— Non. Ce n’est pas clair. Il l’avait peut-être apporté pour le mettre à la place du vrai ?
— Comme c’est vraisemblable ! Vous lisez trop de romans, Madame, et je vais vous laisser à vos réflexions mais, auparavant, je voudrais vous poser une dernière question… Avant de le jeter comme une robe qui a cessé de plaire, avez-vous aimé Adalbert ?
Elle porta soudain un intérêt passionné à ses ongles manucurés dont la laque pourpre était cependant sans défaut avant de soupirer :
— Oh… Je crois que je l’aimais bien ! Il était tellement drôle… et aussi tellement commode.
— Commode ? reprit Aldo choqué par le mot.
— Évidemment ! Il savait tant de choses, tant d’histoires ! L’écouter évoquer les grandes figures de ma chère Égypte était un vrai bonheur ! Il a dû beaucoup lire ? ajouta-t-elle en fronçant les sourcils…
— Madame Obolensky, laissa tomber Aldo exaspéré, on ne donne pas la Légion d’Honneur, les Palmes académiques et un siège à l’Académie des Sciences à un monsieur qui se contente de feuilleter des bouquins de vulgarisation d’un doigt distrait et dans le seul but de vous en mettre plein la vue !
— Oh, les décorations, il y a tellement de gens qui en portent sans y avoir droit !
Pouvait-on vraiment être aussi belle, aussi entêtée et aussi idiote ? Pour la première fois de sa vie Aldo eut envie de battre une femme. Rien que pour voir si le grelot qu’elle avait à la place du cerveau se mettrait à tinter… Abandonnant la partie, il s’inclina brièvement et entreprit de traverser l’archipel de tapis orientaux qui couvrait le sol de marbre à la fois pour sortir et pour voir quelle était la cause du vacarme qui venait d’éclater dans le vestibule mais il n’eut pas le temps d’atteindre la porte. Celle-ci s’ouvrit si brusquement qu’il faillit la recevoir en pleine figure tandis qu’une voix – inoubliable pour lui ! – clamait :
— On me dit que tu es là ma fille ?… Mais oui tu es là ! Quelle chance ! Tu vas pouvoir t’occuper de tous les détails. À condition bien entendu de changer de tenue : c’est assez joli ce lin plissé mais ce n’est pas très pratique. Et cette perruque ? Mais qu’est-ce qui te prend de mettre une perruque ? Ne me dis pas que tu perds tes cheveux ? Ce serait épouvantable quoique ma femme de chambre possède un excellent traitement…
Le flot de paroles emplissait le salon. En même temps Alice frappée d’un accablement surhumain semblait rétrécir à chaque seconde :
— Maman ! exhala-t-elle enfin. Mais qu’est-ce que vous venez faire ici ?
— Comment ce que je viens faire ?… Superviser l’organisation de notre grand bal d’été comme j’en ai l’habitude !
— Sauf l’année dernière où vous étiez à Monte-Carlo et celle d’avant où vous faisiez je ne sais plus quoi à Istamboul.
— Tu crois ?… C’est possible finalement mais il faut bien que de temps en temps je me souvienne de mes obligations envers cette maison où je suis toujours chez moi…
— Maman ! Cette maison m’appartient à présent.
— Qu’est-ce que tu me chantes ? Que ton frère Vincent en soit propriétaire légal je ne dis pas mais il n’en reste pas moins que j’ai pour elle une foule d’idées charmantes. Allons, les enfants, tenez-vous tranquilles ! ajouta-t-elle à l’adresse de la meute de cinq terriers qui faisait une entrée massive et galopait à travers le salon pour se dégourdir les pattes.
L’un d’eux se passionna pour Morosini. Fasciné par le débit de la dame et le tableau qu’elle offrait, il était resté planté près de la porte et ledit chien essaya de le déloger en s’attaquant au bas de son pantalon. Cette activité attira l’attention de sa maîtresse qui vola au secours d’Aldo.
— Allons, vilain trésor ! Ce monsieur n’est pas venu pour jouer avec toi et…
Comme elle relevait la tête tout en tirant le terrier en arrière, elle eut un large sourire réjoui et clama :
— Mais c’est mon petit prince gondolier ? Quel bon vent vous amène, mon cher ? Justement je pensais à vous il y a peu !
— Lady Ribblesdale, mes hommages ! murmura Aldo accablé par l’arrivée de la renommée et insupportable Ava Astor qui accaparait encore ce nom bien qu’elle fût divorcée, remariée et même veuve. Cette manie qu’elle avait de l’appeler « son petit prince gondolier » lui avait donné depuis le début l’envie de la gifler(19). Elle n’ignorait rien, pourtant, de son métier : chaque fois qu’elle le voyait, elle le submergeait de ses injonctions de lui procurer un diamant illustre. Cela dit et la soixantaine atteinte, elle conservait une partie non négligeable de cette foudroyante beauté qui en faisait une reine partout où elle passait. Une reine singulièrement mal élevée d’ailleurs car, foncièrement égoïste, et à peu près dépourvue de cœur, elle méprisait la plupart de ses contemporains et ne s’en cachait pas.
— Vous vous connaissez ? émit faiblement Alice.
