— Et c’est moi qui lui ai conseillé de s’installer chez Ted Mawes, le meilleur endroit pour retrouver l’atmosphère de l’ancien temps. Mais vous ne voulez pas vous asseoir, shérif ? ajouta Pauline en désignant un fauteuil qu’il refusa afin de ne pas se trouver plus bas que les deux hommes toujours debout.
— Peut-être ne savez-vous pas que votre… invité est lié avec un personnage plus que douteux que j’ai coffré pour avoir volé un bijou précieux à Miss Alice Astor.
— Naturellement nous le savons ! fit Pauline avec un haussement d’épaules dédaigneux, mais ce que vous ignorez apparemment est que votre suspect est en réalité un savant archéologue français à la réputation sans tache…
— Ce qui signifie seulement qu’il est plus malin que vous ne le pensez, et comme il a été pris la main dans le sac, la cause est entendue. Le collier a été retrouvé dans son nécessaire de toilette.
— Quelle cachette pour un virtuose de la cambriole ! ironisa Aldo. Il aurait pu trouver mieux !
— Oh mais je suis certain qu’il a trouvé mieux : vous par exemple qui attendiez benoîtement chez Ted qu’il vous remette l’objet après quoi vous seriez reparti aussitôt pour New York… ainsi que vous l’aviez décidé, selon ce que m’a dit Mawes.
— Et j’aurais décidé cela sans le collier puisqu’il était déjà entre vos mains ?
— Ne me prenez pas pour un imbécile, Morosini ! Évidemment vous ignoriez que le pot aux roses était découvert. Étant donné que vous passiez pour fâché avec votre complice il n’allait pas venir vous apporter le collier à la Tavern. Sans doute étiez-vous convenus d’un endroit discret où vous rencontrer pour la remise de l’objet.
— Entre la maison de Ted et le quai d’embarquement du ferry, il n’y a pas beaucoup d’endroits discrets ! objecta Aldo agacé.
— En outre, continua Pauline c’est à ce moment-là que je suis venue chercher le prince Morosini pour qu’il s’installe dans la chambre où ses bagages les plus importants l’attendaient puisqu’ils sont arrivés avec nous sur le Mandala.
Cette précision eut l’air de frapper le policier qui garda le silence un instant mais il n’était pas homme à rester longtemps à court d’arguments. Avec un bizarre sourire il émit doucement :
— À moins que vous ne veniez lui annoncer la capture de son… ami ?
— Pourquoi ne dites-vous pas : « que le coup était manqué » si c’est ce que vous avez en tête, shérif ? s’indigna Pauline.
Pauline allait poursuivre sur le sujet en se levant pour regarder Morris carrément en face quand John-Augustus se glissa entre eux en la repoussant vers son canapé :
— Parce que même s’il n’est pas très futé, il doit savoir qu’avec nous autres, les Belmont, il faut éviter de s’aventurer trop loin. Sinon, nous autres, les Belmont, avons la fâcheuse habitude de nous vexer et de prendre à témoin certains membres de notre parentèle comme l’Attorney General à la Cour suprême qui est notre cousin préféré. Cela dit, je crois, shérif, que nous vous avons assez vu et que vous devriez faire comme nous : aller vous coucher…
— Une minute s’il vous plaît ! intervint Morosini, il y a une chose que je voudrais savoir.
— Je ne suis pas venu pour répondre à vos questions ! grogna Morris. C’est plutôt à vous.
— Sous quel prétexte ? Vous n’avez strictement rien à me reprocher et vous n’agissez que sur des accusations dont je connais la provenance. De même vous avez arrêté Monsieur Vidal-Pellicorne grâce à ce que vous ont raconté les Ivanov. Sans eux vous n’auriez jamais eu l’idée de fouiller les bagages d’un invité de « Miss Alice ». De là à penser que ce sont eux qui ont caché le collier il n’y a qu’un pas. Maintenant je voudrais savoir si « Miss Alice » a déposé plainte contre Monsieur Vidal-Pellicorne ?
— Évidemment ! Elle a eu sous les yeux la preuve de ce qu’il valait au juste !
— Ce qu’il vaut « au juste » je le sais mieux que vous et je ne suis pas le seul car il compte de nombreux amis en Angleterre où le Chief Superintendant Gordon Warren, de Scotland Yard, pourra, à ma demande, vous apprendre ce qu’il sait des aventures du collier de Tout-Ank-Amon. Sans compter Washington où je vais aviser l’ambassadeur de France…
— Vous bluffez !
— Mettez-vous en rapport avec Scotland Yard et vous verrez ! En attendant je vous conseille de relâcher Monsieur Vidal-Pellicorne…
— … que nous, les Belmont, serons enchantés de recevoir, flûta John-Augustus avec un sourire ravi.
— Pas si Miss Alice maintient sa plainte !…
— Vous n’avez pas le droit de refuser si je paie une caution…
— C’est au juge d’en décider mais je demanderai cent mille dollars !
— À votre aise. Si le juge vous suit, vous aurez le chèque demain, fit Aldo cassant.
