— C'est vrai, admit-elle en se laissant conduire hors des grandes portes-fenêtres. Je viens d'avoir très peur tout à coup... Mon parrain...
— Est l'un des hommes les plus nobles, les plus généreux et les plus vaillants que je connaisse, Madame. Il est digne en tous points de cette profonde tendresse que je vous vois pour lui, mais, d'autre part, vous le connaissez suffisamment pour savoir qu'il n'aimerait pas que vous trembliez pour lui quand il sert notre cause.
— Je sais, je sais. C'est un homme terrible qui ne parvient pas à comprendre les angoisses que l'on éprouve, ni que l'on puisse être un peu trop sensible...
Avec un soupir qui ressemblait à un sanglot léger, elle s'était assise sur une méridienne couverte de soie claire qui, avec quelques chaises, meublait la petite terrasse. C'était un endroit charmant d'où la vue s'étendait sur les frondaisons du jardin et, plus loin, sur la baie qu'un croissant de lune éclairait doucement... C'était aussi un de ces endroits faits pour les confidences, pour les tête-à-tête, si propices aux longues conversations où, l'ambiance aidant, on se laisse entraîner à dire parfois plus que l'on ne voudrait...
Et, tout à coup, Marianne avait très envie d'en savoir davantage sur la mystérieuse mission du cardinal. S'il exposait sa vie pour servir leur « cause », ce serait très certainement l'empereur Napoléon et son armée qui en feraient les frais...
Elle s'appuya contre la crosse de la méridienne, écartant le pan de sa robe pour que le duc pût s'asseoir auprès d'elle et laissa, un moment, le silence et les parfums du jardin les envelopper. Puis, d'un ton hésitant, comme si elle s'imposait une pénible contrainte :
— Excellence... pria-t-elle, je sais que je ne devrais pas vous demander cela, mais il y a si longtemps que mon parrain m'a laissée sans nouvelles... Et je ne l'ai retrouvé que pour le perdre à nouveau... Il a disparu... d'un seul coup, sans me revoir, sans m'embrasser... et peut-être ne le reverrai-je... plus jamais ! Oh ! je vous en supplie, dites-moi au moins qu'il ne se dirige pas vers... les endroits où l'on se bat... qu'il ne va pas se porter à la rencontre de... l'envahisseur ?
Jouant à merveille l'affolement, elle avait posé ses mains sur celles du gouverneur et se penchait vers lui, l'enveloppant de son parfum frais et doux.
Il se mit à rire doucement, serra les deux mains fines entre les siennes et s'approcha tout près de la jeune femme, si près que son regard pouvait plonger dans les profondeurs du décolleté et y faire de bien troublantes découvertes.
— Allons, mon enfant, allons ! fit-il d'un ton indulgent, ne vous tourmentez pas. Le cardinal est homme d'Eglise. Il n'a nullement l'intention d'aller attaquer Bonaparte, voyons ! Je peux bien vous le confier, car je ne crois pas que cela pourrait tirer à conséquence, il va à Moscou où une grande tâche l'attend si, par malheur, ce misérable Corse parvenait jusque-là. Mais vous pensez bien qu'il sera arrêté avant... Mon Dieu que vous êtes émotive !... Ne bougez pas, je vais aller vous chercher encore un peu de Champagne.
Mais elle s'accrocha à lui, n'ayant aucune envie de tomber de nouveau dans le piège pétillant du Butard :
— Non, je vous en prie, restez ! Vous êtes bon... Vous me faites du bien. Voyez, cela va déjà mieux. J'ai moins peur.
Elle lui sourit en souhaitant intérieurement que son sourire fût aussi séduisant qu'elle l'espérait et, en effet, il se rassit avec empressement.
— C'est vrai ? Vous êtes moins inquiète...
— Beaucoup moins. Pardonnez-moi ! Je deviens un peu sotte quand il s'agit de lui, mais, vous savez, c'est à lui que je dois d'exister. C'est lui qui, jadis, m'a trouvée dans l'hôtel de mes parents ravagé par les sectionnaires, qui m'a cachée sous son manteau, conduite en Angleterre au péril de sa vie. Il est... toute ma famille.
— Mais... votre époux ?
Marianne n'hésita même pas.
— Le prince est mort l'an passé, affirma-t-elle avec audace. Il avait des biens en Grèce et même à Constantinople. C'est à cause de cela que j'avais fait ce long voyage. Vous voyez que je ne suis pas la grande coupable que vous imaginiez.
— Je vous ai déjà dit que j'avais été stupide. Ainsi vous êtes veuve ? Si jeune ! Si ravissante !... et seule !
Il se rapprochait d'elle et Marianne, un peu inquiète tout de même et se reprochant déjà d'avoir un peu abusé de la coquetterie, se hâta de changer de sujet de conversation.
— Ne parlons plus de moi, c'est sans grand intérêt. Au fait... je n'ai même pas su à quel heureux hasard je devais d'avoir retrouvé ici mon cher cardinal ? Est-ce qu'il m'y attendait ?... Il faudrait pour cela qu'il eût le don de double vue...
— Non. Votre rencontre est l'un de ces hasards comme Dieu seul, sans doute, sait en combiner. Lorsque vous êtes arrivée, le cardinal n'était là que depuis deux jours. Il venait de Saint-Pétersbourg pour m'apporter des nouvelles importantes.