— Bien sûr nous nous connaissons ! Nous sommes même d’excellents amis quand il daigne faire mes volontés. Ce qui est rare, je l’admets, alors que pour d’autres il accomplit des prodiges.
— Ce n’est donc pas un imposteur ?
Occupée à chasser deux chiens du fauteuil où elle voulait s’asseoir, lady Ribblesdale posa sur sa fille un œil chargé de mépris :
— Où as-tu été chercher une bêtise pareille ? Ce n’est pas parce que tu as épousé un prince de pacotille qu’il faut t’imaginer qu’il n’y en a pas d’autre. Celui-là est vrai et c’est le plus grand expert en diamants historiques. Il paraît que son palais à Venise est une merveille. À ce propos, ajouta-t-elle en se tournant vers Aldo, j’ai l’intention de m’inviter chez vous l’automne prochain…
— Un instant, mère ! coupa Alice. Si vous êtes quasi intime avec lui vous connaissez peut-être aussi l’un de ses amis ? Un soi-disant égyptologue…
— L’homme au nom imprononçable ? Alice ma fille serais-tu devenue complètement idiote ? Je sais depuis longtemps que le sang des Astor ne vaut rien et que seul le mien, celui des Lowle Willing, fait de toi et de ton frère des gens à peu près supportables mais à présent je m’interroge : aurais-tu contracté la manie de la persécution ? Tu vois des imposteurs partout ? Au fait, il va bien ce… ce…
— Adalbert Vidal-Pellicorne, lady Ava ! Il est en prison. La princesse Obolensky…
— Obolensky ! Pouah !
— … l’accuse de lui avoir volé ce collier…
— C’est stupide ! Ce machin n’est même pas beau… alors qu’elle a des bijoux magnifiques ! Elle a hérité en particulier d’un diadème ayant appartenu à ma belle-mère et qui me seyait particulièrement. Et au sujet des bijoux auriez-vous enfin quelque chose d’intéressant en vue ? Parce que naturellement vous êtes venu ici pour acheter un joyau quelconque ? Vous n’avez pas l’habitude de vous déranger pour rien. Surtout aussi loin de Venise ? Alors qu’est-ce que c’est ?
À mesure qu’elle parlait, Aldo regrettait de moins en moins sa présence même s’il l’avait considérée tout d’abord comme une catastrophe. En fait c’était peut-être le Ciel qui l’envoyait. Il alluma pleins phares son plus aimable sourire :
— Un projet encore vague, lady Ava, né d’une information pas très précise que l’on cherche à vérifier.
— Mais qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? s’écria-t-elle déjà excitée.
— Une croix de diamants, de rubis et de perles avec des pendants d’oreilles assortis…
Elle fit la grimace :
— Une… croix ?
— … ayant appartenu à une grande-duchesse de Florence et à au moins une reine de France : Marie de Médicis. Des joyaux splendides ! La croix est grande comme ça, continua-t-il en définissant à deux mains la taille approximative.
— Ah ?… Ah ! C’est bien ! C’est même très bien ! Et où est-elle ?
— J’ai l’assurance que la parure se trouve à Newport mais j’ignore qui la possède.
— Je peux peut-être vous aider ? Je connais à peu de choses près les cassettes à bijoux de toutes ces femmes qui viennent parader…
— Merci de m’offrir votre aide, lady Ava, il est certain qu’elle aurait pu m’être précieuse mais cette fois la tâche me paraît au-dessus de mes forces puisque je ne peux plus compter sur mon assistant habituel. Ce que je souhaite faire avant de rentrer chez moi, c’est de sortir mon ami Adalbert des mains du shérif Morris… et du piège où les Ivanov l’ont fait tomber. Madame votre fille refuse d’admettre que ces gens ont voulu le perdre dans son esprit, même sachant – ce que je viens de lui apprendre – que ce collier est seulement un faux.
— Les Ivanov ? C’est quoi ?
— Des cousins ! lança Alice hargneuse depuis le canapé où elle était allée se réfugier. Caroline Van Druysen et son époux.
— Cette jeune dinde et son cosaque ? Si tu cousines avec eux cela te regarde mais moi je m’y refuse ! Des moins-que-rien ! Et c’est à ces gens que tu accordes ta confiance ? Comme si tu ne savais pas que Caroline te jalouse et que son grand imbécile de cosaque fait tout ce qu’elle veut…
— En l’occurrence ils m’ont rendu service ! affirma Alice aussi raide dans son lin plissé qu’une statue pharaonique.
— Ce n’est pas le terme que j’emploierais ! Et puis va donc te changer ! Le thé va bientôt être servi et tu es grotesque ! Venez, vous, je vous emmène !
Elle passa son bras sous celui d’Aldo et l’entraîna d’autorité, si vite qu’il n’eut même pas le temps de saluer sa fille. Arrivée dans le hall immense où une dizaine de serviteurs trimballaient ses innombrables bagages, elle le coinça contre un oranger empoté dans de la porcelaine chinoise :
— Si je sors votre égyptologue de prison, continuerez-vous à rechercher votre parure ?
Elle fonçait tout droit dans la direction qu’il espérait lui voir prendre. Aussi fit-il seulement mine de réfléchir :
— Il est certain que cela me rendrait courage. Je ne vous cache pas qu’en ce moment, j’en manque un peu…
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