Si bardé de certitude qu’il fût, le policier accusa le coup. Son œil dur se chargea d’une incrédulité méprisante :
— Vous ? Vous seriez bien en peine de les trouver. On sait ce que valent ces nobles européens décavés qui viennent épouser nos filles riches et je suppose que vous ne faites pas exception à la règle.
Ce n’était en rien une question. Sans toutefois la regarder en face, Morris se tourna légèrement vers la baronne :
— Avant de dire n’importe quoi apprenez à connaître les gens ! lança Aldo sans plus songer à cacher l’aversion que lui inspirait le personnage. Je suis non seulement un homme marié mais un père de famille.
Mais le Yankee ne se rendait pas si facilement :
— Vous devez savoir que le divorce existe ?
Si cet abruti ne tenait pas Adalbert ce qui obligeait Aldo à une certaine retenue, celui-ci eût volontiers boxé cette face butée et hargneuse. Cependant John-Augustus commençait à trouver le temps long. Il se racla la gorge puis énonça :
— Nous autres, les Belmont, ne prétendons pas être plus intelligents que nos contemporains mais quand on nous explique clairement les choses nous sommes assez simples pour nous en contenter. Vous devriez essayer, shérif, de croire de temps en temps ce qu’on vous dit.
— Ah oui ? Par exemple que ce beau monsieur peut lâcher cent mille dollars ? J’aimerais savoir où il les trouverait ?
— À la banque Morgan, mon bon monsieur, dont le président Thomas W. Lamont ne ferait aucune difficulté pour honorer ma signature au bas de n’importe quel titre de paiement. Cela devrait vous suffire, non ? fit Morosini avec un haussement d’épaules.
— On vérifiera !
— Il faut vous faire une raison, shérif, émit la voix traînante de John-Augustus, le prince Morosini n’en est pas à cent mille dollars près. Le serait-il d’ailleurs que je me ferais un plaisir de les lui avancer. Content, shérif ?
D’autant plus furieux qu’il se savait battu – au moins pour l’instant présent ! – Dan Morris tourna les talons se dirigeant à grands pas vers le vestibule mais, au seuil, il se retourna :
— Toujours aussi généreux, hein, Mr Belmont ? Mais ne vous précipitez pas ! Mon enquête ne fait que commencer et j’ai l’intention de prendre tout mon temps pour la mener à bien avant de présenter cet individu au juge, il restera donc en prison… à moins que Miss Alice ne retire sa plainte ? Ce qui m’étonnerait beaucoup…
Sur cette flèche du Parthe il s’éclipsa laissant ses hôtes sous la fâcheuse impression d’une menace.
— J’ai souvent pensé qu’il y avait du bulldog dans ce type, soupira John-Augustus. Quand il tient un os plus moyen de l’en faire démordre.
— Moi aussi, affirma Aldo. Surtout quand cet os est un cher et vieil ami. Dès demain j’irai voir « Miss Alice ». Mais d’abord, à vous deux, merci de l’aide que vous m’apportez quand vous me connaissez à peine ! C’est très généreux.
Pauline se mit à rire en fixant au bout de son fume-cigarette d’or ciselé celle qu’Aldo venait de lui offrir :
— Ce que nous avons d’admirable, nous autres les Belmont, dit-elle, c’est que nous n’avons besoin que d’un seul coup d’œil pour juger quelqu’un et que nous ne nous trompons jamais. Alors ne vous tourmentez pas trop pour les crocs de Dan Morris, on arrivera bien à leur faire lâcher leur proie. À présent j’irais me coucher avec plaisir ajouta-t-elle en bâillant discrètement derrière sa main.
Ce que l’on fit sans plus tarder.
Cette nuit-là Aldo dormit beaucoup moins sereinement que dans sa petite chambre près des roses trémières. En dépit des grands espaces entre les propriétés, l’air nocturne convoyait sans cesse les échos des orchestres de jazz d’un peu partout entraînant les danseurs, ceux des rires, des cris, des chansons. La fête était partout, sauf peut-être chez les Belmont et encore : vers deux heures du matin, une dizaine de voitures déversa quelques fêtards qui, à la suite de Cynthia, envahirent le « château » qui résonna bientôt des rythmes syncopés du rag-time. Les murs étaient épais sans doute mais Aldo envia quand même les domestiques dans leurs « communs » près des écuries assez éloignées. Aucun ne bougea d’ailleurs, la règle des participants à ces suppléments de soirée étant de se servir eux-mêmes mais quand, vers huit heures du matin, John-Augustus s’en alla piquer sa première tête dans les flots bleutés de l’océan, le nettoyage battait son plein.
— Je ne comprendrai jamais, confia-t-il à Aldo quand ils se retrouvèrent autour de la table du petit déjeuner, ce qui pousse des gens en train de s’amuser quelque part au son d’un bon orchestre à venir envahir une honnête maison endormie pour y faire la même chose au son d’un gramophone après avoir mis la cuisine au pillage. Mais ma femme adore ! Il est vrai que pendant la Season elle ne se lève pas avant midi !
— L’eau n’est-elle pas un peu froide à cette heure-ci ?
— Froide ? Elle est glacée mais c’est excellent pour le système nerveux et nous autres Belmont tenons essentiellement à garder des nerfs en bon état !
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