— À merveille ! fit la marquise. En ce cas, le mieux est de ne pas différer. Allez vous préparer, nous allons vous emmener. Ma voiture est à la porte…

— Je n’ai pas besoin que l’on me dicte ma conduite ! Et je ne vois vraiment pas pourquoi j’irais avec vous ?

— Parce que c’est assez loin, fit Mme de Sommières avec douceur et que nous avons une voiture devant la porte. Cela vous évitera une peine supplémentaire dont vous n’avez nul besoin car je vous crois très lasse ? Je me trompe ?

— N… on ! Je… je n’en peux plus !

Et sans transition, elle se jeta sur le canapé qui perdait son crin par touffes noires puis éclata en sanglots que les deux visiteuses se gardèrent bien d’interrompre : cette petite en avait visiblement besoin.

— Laissons-la se calmer, chuchota Tante Amélie, mais voyez donc s’il n’y a pas quelque chose d’un peu remontant dans cette maison. Après quoi, vous l’aiderez à se préparer et nous l’emmènerons.

L’interpellée jeta un coup d’œil à la pendule de bronze qui semblait fonctionner :

— Est-ce que nous savons qu’il va être midi ? Le commissaire sera parti déjeuner.

— Qu’à cela ne tienne. Nous allons en faire autant. Un bon repas apportera le plus grand réconfort à cette pauvre fille… Elle se sentira mieux ensuite pour affronter la police.

— Espérons qu’elle acceptera, chuchota Marie-Angéline. Elle ne semble pas facile à manier.

— Qu’est-ce que vous imaginiez ? Qu’elle allait nous sauter au cou alors qu’il y a une heure elle ignorait jusqu’à notre existence ?… Ah, j’y pense, avant de partir vous irez avertir le plombier qu’il peut ranger sa trousse de manucure. Lui aussi a le droit de déjeuner…

— … Et voilà ! conclut Tante Amélie. Tout a marché comme sur des roulettes. La petite Autié a fini par consentir à partager le pain et le sel avec nous, à la suite de quoi nous nous sommes rendues à l’hôtel de police où, après une explication… je dirais animée… elle a retiré sa plainte. Nous l’avons ramenée chez elle. J’avais suggéré qu’elle accepte d’être mon invitée à l’hôtel pour quelques jours afin de se remettre de ses émotions mais elle a refusé : elle tient à rester dans sa maison !

— Puisque vous avez passé un long moment avec elle, avez-vous réussi à débroussailler son histoire de pendentif ? demanda Adalbert. Avant de nous vouer aux gémonies, elle nous a montré un portrait…

— Celui de cette horrible femme ! frémit Plan-Crépin.

— Vous n’y connaissez rien, ma fille ! Et surtout vous ignorez qu’une femme laide mais désirable peut enchaîner un homme plus sûrement qu’une reine de beauté. C’était sans doute le cas de la seconde épouse du grand-père. Or, elle était folle de ce joyau connu dans la famille depuis des lustres sous le nom du pendentif et, quand elle s’est sentie mourir, elle a exigé de son époux qu’il l’enterre avec elle mais dans le plus grand secret. Personne ne devait savoir afin qu’elle pût être certaine qu’on ne viendrait pas la déranger dans son sommeil éternel. Ce que dans son désespoir de la perdre il a accepté. Quand il est mort à son tour, Caroline en rangeant ses papiers a découvert le pot aux roses en lisant un journal intime qu’il cachait dans un meuble.

— Et elle n’a pas demandé l’exhumation alors qu’elle ne roule apparemment pas sur l’or ? commenta Aldo. Elle est héroïque, cette fille !

— Je la crois un être de qualité, fit Tante Amélie songeuse. Il est même étonnant que, tournée comme elle est, aucun homme n’ait songé à l’épouser.

— C’est peut-être elle qui ne veut pas ! suggéra Adalbert. Le célibat c’est une vocation. J’en suis la vivante preuve.

Morosini se mit à rire :

— Pas très convaincante, ta preuve ! Ton cher célibat, tu as dangereusement failli y renoncer à certaines occasions ?

— Que c’est élégant de me le rappeler ! La chair est faible sans doute mais le Seigneur a préservé son serviteur ! déclama-t-il en levant vers le plafond un regard extasié. Ce dont je ne le remercierai jamais assez !





CHAPITRE IV


DU CIMETIÈRE NOTRE-DAME AU BASSIN DU DRAGON

Quelques coups de téléphone permirent à Morosini de réunir, le soir même et dans le salon de Mme de Sommières, dans un souci d’intimité, les membres les plus actifs du Comité – Mme de La Begassière, Olivier de Malden, le colonel de Vernois, lady Mendl et Quentin Crawford que la marquise connaissait de loin – plus le commissaire Lemercier assez surpris de l’invitation mais qui se hâta d’accourir. Adalbert était rentré à Paris afin d’y retrouver des habits à sa taille.

Le policier commença par s’excuser de les avoir malmenés en invoquant le peu de temps qui leur restait avant la date ultimatum fixée par l’assassin : deux jours pour lui livrer la vraie larme de la Reine.

— Il se pourrait que l’on ait besoin de moins, fit Aldo.

— Vous savez donc où elle est ? grogna le vieux « Dur-à-cuire », l’œil déjà soupçonneux.

