— Une manière comme une autre de passer le temps… à condition que vous soyez discret et que vos confrères n’en rêvent pas !
— Vous avez ma parole ! fit Berthier soudain sérieux.
— Une maison hantée en face de celle du pauvre colonel Karloff, cela vous intéresse. Avec en prime une jolie fille à surveiller, ça vous va ?
— Je pense bien !
— Alors, écoutez-moi !
DEUXIÈME PARTIE
VENGEANCE
MAIS POUR QUI ?
CHAPITRE VIII
REVOIR PAULINE
D’une rare beauté, le spectacle faisait reculer le temps. En franchissant la porte Saint-Antoine desservant les Trianons devant laquelle s’arrêtaient les voitures, d’une part, et, d’autre part, l’interminable tapis rouge qui se perdait sous les arbres éclairés de lanternes vénitiennes, on abandonnait le vingtième siècle, son fracas et ses outrances, pour pénétrer dans un monde mystérieux et attirant dont la magie effaçait les siècles. On n’était plus dans les années folles mais en l’an de grâce 1784 et la reine Marie-Antoinette allait recevoir le roi Gustave III de Suède venu sous l’incognito de comte de Haga…
Tout y concourait et d’abord le soin que l’on avait mis à dissimuler les lumières électriques au moyen de lampes couvertes disséminées à travers les jardins et qui donnaient des reflets très doux. Près de la cascade on avait reconstitué comme autrefois les grands transparents blancs, peints à la détrempe, figurant de hautes herbes, des buissons de fleurs fantastiques, des palmes et des rochers. Des personnages vêtus de blancheur scintillante semblaient voltiger, irréels dans la sombre verdure.
La couleur de la neige était d’ailleurs de mise comme elle l’avait été pour cette dernière fête qu’avait donnée la Reine dans son jardin anglais. Toutes les femmes étaient habillées de blanc et c’était une débauche de satins, de velours, de mousselines, de dentelles, de crêpes de Chine, de lamés et de plumes sous les plus beaux diamants, les plus belles chutes de perles fines que recelaient les écrins des belles invitées. Et des moins belles aussi. Le noir mat de l’habit masculin relevait encore la splendeur des toilettes féminines…
Quant au cadre, lady Mendl et le décorateur de l’Opéra avaient fait merveilles en utilisant au mieux au bord du lac artificiel la disposition en arc de cercle du Hameau comme d’une scène de théâtre, dont la maison de la Reine était l’élément principal côté cour et la tour de Marlborough, en avancée de la laiterie de propreté, côté jardin. L’ensemble était doucement éclairé de lampes invisibles afin de ne pas mettre en évidence l’usure du temps sur ces gracieuses constructions de bois et de torchis. En face, au pied du Belvédère brillant comme de l’or, plusieurs tribunes basses, tendues de bleu et blanc, étaient disposées pour les invités et sur le lac même un radeau supportait l’orchestre à cordes choisi par la comtesse Greffuhle. Les musiciens étaient bien sûr en costumes d’époque. Des projecteurs cachés dans les arbres étaient prêts à les éclairer en laissant dans l’ombre relative les barques alentour. Venu de nulle part en apparence, un air de flûte animait la nuit… Le temps était doux et le ciel plein d’étoiles.
Curieusement silencieux, ce début de fête ! Conscients des drames flottant encore autour de Trianon, les invités étouffaient leurs voix pour se saluer ou échanger quelques mots tandis que des jeunes gens en livrée bleu et blanc les guidaient vers leurs places.
Splendide à son habitude, la marquise de Sommières fit, au bras de son neveu, une entrée remarquée dans une longue robe de chantilly blanche à courte traîne réchauffée d’une écharpe doublée de satin. L’habituel col baleiné était remplacé par un large « collier de chien » en diamants baguettes assortis à ceux de ses boucles d’oreilles. Une collection de fins bracelets tous semblables étincelait sur la dentelle de son poignet droit cependant que sa main gauche ne portait qu’une bague en dehors de son alliance : une magnifique pierre à reflets bleutés soutenue de chaque côté par deux plus petites qu’Aldo découvrit avec stupeur au moment du départ lorsqu’il posa l’écharpe sur ses épaules tandis qu’elle mettait ses gants :
— Je ne vous ai jamais vu ce bijou. D’où le sortez-vous ?
— De mon coffre-fort, qu’il n’a pas quitté depuis ton mariage. Que tu ne t’en sois pas aperçu à l’époque n’a rien d’étonnant : tu ne voyais que Lisa et c’était bien naturel.
— Mais c’est…
D’un geste devenu habituel, Aldo était à la recherche de sa petite loupe de joaillier quand elle l’arrêta :
— Ne cherche pas ! C’est un « Mazarin » et Marie-Antoinette l’a porté. C’est la raison pour laquelle je le mets ce soir. Il m’a semblé normal de le ramener respirer l’air de Versailles !
— Pourquoi ne l’avez-vous jamais dit ?
— Cela ne me semblait pas indispensable ! Maintenant tu le sais et j’ajoute que je le destine à Lisa comme la plupart des bijoux auxquels je tiens !
