Il n’eut pas le temps d’en dire davantage. La demoiselle se baissant rapidement, ramassait une statuette de bronze qui traînait au pied du piano dans l’intention évidente de s’en faire une arme…
— Expert en joyaux, hein ? Et vous osez me le dire en face… Sortez !
— Je ne vois pas pourquoi je m’en cacherais. Mais je tenais à vous faire comprendre…
— Rien ! Sortez ! Sortez immédiatement ou j’appelle la police, ajouta-t-elle en relevant de sa main libre un téléphone qu’elle posa au jugé sur l’instrument.
— Ça, fit calmement Adalbert, c’est une fameuse bonne idée parce que, justement, elle vous cherche la police ! N’oubliez pas de demander le commissaire Lemercier ! Vous verrez, c’est un homme exquis !
Un peu désarçonnée, Caroline Autié baissa sa garde :
— Ah oui ? Si vous êtes ce que je pense, vous ne devez pas l’apprécier beaucoup en effet ! Bien entendu vous êtes dans les bijoux vous aussi ?
Adalbert lui offrit un sourire angélique :
— De temps à autre mais ce n’est pas habituel. Je donne dans plus imposant. Pyramides, mastabas et sarcophages, par exemple. En un mot, mademoiselle, je suis égyptologue…
— Vraiment ? Et qu’est-ce qu’un égyptologue fait chez moi à deux heures du matin ? Au fait, vous vous appelez comment ?
— Adalbert Vidal-Pellicorne, pour vous servir. Dois-je ajouter mes décorations et titres universitaires ?
— Non, je suis certaine que vous avez une imagination débordante…
— Mais vous guère de suite dans les idées. Puis-je vous rappeler que vous souhaitiez appeler la police ?
Agacé, Aldo s’empara de l’appareil et demanda le commissariat de Versailles à l’opératrice légèrement ensommeillée qui lui répondit. Elle n’en fit pas moins diligence et une minute plus tard, il obtenait le poste, mais pas le vieux « Dur-à-cuire » qui devait tout de même sacrifier à la ridicule habitude humaine d’aller au lit de temps en temps.
— Veuillez vous charger d’un message pour lui, s’il vous plaît. Dites-lui que Mlle Autié est de retour… De la part du prince Morosini : M-o-r-o-s-i-n-i !… C’est ça ! Bonne nuit…
Son petit coup d’audace avait quelque peu calmé la jeune furie. Son regard vert allait d’Aldo à Adalbert comme si elle cherchait à évaluer quel degré de crédibilité elle devait leur accorder. Leur allure, leur élégance – certaine en dépit des traces laissées par l’escalade du mur ! – lui avaient fait penser un instant à ces cambrioleurs mondains que Maurice Leblanc avait mis si fort à la mode car elle était elle-même grande lectrice des aventures d’Arsène Lupin ! – mais l’étrange message laissé par cet homme qui se disait prince lui brouillait les idées. D’autant plus qu’elle se sentait très lasse : la longueur du voyage d’abord puis cette horrible surprise en revenant chez elle… Sans un mot elle traversa la pièce encombrée et disparut derrière la porte de la cuisine pour se passer de l’eau fraîche sur la figure, puis s’en versa un verre avec lequel elle alla rejoindre les intrus qui, entretemps, avaient remis sur pied quelques meubles dont une bergère au coussin lacéré que lui avança Adalbert.
— Pourquoi ce commissaire devrait-il venir ici ? demanda-t-elle d’une voix lasse.
— Mais en premier lieu pour constater ce massacre, répondit Aldo. J’espère que vous avez l’intention de porter plainte ?
— Naturellement mais…
— Et vous ne savez pas encore jusqu’à quel point vous avez été dépouillée. À ceci s’ajoute la disparition de la boucle d’oreille que vous aviez confiée à Chaumet et qui a été enlevée de Trianon où il l’avait exposée avec les autres joyaux de Marie-Antoinette…
Il s’interrompit surpris par l’immensité de verte stupéfaction qu’elle levait sur lui :
— Moi ? souffla-t-elle. J’aurais confié une boucle d’oreille à… Qui avez-vous dit ?
— Chaumet, le joaillier de la place Vendôme. Avant votre départ pour Florence… C’est de Florence que vous arrivez, si je ne me trompe ?
— Oui, et de Rome. Je viens d’y passer un mois.
— Donc, avant votre départ vous lui avez envoyé la copie – fort belle d’ailleurs – d’une girandole de diamants ayant fait partie des bijoux personnels de la Reine en lui demandant d’avoir l’amabilité de l’exposer, bien quelle soit fausse, dans l’espoir qu’elle permettrait peut-être de retrouver la piste de celui qui vous a dérobé la vraie il y a deux ans !
— Mais c’est une histoire de fous ! Jamais je n’ai possédé de… comment dites-vous ? Gi… randole de diamants ?
— Oui. On appelle ainsi des pendants d’oreilles. Celle dont je parle se compose d’un diamant soutenant une « larme »… de diamant ! Attendez un instant !
Tirant d’une poche un carnet de cuir noir et un porte-mine d’or, il exécuta une rapide esquisse du bijou grandeur nature où à peu près.
— Voilà. C’est à l’échelle et aussi exact que possible.
