache.
Ses algarades avec le prince Demidov défraient Paris. On se raconte la façon dont elle lui a cassé sa canne à pommeau d’or sur la tête, alors qu’il prétendait demeurer couvert devant elle. Une autre fois, alors que le Russe met en doute l’authenticité des perles de son collier, Cora jette le bijou à terre et en écrase quelques-unes sous son talon pour prouver leur authenticité. Après quoi, ramassant l’une des rescapées, elle la jette à la figure du prince en lui recommandant de s’en faire une épingle de cravate.
Ses éclats, son maquillage, sa réputation de grande prêtresse de l’amour et ses tarifs exorbitants en font une sorte de curiosité. Au point qu’un groupe d’étudiants se cotise pour réunir cinquante louis puis tire au sort qui sera l’heureux élu. Cora accepte de recevoir le gagnant et accomplit sa part du contrat. Mais le jeune homme est charmant, un peu timide et il éveille en elle quelque chose qui est peut-être un souvenir d’enfance. Alors au moment où il va la quitter, la courtisane prend l’un des cinquante louis et le lui tend en disant :
— Je garde toutes les pièces sauf celle-ci qui est peut-être la vôtre car, à vous, je veux m’être simplement donnée…
On aimerait savoir qui était le jeune étudiant. Mais Cora est appelée à de plus hautes destinées. Après le prince Murât, vient le duc de Morny qu’elle rencontre, un matin, en patinant au Palais de Glace :
— Cora sur la glace ? s’écrie en riant le demi-frère de l’Empereur. C’est un paradoxe…
— Eh bien, Monseigneur, puisque la glace est rompue, offrez-moi donc un cordial !
— Volontiers… à condition que ce soit chez moi.
Ainsi débute une nouvelle liaison, plus amicale que passionnée de la part du duc. Cora l’amuse et, surtout, il partage cette passion du cheval qu’elle place au-dessus de tout. Il gagnera même un tout petit coin de ce cœur qui ne veut plus battre en offrant à Cora, au lieu de bijoux dont elle regorge, un superbe pur-sang arabe.
C’est alors que Napoléon III lui-même fait savoir qu’il recevra volontiers la jeune femme. Mais elle reçoit très mal Mocquart, l’émissaire impérial : elle n’est pas un fiacre qu’on siffle dans la rue. « Je ne veux pas, dit-elle, qu’on me fasse psst, psst ! »
Elle se laissera néanmoins convaincre mais sa visite aux Tuileries n’aura pas de suite. L’Empereur déclarera à Morny que « cette Anglaise a vraiment trop d’accent » et que, d’ailleurs « il se doit aux Françaises… »
À la mort de Morny, Cora décide de s’essayer au théâtre. Elle ne récoltera pas le succès au contraire, mais encore un nouvel admirateur, qui sera la plus célèbre victime de l’impitoyable Anglaise : le prince Jérôme Bonaparte, fils du roi de Westphalie et frère de la princesse Mathilde, un joyeux luron que les Parisiens ont surnommé Plon-Plon. Il n’est plus très jeune et loin d’être beau mais Cora recevra de lui un palais rue de Chaillot, un autre rue des Bassins, les plus beaux chevaux de Paris et de rarissimes perles noires. Le pauvre homme est fou de son Anglaise et, même les remontrances de l’Empereur ne pourront rien contre un sentiment profond et sans doute douloureux quand Cora s’affichera avec le Turc Khalil-Bey.
La guerre de 1870 ne change rien. Lorsque Cora revient en Angleterre, Jérôme la suit mais le couple fait scandale et il faudra bien que le prince en vienne à rompre par respect pour les siens et le malheur de l’Empire. Cora rentre à Paris mais la fête est finie et fini le temps des princes. C’est maintenant celui des riches bourgeois. Le suicide du jeune Duval, des restaurants du même nom, va faire chasser l’Anglaise de France. On pourra la voir alors à Monaco puis à Milan où elle essaiera vainement de revoir Jérôme. Plus tard, elle pourra revenir à Paris où plus maquillée que jamais, elle tente de gagner encore quelque argent de la seule façon qu’elle connaisse mais elle n’intéresse pas les jeunes générations qui l’appellent « le vieux clown ».
Pour échapper à la misère, elle écrit ses Mémoires et remporte un succès qui la sauve mais quatre mois après la parution, le 8 juillet 1886, elle meurt d’un cancer de l’intestin…
L’inoubliable
HORTENSE SCHNEIDER
Un certain Monsieur Offenbach…
Un matin de l’été 1855, deux jeunes gens grimpaient courageusement le raide escalier d’une triste maison sise passage Saunier menant au non moins triste appartement d’un homme qui était peut-être le plus gai des habitants de Paris. C’était un musicien allemand « agité, mince comme une clarinette, vif comme un triolet » qui venait de s’implanter aux Champs-Élysées, dans un petit théâtre en bois abandonné par un prestidigitateur qui l’avait baptisé théâtre des Bouffes-Parisiens et venait d’y monter une sorte d’opérette allègre intitulée Les Deux Aveugles. Le plus étonnant était que le public commençait à s’y presser.
Quant aux deux visiteurs, l’un était le chanteur Berthelier qui faisait partie de la troupe et sa plus récente maîtresse : une jolie Bordelaise de vingt-deux ans, blonde, grassouillette, mais avec les plus belles épaules, les plus belles jambes du monde, de jolis yeux bleus et le plus charmant minois. Son nom : Hortense Schneider.
Ce que Berthelier vient demander à son patron, c’est d’auditionner sa conquête et, comme il est amoureux, il est tenace. Alors sachant bien qu’il ne s’en débarrassera pas autrement, Offenbach soupire en se mettant au piano :
— Chande-moi guelgue chose !
Il ne se débarrassera jamais, en effet, de son accent tudesque mais c’est au fond un charme de plus comme sa moustache blonde et le regard myope mais vif qui brille derrière ses lorgnons. Si elle meurt de trac, la jeune Hortense n’en montre rien. Elle attaque hardiment le boléro du Domino noir mais à peine a-t-elle chanté quelques mesures que le musicien se lève et referme le piano.
— Où as-du abbris ?
— À Bordeaux avec M. Schaffner…
— Bedide miséraple, si tu as le malheur de brentre engore tes leçons, je te viche mon pied quelque part et je tégire ton encachement. Car je t’encache, tu entends ? À teux cents francs bar mois…
Et de signer un contrat qui allait marquer toute une époque. L’association d’Offenbach avec Hortense Schneider que l’Histoire ne séparera plus va démontrer au monde entier que « leur » Paris est la ville la plus brillante, la plus gaie et la plus vivante du monde : une fantastique affiche pour le second Empire…
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