— Je crois le savoir grâce à Mme de Sommières, notre hôtesse, qui a eu, ce matin, un entretien plein d’enseignements avec Mlle Autié…

Lemercier bondit aussitôt de son fauteuil comme si un ressort venait de s’y détendre :

— Comment se fait-il que ces dames ne m’en aient rien dit quand elles sont venues vous sortir du « trou » ?

— Il n’y avait aucune raison, répondit la voix calme, légèrement traînante de l’Écossais. Vous êtes en charge de meurtres, commissaire, pas du vol d’un joyau qui d’ailleurs a été restitué. En outre, vous êtes ici ? Ne vous plaignez donc pas d’être tenu à l’écart !

— Je me demande justement pourquoi je suis ici !

— Parce qu’on a besoin de vous, tout simplement ! conclut Aldo avec un sourire reconnaissant à l’adresse de Crawford.

— Et pour quoi faire ?

— Pour obtenir rapidement du procureur de la République un permis d’exhumation. La « larme » transformée en pendentif doit se trouver au cimetière Notre-Dame dans le caveau de la famille Autié.

Un murmure de surprise courut parmi les assistants à qui Marie-Angéline était en train d’offrir des coupes de champagne. Ponant-Saint-Germain émit des hennissements :

— Et cette… demoiselle n’a jamais essayé de la récupérer ? Elle doit être riche…

— Elle donne des leçons de piano, fit la marquise. Jugez vous-même !

Le professeur renifla :

— Pfft ! Alors c’est une idiote… ou une grande âme !

— Qu’elle soit ce qu’elle veut, coupa le policier, le procureur n’accordera rien si elle refuse qu’on fouille sa tombe familiale. Son autorisation est indispensable !

Un silence suivit l’arrêt, aussi tranchant qu’une lame de couteau. Chacun pesait les mots qui semblaient définitifs.

— On pourrait peut-être le lui demander ? avança Mme de Sommières. Je m’en chargerai puisqu’elle me connaît déjà. Mlle Autié n’aime pas la défunte qu’il faudrait visiter. Sans l’avoir jamais connue d’ailleurs. Et si on lui dit qu’en laissant ce bijou remonter à la lumière du jour, elle sauvera une… ou plusieurs vies humaines elle peut se laisser convaincre ?

— … de laisser filer pareil trésor dans les mains d’un truand doublé d’un maître chanteur sans en avoir la moindre miette alors qu’elle vit plutôt chichement si j’ai bien compris ? Vous rêvez, ma chère dame !

— Je ne le pense pas ! riposta la marquise en le fusillant du regard à travers son petit face-à-main. Il se trouve que j’ai une légère expérience en la connaissance des animaux humains !

— En outre, enchaîna Aldo nous pourrions prévoir un dédommagement pour lui rendre la pilule moins amère ? À nous tous, nous devrions réunir une assez belle somme, j’imagine ? Pour ma part je suis prêt à contribuer…

— Cette blague ! ricana le professeur. Vous êtes un Crésus, vous, ce qui n’est pas mon cas. Je suis pauvre comme un rat d’égout.

— J’ai toujours considéré les rats d’égout comme particulièrement prospères, fit Crawford une lueur malicieuse dans les yeux. Ils ne manquent de rien et sont grassouillets !

— Quelle horreur ! s’exclama lady Mendl. Vous auriez dû invoquer Job, professeur ! Au moins tout le monde connaît… Cela dit, je partage l’avis du prince Morosini et j’accepte de cotiser…

— Au fait ! Il n’existe pas d’autres membres de la famille ? suggéra Olivier de Malden.

— Elle prétend être seule, renseigna Lemercier. À l’exception d’un cousin au second ou troisième degré. Elle ne l’a pas vu depuis des années et ignore s’il est encore vivant… Ce qui est sans intérêt d’ailleurs dans le cas qui nous occupe : il descendrait de la sœur du grand-père, ce qui ne lui donne pas voix au chapitre.

— Inutile de perdre du temps à le rechercher, coupa Mme de Sommières et comme il nous est chichement compté, je propose de téléphoner à Mlle Autié pour lui demander si elle peut nous recevoir d’ici une demi-heure, monsieur le commissaire, lord Crawford et moi, bien que je n’appartienne pas au Comité ? Plan-Crépin, prenez cet instrument et appelez cette jeune fille, ajouta-t-elle après avoir reçu l’approbation générale. Seul Aldo avait protesté :

— Pourquoi pas moi ?

— Parce que ta présence ne me semble pas souhaitable. Crois-tu que cette malheureuse a envie de te revoir après ce qui s’est passé ?


Un moment plus tard, les trois plénipotentiaires s’entassaient dans la voiture du commissaire, laissant le reste du Comité aux soins de Marie-Angéline qui en profita pour remettre sur le tapis la fameuse soirée à Trianon prévue la semaine suivante dont, dans un instant, personne ne savait plus que faire…

L’attente ne fut pas longue une demi-heure après ils étaient de retour, rapportant l’autorisation désirée :

— Mlle Autié n’a fait aucune difficulté, dit la marquise tandis que son neveu la débarrassait de la vaste mante de velours noir dont elle s’était revêtue. Pauvre petite ! C’est vraiment quelqu’un de très bien… Grâce à Dieu elle n’est pas obligée d’assister à cette pénible cérémonie : elle n’a jamais vu la défunte autrement qu’en portrait. Pourtant elle sera là !