— Pour vous sans doute mais en ce qui me concerne je trouverais plutôt insultant !
— Pour qui ? Pour vous ?
— Naturellement. Ce genre de poulet aurait dû vous être adressé avec l’ordre exprès de ne pas avertir la police. Or, c’est à moi qu’on l’envoie, preuve évidente où l’on me tient… On me prend pour un imbécile.
— On peut l’interpréter différemment. Cette lettre vous fait l’arbitre de la situation. Si mon beau-père et moi-même n’obtempérons pas, nous sommes déshonorés aux yeux de la force publique vite relayée par la presse. C’est habile au contraire…
— Que comptez-vous faire ?
— Prendre le premier train pour Zurich ! Ce genre de tractation ne saurait passer par le téléphone et, par chance, nous avons cinq jours !
— Mais en ce qui concerne votre part du marché ?
Le regard dédaigneux qu’Aldo posa sur Lemercier le vengea des avanies que celui-ci lui avait fait subir :
— Entre la vie d’une jeune femme et un joyau, si cher qu’il soit à mon cœur de collectionneur, pensez-vous réellement que je puisse hésiter ? Je donnerai ce que l’on exige de moi… mais je ne vous empêche pas de faire, de votre côté, quelques efforts pour sauver Mlle Autié et mettre la main sur le maître chanteur…
— Et… M. Kledermann ?
— Je ne peux répondre pour lui. C’est un homme d’honneur, sans aucun doute, un grand seigneur même mais il ne guérit pas de la blessure causée par la mort tragique de son épouse et les bracelets qu’on lui réclame étaient de ceux dont elle aimait se parer. C’est pourquoi je préfère lui parler… si toutefois vous acceptez de me rendre mon passeport ?
De mauvaise grâce, Lemercier fouilla dans un des tiroirs de son bureau, en tira la pièce demandée :
— Vous n’en profiterez pas pour rentrer à Venise ?
Le sang d’Aldo ne fit qu’un tour. S’appuyant des deux poings sur le bureau et se penchant pour être à la hauteur de l’adversaire, il lui jeta à la figure :
— Vous êtes bien un flic ! Perdez donc cette habitude de jauger les gens à votre aune personnelle ! S’il n’existait pas des Langlois et des Warren, ce serait à désespérer de l’espèce !
CHAPITRE IX
OÙ L’ON EN APPREND UN PEU PLUS
Le lendemain matin, Aldo pénétrait dans le hall de l’hôtel Baur-au-lac à Zurich. Il connaissait trop les dimensions pharaoniques de la résidence de son beau-père sur la Goldküste – la Rive dorée –, pour aller en tirer la sonnette afin de s’y faire héberger. Pas parce qu’il craignait de n’être pas le bienvenu. Simplement, il préférait la totale liberté de mouvement que procure l’hôtel. Sauf, naturellement, lorsqu’il accompagnait sa femme et ses enfants, il descendait toujours dans ce palais au luxe discret pourvu d’un beau jardin au bord de l’eau. Il y retrouvait toujours la même chambre et s’y sentait un peu chez lui…
Un coup de téléphone à la banque Kledermann lui ayant appris que son beau-père, souffrant, restait chez lui depuis quelques jours le précipita dans un taxi sans prendre la peine d’annoncer sa visite. C’était contraire aux normes de la politesse mais il tenait à juger par lui-même de l’état réel du banquier sans lui laisser le temps de recourir à une mise en scène et à des artifices. En effet, depuis la mort tragique de sa femme, dont il ne se remettait pas, le père de Lisa, bâti à chaux et à sable cependant, semblait accumuler les accidents de santé plus ou moins graves. Cela n’avait rien d’étonnant : Dianora, la blonde Danoise, avait été d’une foudroyante beauté capable d’inspirer une passion même à un homme aussi froid et distant que Moritz Kledermann{10}.
Aldo en savait quelque chose. Avant la Grande Guerre, il avait rencontré Dianora à une fête de Noël dans un palais vénitien. Elle était alors âgée de vingt-trois ans et déjà veuve du comte Vendramini, un vague cousin de Morosini. Celui-ci avait été littéralement ébloui : elle ressemblait à une fée des contes nordiques. Tellement blonde et charmeuse, elle évoquait une fleur saisie par les frimas, le plus pur de ces diamants qui la faisaient scintiller, mais sous le givre de cette statue coulait un sang aussi ardent que celui d’Aldo. Le soir même elle devenait sa maîtresse. Une maîtresse passionnément aimée à laquelle il pensait que rien, jamais, ne pourrait l’arracher. Ce ne fut pas rien, ce fut la guerre. Dès la déclaration, Dianora, refusant de devenir princesse Morosini et peut-être veuve, était repartie pour son Danemark natal. Ils s’étaient dit adieu au bord d’une route de Lombardie avec une froideur et une lucidité d’esprit de la part de la jeune femme dont Aldo avait cru ne jamais se remettre.