— De Saint-Pétesbourg ?... Des nouvelles du Tsar, alors ? Est-ce vrai ce que l'on dit de lui ?
— Et que dit-on de lui ?
— Qu'il est beau comme un Dieu ! Séduisant, plein de charme...
— C'est vrai, fit le duc d'un ton pénétré qui agaça un peu Marianne, il est l'homme du monde le plus merveilleux que j'aie jamais approché. On devrait baiser la trace de ses pas... Il est l'Archange couronné qui nous sauvera tous de Bonaparte...
Il détournait la tête, maintenant, et regardait vers le ciel comme s'il espérait en voir descendre son archange moscovite les ailes battantes. En même temps, il entamait le panégyrique d'Alexandre Ier qui, de toute évidence, était son héros favori au grand ennui de Marianne qui commençait à trouver le temps long, pleinement consciente des heures qui passaient. Elle n'avait pas appris grand-chose de ce qu'elle espérait et, surtout, le sort de Jason n'avait pas encore été évoqué un seul instant...
Elle le laissa parler encore un moment puis, comme il s'arrêtait, sans doute pour reprendre sa respiration, elle se hâta de murmurer :
— Quel homme extraordinaire ! Mais, Excellence, je crains maintenant d'abuser de vos instants ! Il doit être fort tard...
— Tard ? Mais non... et puis nous avons toute la nuit ! Non, ne protestez pas ! Bientôt, demain sans doute, je vais partir moi aussi pour apporter au Tsar la contribution des régiments que je réunis ici. Cette soirée est le dernier doux moment que je vivrai avant bien longtemps. Ne me le ménagez pas !
— Soit ! Mais est-ce que vous n'oubliez pas un peu,
Excellence, que j'avais, en venant ici, une grâce à vous demander ?
Il était si près d'elle qu'elle le sentit tressaillir et s'écarter. Elle comprit qu'elle l'avait peut-être ramené un peu brutalement à la réalité et qu'il était mécontent. Mais puisqu'il semblait décidé à oublier sa promesse, elle décida, elle, d'en finir une bonne fois et d'ignorer sa mauvaise humeur.
— Une grâce ? fit-il d'un ton morose. Qu'était-ce donc ? Ah oui... Ce corsaire américain ! Un espion sans doute et un espion au service de Bonaparte. Sinon, je ne vois pas bien ce qu'il aurait pu venir faire ici.
— Un espion se déplace rarement avec un brick de ce tonnage. Excellence. C'est un moyen peu discret pour pénétrer dans un pays. Et, jusqu'à présent, M. Beaufort s'intéressait surtout au commerce des vins. Quant à être au service de Bonaparte (Dieu que ça passait mal !), je peux vous assurer qu'il n'en est rien ! Voici peu de temps, il goûtait encore aux geôles parisiennes... et même au bagne de Brest !...
Richelieu ne répondit pas. Il s'était levé et, les bras croisés sur la poitrine, tourmentant les dentelles de sa chemise, il arpentait la terrasse avec agitation sous l'œil un peu inquiet de Marianne. Cet homme décidément était un curieux personnage. Ses réactions étaient imprévisibles et ses nerfs semblaient posséder une étrange propension à venir instantanément à fleur de peau...
Tout à coup, aussi brutalement qu'eût pu le faire Napoléon lui-même, il s'arrêta devant la jeune fille et jeta :
— Cet homme ? Qu'est-il pour vous ? Votre amant ?...
Marianne prit une profonde respiration et s'efforça de garder son calme en constatant avec quelle attention il scrutait son visage. Il s'attendait visiblement à un éclat, à l'une de ces indignations de commande, de ces fausses colères auxquelles s'entendent si bien les femmes amoureuses et qui ne trompent personne. Habilement, Marianne évita le piège tendu et, se renversant sur son siège, se mit à rire doucement.
— Quelle pauvre imagination est la vôtre. Excellence ! Ainsi il n'existe à vos yeux qu'une seule catégorie d'individus qu'une femme puisse souhaiter tirer d'embarras ?
— Bien sûr que non ! Mais ce Beaufort n'est tout de même pas votre frère. Et vous avez entrepris un voyage bien long et bien dangereux pour venir plaider sa cause.
— Bien long, bien dangereux ? La traversée de la mer Noire ? Allons, Monsieur le Duc, soyons sérieux...
Brusquement Marianne se leva et, redevenant soudain grave, ainsi qu'elle l'avait demandé, elle déclara sévèrement :
— Je connais Jason Beaufort depuis longtemps. Excellence. La première fois que je l'ai vu, c'était chez ma tante, à Selton Hall où il était reçu couramment, ainsi d'ailleurs que dans toute l'Angleterre. Il faisait partie des familiers du prince George et, pour moi, il est un ami très cher, je le répète... un ami d'enfance !...
— Un ami d'enfance ? Vous le jurez ?
Elle sentit vibrer dans sa voix une sorte de jalousie amère et désespérée et comprit qu'il lui fallait le convaincre si elle voulait sauver Jason. Haussant gracieusement ses belles épaules, elle murmura, doucement railleuse :
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