Malgré la récompense offerte de deux mille louis d’or à qui permettrait de retrouver les joyaux, ce fut un tollé. Les folliculaires parisiens traînèrent l’ancienne favorite dans la boue et l’austère Saint-Just se déchaîna contre « l’infâme Messaline ». Mme Du Barry quitta alors la France pour l’Angleterre à la suite de la visite d’un agent anglais, un certain Parker Forth venu l’avertir que certains de ses bijoux avaient été présentés à un joaillier londonien. Il fallait qu’elle aille les reconnaître.
En pleine Révolution, elle effectue alors plusieurs voyages outre-Manche sans grand espoir cependant de retrouver son bien car la loi anglaise ne permettait pas de poursuivre un coupable pour un délit commis hors du territoire national, mais en fait l’affaire du vol n’était qu’un prétexte et il est certain qu’alors Jeanne assuma le dangereux rôle d’agent secret au service du Roi. Ses voleurs avaient été arrêtés mais ses bijoux étaient sous séquestre et elle ne pouvait obtenir qu’on les lui rendît. Saluons l’honnêteté anglaise !
Par Forth, elle était entrée en contact avec d’autres agents et certains émigrés mais il semblerait qu’elle ait surtout servi d’intermédiaire et de courrier. Évidemment, la sagesse eût commandé qu’elle ne revînt pas en France et restât à l’abri mais elle ne pouvait se passer de Louis de Brissac ni de sa chère maison de Louveciennes.
C’est dans cette demeure qu’elle aimait tant qu’un jour abominable de l’été 1792, des émeutiers vinrent jeter à ses pieds la tête fraîchement tranchée de son amant. C’est là enfin où, bien que la maison eût été mise sous séquestre, elle ne put s’empêcher de revenir encore et elle fut arrêtée après avoir été dénoncée par Zamore, le négrillon qu’elle avait élevé et gardé longtemps auprès d’elle. On la conduisit à la prison de la Force, le 22 septembre 1793 et, naturellement, elle fut condamnée à mort.
Sa fin fut atroce. Cette jolie femme si bien faite pour les joies de la vie et qui avait su montrer un tel courage en face de l’horrible maladie qui allait emporter Louis XV, tant de constance dans l’adversité et tant de vaillance dans le dangereux rôle d’agent secret qu’elle avait assumé, craqua brutalement en face de la hideuse machine que battaient les éclats d’une féroce joie populacière. Il fallut la hisser sur l’échafaud, la traîner hurlante jusqu’à la guillotine cependant qu’elle ne cessait d’implorer :
— Encore un petit moment, Monsieur le bourreau, rien qu’un petit moment !…
Comme si un bourreau pouvait se laisser attendrir par les larmes d’une femme éperdue. Un instant plus tard, cette tête encore ravissante tombait. C’était le 8 décembre 1793. La Reine était morte depuis près de deux mois…
CATHERINE Ire
Impératrice de toutes les Russies…
La servante du pasteur
En juillet 1702, la longue guerre qui oppose le tsar Pierre Ier au roi de Suède Charles XII bat son plein. Il faut dire que les chefs sont de valeur : Pierre, à trente ans tout juste, est déjà le Grand. Quant à son adversaire, on l’a surnommé l’Alexandre du Nord et les combats sont d’une rare intensité avec des fortunes diverses. C’est ainsi qu’au nord de la Pologne la puissante ville de Marienbourg, jadis fief des chevaliers teutoniques vient de tomber aux mains des Russes que commande le prince Cheremetiev.
Le commandant suédois de la forteresse décide alors de se faire sauter avec toute la garnison et il autorise ceux des habitants qui le souhaitent à quitter la ville avant que la citadelle ne flambe. Beaucoup d’entre eux, craignant d’être ensevelis sous les décombres, profitent de la permission. L’une des notabilités, le pasteur Glück, est parmi eux. Accompagné de sa famille et de sa servante chargée de tout ce que l’on a pu emporter, il se hâte vers les avant-postes russes où, naturellement, ils se font arrêter.
Les Kalmouks, dans les bras desquels ils se sont jetés à l’aveuglette, n’ont rien de rassurant mais le pasteur parle plusieurs langues et leurs officiers pensent qu’il peut être utile comme interprète, d’autant qu’il propose ses services avec beaucoup d’amabilité. On le conduit donc, avec sa troupe, devant le vieux maréchal Cheremetiev qui, désireux d’utiliser aussitôt les compétences de l’homme de Dieu, l’embauche séance tenante mais c’est pour l’envoyer à Moscou où, avec toute sa famille, il ira rejoindre le faubourg allemand.
Avec sa famille mais pas avec sa servante. De celle-ci, on ne sait pas exactement comment elle s’appelle : peut-être Hélène-Catherine, peut-être Marie ou même Marthe Skavronska et peut-être lui a-t-on donné au baptême les quatre prénoms. Ce qui est sûr c’est qu’elle est une grande et belle fille blonde de dix-sept ans, plantureuse à souhait avec un visage rond au nez retroussé et de grands yeux bleus, un peu ronds eux aussi. Tout à fait le type susceptible d’émouvoir les militaires. D’ailleurs, quand le pasteur et les siens comparaissent devant le maréchal, elle n’est pas avec eux. Pas tout de suite tout au moins car, à peine arrivée, elle a été confisquée immédiatement par un dragon nommé Démine qui n’a pas perdu une seconde pour la jeter sur sa paillasse sans d’ailleurs soulever autrement de protestations. D’abord parce que c’est une fille douée d’un sang-froid remarquable, ensuite parce qu’à ce sang-froid se joint paradoxalement un tempérament que l’on peut qualifier de volcanique. Et puis, ce n’est pas la première fois que ce genre d’aventure lui arrive.