Pourtant il s’en était guéri plus vite qu’il ne le pensait et quand il l’avait revue, quelques années plus tard, elle avait épousé Moritz Kledermann et elle était devenue la belle-mère de Lisa. Sa mort sous des balles meurtrières au soir de ses trente ans l’avait empêchée aussi de devenir celle d’Aldo. Ce qui eût été un comble ! Mais elle avait emporté avec elle le secret de leurs amours dont ni le banquier ni sa fille n’avaient rien su…
Lorsqu’il arriva devant ce que l’on appelait le « palais Kledermann » – il avait des dimensions presque doubles du sien propre – Aldo était partagé entre son inquiétude sur la santé de son beau-père et l’espoir que Lisa s’y trouverait encore. Il fut déçu, hélas !
— Madame la princesse nous a quittés la semaine dernière, lui expliqua Gruber, le solennel maître d’hôtel. La consultation du professeur Glanzer l’a complètement rassurée et elle a rejoint Mme la comtesse von Adlerstein à Rudolfskrone…
— La santé de son père ne l’a pas retenue ?
— Monsieur n’était pas souffrant quand elle est partie… ou tout au moins n’en donnait pas l’impression.
Une fêlure dans la voix cérémonieuse alerta Aldo.
— Voulez-vous dire qu’il était déjà malade et s’est arrangé pour qu’elle l’ignore ?
— C’est cela même ! Monsieur s’entend à donner le change et refuse d’inquiéter si peu que ce soit Madame la princesse mais tous ici nous savons que son mal progresse et que, bientôt peut-être, il deviendra difficile de le cacher.
— C’est si grave ?
— Je le crains, Excellence ! Monsieur refuse d’y faire seulement allusion. Quant à confesser le docteur Ackermann, son médecin, autant s’adresser à un mur.
— Est-ce qu’il se soigne, au moins ? demanda Morosini dont l’inquiétude grandissait.
— Sans aucun doute. Il n’est pas homme à se laisser abattre sans lutter, surtout pour sa fille et ses petits-enfants qu’il adore. Cependant, depuis la mort de Madame, quelque chose s’est cassé en lui. Mais je retiens Monsieur le prince et le prie de m’excuser. Je vais l’annoncer…
Aldo trouva son beau-père dans son cabinet de travail, vaste pièce donnant sur les jardins et le lac, magnifique et sobre à la fois, dont il savait que les bibliothèques dissimulaient l’entrée de la chambre forte où reposait la collection de joyaux. Assis à son bureau, le banquier lisait les cours de la Bourse mais jeta son journal pour venir au-devant de son gendre dont il serra la main avec une fermeté pleine de chaleur :
— Voilà un plaisir inattendu, dit-il avec un de ses lents et rares sourires qui conféraient tant de charme à ses traits austères. Savez-vous que vous manquez Lisa de peu ? Elle était encore ici il y a trois jours avec les enfants !
— Vous m’en voyez désolé. Était-elle rassurée pour Marco ?
— Entièrement ! Je vous avoue d’ailleurs ne pas comprendre le souci qu’elle se fait pour ce gamin : il éclate de santé. Glanzer lui a presque ri au nez quand elle s’est rendue chez lui avec le bébé ! Mais cela lui ressemble assez : Lisa est la fille des coups de cœur. Rappelez-vous celui qu’elle a eu pour Venise et pour vous…
— Je crains qu’il ne lui passe. Mon fils règne sur elle et je ne suis plus que prince consort. Elle n’a rien voulu entendre pour m’accompagner à Versailles.
Le banquier se mit à rire si spontanément qu’Aldo en oublia un instant les craintes qu’il inspirait à son entourage. D’autant que, toujours aussi sobrement élégant, il n’y avait aucun signe, dans sa haute et mince silhouette, qui pût inspirer la crainte.
— Rassurez-vous, elle vous aime. Seulement vous n’avez pas la priorité en ce moment… Cela dit et, à propos de Versailles, j’ai appris qu’il s’y passait d’étranges événements ? Des meurtres à répétition si j’ai bien compris ?
— Oh, vous avez fort bien compris ! soupira Aldo en se laissant aller dans le profond fauteuil de cuir qu’on lui offrait. Le malheur est que le nombre des visiteurs augmente avec celui des cadavres. Nous sommes en train de ramasser une fortune pour Trianon et la fête que nous avons prévue mais réduite à l’essentiel s’est passée sans anicroches. Un vrai rêve ! Le réveil n’en a été que plus rude…
— Encore un mort ?
— Non. Cette fois c’est un enlèvement… et c’est aussi la raison de ma présence ce matin. Mais il faut que je vous explique.
Avec le plus de concision possible, Aldo retraça la suite d’événements tragiques dont Versailles était le théâtre. Tout en parlant, il sentait une angoisse monter en lui. Les confidences du maître d’hôtel rendaient sa mission singulièrement délicate. Il n’est jamais facile d’annoncer à un collectionneur qu’il va perdre une pièce importante. C’est un peu comme si on lui prélevait un morceau de chair mais quand, en plus, ledit collectionneur est un ami gravement malade, cela touche à la cruauté. Il eût beau faire de son mieux pour adoucir la pilule, il fallut quand même en venir à la présenter :
— En échange de la vie de Mlle Autié, ce criminel exige que lui soient remis mes « girandoles » et vos bracelets. Pour ce faire, il nous a accordé cinq jours après quoi, la pauvre fille pourrait perdre un doigt, une oreille…
"Les Larmes De Marie-Antoinette" отзывы
Отзывы читателей о книге "Les Larmes De Marie-Antoinette". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Les Larmes De Marie-Antoinette" друзьям в соцсетях.