— C’est impossible ! Vous avez une famille !
— J’avais un fils que je ne voyais que rarement parce que sa femme préférait vivre en Espagne, son pays natal. Elle s’est remariée et je n’ai pas d’autres petits-enfants que les tiens.
— Et vous ne m’en avez jamais parlé ? Je savais que vous ne voyiez pas votre fils… que vous n’aimiez pas en parler mais j’ignorais…
— Je voulais qu’il en soit ainsi. Il avait tourné le dos à la France pour une femme qui me détestait. Plan-Crépin a reçu une fois pour toutes l’ordre de ne pas évoquer le sujet. Nous y allons ?
On y alla mais quand la main de la vieille dame se posa sur sa manche, il la couvrit de la sienne en un geste plein de tendresse dont elle le remercia d’un sourire fier. La tête bien droite sous sa couronne de cheveux argentés, elle avait l’air d’une reine et pour lui elle en était une. Ce soir, il eut une bouffée d’orgueil quand un murmure flatteur salua son apparition. Elle fut immédiatement très entourée bien qu’elle ne fréquentât guère le Tout-Paris mais cette grande voyageuse habituée de nombreux palaces possédait un nombre incroyable de relations françaises ou étrangères. Elle et Aldo avaient leurs places marquées dans la tribune centrale, celle des notables, des ministres ou ambassadeurs tandis qu’Adalbert et Marie-Angéline se retrouvaient dans celle de gauche avec plusieurs membres du Comité, les autres étant installés dans celle de droite, ce qui, grâce à la courbure du lac, leur permettait de se voir.
Plan-Crépin était aux anges ce soir dans la robe de moire que lui avait offerte la marquise, jointe à un long entretien avec le coiffeur et la manucure de l’hôtel. Un chignon savant et un léger maquillage plus les perles qu’elle lui avait prêtées la transformaient et Adalbert lui en fit compliment :
— Aldo a raison quand il dit que vous devriez être plus coquette.
— Bah, dans la vie quotidienne ça ne s’impose pas et j’aime mes aises. Je me vois mal perchée à longueur de journée là-dessus, fit-elle en montrant ses escarpins à hauts talons. De toute façon, je ne serai jamais une foudroyante beauté comme j’en vois une là-bas, ajouta-t-elle en parcourant du regard les tribunes. Sautant l’officielle, il s’arrêta sur la tribune d’en face :… Par exemple la voisine de Gilles Vauxbrun.
— Lady Léonora ? Ce n’est pas une nouvelle, répondit Adalbert occupé à consulter le programme.
— Pas elle, non. Celle qui est à sa gauche et à qui il parle en ce moment. Elle est superbe et je ne sais pas qui elle est.
Il leva les yeux. Presque aussitôt ses sourcils effectuèrent le même mouvement ascendant :
— Pour une surprise !
— Vous la connaissez ?
— Je pense bien ! Aldo et moi avons séjourné chez elle à Newport. Il ne vous a jamais parlé de Pauline Belmont ? Je veux dire la baronne von Etzenberg ?
— Ces gens qui possèdent une copie d’un château français ? Celui de Maisons-Laffitte, je crois !
— C’est juste ! Ils sont charmants. Le frère John-Augustus est un phénomène, qui collectionne les voiliers et les maillots de bain. Il trempe dans l’océan au moins trois fois par jour pendant que sa femme danse ou joue du banjo. Pauline, elle, est sculpteur.
— Adalbert, en effet, nous a raconté… Mais il n’a jamais dit qu’elle était aussi splendide !
— Ça lui aura échappé, lâcha Adalbert avec la conscience aiguë d’avoir dit n’importe quoi. Ce soir, en contemplant la belle Américaine à la fois somptueuse et sobre dans une robe de mousseline scintillante de petites perles de cristal dont le profond décolleté, sans le moindre bijou, se voilait à demi sous une longue écharpe transparente, il retrouvait intacte l’inquiétude éprouvée l’an passé devant l’attirance visible entre la jeune femme et son ami. Pauline – il en aurait mis sa main au feu ! – était amoureuse d’Aldo et celui-ci, plus troublé qu’il ne voulait l’admettre, s’était hâté de mettre un océan entre lui et ce beau danger auquel Vidal-Pellicorne était presque sûr qu’il avait cédé. Une seule fois sans doute mais cédé tout de même. C’était à l’aube du bal donné à Belmont Castle.
Pauline et Aldo s’étaient attardés dans la bibliothèque… dont Adalbert avait pu constater, en revenant silencieusement sur ses pas, qu’elle avait été fermée à clef… Deux jours plus tard Aldo et lui repartaient, à son grand soulagement. Jamais le bonheur de Lisa qu’il aimait beaucoup n’avait été autant menacé parce que Pauline possédait les mêmes armes qu’elle : intelligence, sensibilité, générosité, culture, courage, sens de l’humour et de l’esthétique, et capacité d’aimer au-delà d’elle-même ! Et Adalbert n’envisageait pas sans crainte ce qui se passerait dans le cœur de son ami quand l’Américaine et lui se retrouveraient face à face. Parce que c’était inévitable…
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