Née en Livonie de parents polonais et calvinistes, Catherine – mieux vaut lui donner dès à présent ce nom ! – était fille de ferme quand éclata la guerre russo-suédoise. Il est passé sur sa petite patrie bon nombre de soldats des deux nationalités sans oublier les Polonais. Quelques-uns sont passés aussi sur la jeune fille. Elle a même eu tant de succès auprès de la troupe qu’il a été question, un temps, d’en faire la pensionnaire d’un bordel militaire. Elle y a échappé grâce au sens commercial d’un dragon suédois nommé Johann Rabe. Celui-ci l’a épousée mais dans le seul but de la vendre plus commodément et à son seul profit à un Livonien dont l’Histoire n’a pas retenu le nom. Tout ce qu’on en sait est qu’il l’a obligée à se prostituer et que, naturellement, il encaissait les gains.
Un engagement contre les Russes a délivré Catherine de ce protecteur encombrant et, peu désireuse de tomber dans les mains d’un autre amateur éclairé, elle s’est enfuie à Marienbourg où elle est entrée au service du pasteur Glück. Un engagement que celui-ci ne regrettera jamais : il a, en effet, trouvé une perle. Celle que l’on appellera bientôt « la plus belle fille de Marienbourg » s’entend comme personne au soin des enfants, à la cuisine, au lavage et surtout au repassage des chemises. Elle travaille si bien que le pasteur lui confie l’économat de la maison et la marie à un trompette suédois nommé Kruse.
L’explosion de la forteresse en fait une veuve : le trompette est parti en fumée. Sans lui causer d’ailleurs une peine immense car elle l’a peu connu. Aussi s’apprête-t-elle à servir son nouveau compagnon comme elle a servi les précédents lorsqu’elle est appelée à comparaître devant le maréchal-prince Cheremetiev.
À la vue de cette fraîche jeunesse, le vieux militaire a senti se réveiller des instincts un peu assoupis. Elle est juste ce qu’il faut pour réchauffer les longues nuits d’hiver et, sans autre forme de procès, il l’enlève au dragon. Néanmoins, il s’en lasse assez vite, la jugeant tout de même un peu trop rustique pour un homme aux goûts raffinés et c’est alors qu’apparaît l’homme du destin : Alexandre Mentchikov, intime ami du tsar et grand amateur de beautés plantureuses : il récupère Catherine et l’installe auprès de lui avec un statut de favorite officielle. Il est beaucoup plus jeune que Cheremetiev, plus séduisant aussi et la jeune femme ne demande qu’une chose : que cela dure ! Toute sa vie, d’ailleurs, elle gardera pour lui un certain penchant et, beaucoup plus tard, devenue impératrice et toute-puissante, elle en fera son Premier ministre… et son favori.
Or, un soir, le tsar Pierre arrive au camp et, naturellement, il vient souper chez son ami. Celui-ci met les petits plats dans les grands et Catherine veille au service de table sans paraître remarquer que les yeux noirs du maître la suivent avec attention, qu’il se penche parfois pour parler bas à l’oreille du prince et que tous deux rient. Mais, bientôt, il s’adresse directement à la jeune femme, lui parle, la questionne : « Il lui trouva de l’esprit, écrit l’un de ses aides de camp et termina son badinage avec elle en disant qu’il fallait, lorsqu’il irait se coucher, qu’elle portât le flambeau dans sa chambre… »
On ne saurait être plus clair et d’ailleurs l’idée ne viendrait même pas à Catherine d’élever la plus petite objection. Pierre est le tsar ! En outre, il est plutôt beau garçon : le cheveu noir, l’œil noir et le muscle solide, il est taillé comme un roc et mesure environ deux mètres. Il aime passionnément le combat, la dépense physique au grand air, le vin et les femmes. Celle-là lui plaît et, le flambeau une fois déposé, il va la garder toute la nuit. Catherine, dès le lendemain, se partagera entre lui et Mentchikov qui est d’ailleurs habitué à cette dualité d’un genre un peu particulier mais, cette fois, il devra faire contre mauvaise fortune bon cœur car il aime vraiment sa maîtresse.
Le temps du partage durera peu. Cette femme que rien n’étonne, qui sait garder sa bonne humeur en toutes circonstances, qui se montre aussi ardente au lit qu’à table, qui ne craint ni la dure ni la fatigue, c’est exactement celle qu’il faut à Pierre. Depuis quatre ans, son épouse, la belle mais trop timide Eudoxie Feodorovna, de noble naissance mais trop pieuse, trop attachée aux anciennes coutumes dont Pierre a pris l’horreur, expie au couvent de Souzdal un complot des strelitz dont elle ne savait rien mais qui offrait à son époux un prétexte commode pour la répudier et l’enfermer dans un cloître. Bien sûr, les femmes ne manquent pas au tsar mais cette Catherine, qu’il appelle « Katinka » il ne veut plus s’en séparer.
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