La jeune fille prit le carnet pour mieux voir :
— Vous dites que cela se portait à l’oreille ? Ce devait être lourd.
— J’en ai connu de plus pesants. Pourquoi ?
— Parce que mon grand-père a possédé jadis un pendentif semblable à celui-là… et même absolument semblable si j’en crois un portrait qui est dans ma chambre… enfin qui y était avant ce soir, ajouta-t-elle en se levant avec agitation pour passer une autre porte que celle de la cuisine. Les deux hommes la suivirent sans hésiter et se retrouvèrent dans un couloir sur lequel donnaient sans doute les chambres. Caroline entra dans la plus proche, alluma et poussa une exclamation douloureuse. La pièce, charmante au demeurant avec ses tentures en toile de Jouy à impressions bleues et son lit Directoire peint en gris Trianon avec rechampis bleus, avait subi le même traitement que le salon : tout était par terre… à la seule exception d’un tableau ovale encadré de bois doré accroché en face du lit : le portrait d’une dame en robe de soie prune, coiffée et décolletée à la mode du Second Empire, portant autour du cou, avec une satisfaction évidente, un ruban de velours violet d’où pendait la reproduction, en couleurs, du dessin d’Aldo. Bien que le peintre ne fût pas un maître – l’un de ceux, sans doute, que se repassaient les familles bourgeoises au long du XIXe siè-cle –, le bijou était très ressemblant. Le modèle aussi peut-être ? Ce qui n’était pas à souhaiter. La dame, en effet, avait le cheveu châtain terne, l’œil aussi dur qu’une bille d’agate et, si aucun des traits n’était disgracieux, le sourire à la fois pincé et satisfait qu’elle arborait ne plaidait pas en sa faveur… Considérant le visage de la jeune fille, Aldo ne put retenir :
— Cette dame est de votre famille ?
— C’est ma grand-mère… ou plutôt la seconde épouse de mon grand-père mais je n’ai connu ni l’une ni l’autre.
— J’aime mieux ça ! Il aurait été dommage que vous lui ressembliez. Mais pourquoi gardez-vous cette toile dans votre chambre ? La dame n’est vraiment pas sympathique.
— C’est à cause du pendentif. Je l’ai toujours trouvé si beau ! J’en rêvais lorsque j’étais petite fille. Je lisais les contes de Perrault et je m’imaginais être Peau d’Ane en robe couleur de lune avec ce bijou à mon cou… Et, naturellement, j’attendais le prince charmant !
— Est-il au moins venu, celui-là ? demanda Adalbert en rétablissant un secrétaire dont les tiroirs retournés gisaient sur le tapis.
La jeune fille se referma comme une huître :
— Je ne crois pas que cela vous regarde !
— Ne vous fâchez pas ! plaida Aldo. Il suffit de vous voir pour que cette pensée vienne à l’esprit. Mon ami Adalbert pense que vous devez avoir un fiancé ?
— Eh bien, je n’en ai pas ! À présent, vous seriez aimables de vous retirer et de me laisser prendre du repos. Je suis vraiment très fatiguée !
— Vous envisagez sérieusement de dormir au milieu de ce capharnaüm ? Même vos matelas ont été fouillés !
— Il y a trois autres chambres. On en aura peut-être épargné une.
Mais c’était la même désolation partout, y compris dans la salle de bains et les deux cabinets de toilette. Seule la cuisine était debout… D’autre part, il était évident que Mlle Autié était au bord de la crise de nerfs. Ses traits se tiraient et des cernes apparaissaient sous ses yeux.
— Vous voyez bien ! fit Aldo apitoyé mais qui brûlait d’en revenir au « pendentif » dont la question intempestive d’Adalbert les avait éloignés. Si vous voulez accepter un conseil, nous allons fermer la maison et vous emmener…
— Il n’est pas question que j’aille où que ce soit avec vous ! se mit à crier Caroline visiblement en train de craquer. Je ne vous connais pas et je n’ai pas envie de faire connaissance ! Qui me dit que ce n’est pas vous qui avez tout retourné ici ? Qu’est-ce que j’en sais !… Allez-vous-en !
Elle s’enfuit vers le salon où les deux hommes la suivirent. Ce fut pour constater qu’un nouveau personnage s’y inscrivait : le commissaire Lemercier, qui se tenait debout au milieu de la pièce, appuyé d’une main sur une canne, l’autre disparaissant dans sa poche.
Aldo poussa un soupir : on n’était pas près d’aller se coucher…
— On dirait que je tombe à pic ? ironisa l’arrivant. Ces individus vous importunent, mademoiselle, après avoir tout retourné chez vous ? Du moins si j’en crois mes yeux ?
— Réfléchissez deux secondes, commissaire, s’emporta Aldo qui arrivait au bout de sa patience. C’est moi qui vous ai laissé un message vous annonçant le retour de mademoiselle ainsi que le cambriolage…
— Je sais. C’était même très adroit puisque vous me croyiez au fond de mon lit. Cela vous donnait les gants de l’ange sauveur… tout en vous permettant de finir tranquillement votre ouvrage… Seulement il se trouve que j’ai pour habitude de donner des ordres précis : on doit m’avertir aussitôt qu’il se présente des faits anormaux et ce à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Me ferez-vous la grâce de me confier ce que, tous les deux, vous êtes venus faire ici ?
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