— Depuis un quart d’heure ! Que croyez-vous que dira Ted Mawes quand on viendra l’interroger ? Si on l’interroge ? Et voulez-vous me dire pour quelle raison je serais tenu complice d’un soi-disant vol – parce que votre histoire sent le coup monté à plein nez ! – alors que j’étais tranquillement à l’auberge…
— … attendant tranquillement que votre complice vous apporte le produit de son larcin avec lequel il ne vous restait plus qu’à prendre le premier ferry en direction de New York !
La stupeur, vite remplacée par une bouffée de colère laissa un instant Aldo sans voix. Il se rendit à son tour dans le dressing-room, sortit l’une de ses malles et commençait à la remplir quand Pauline se jeta entre lui et la penderie à laquelle il s’attaquait :
— Arrêtez voyons ! qu’est-ce qui vous prend ?
— Il me prend que si c’est ce que vous pensez, je n’entends pas rester une minute de plus chez vous… ou plutôt chez votre frère qui n’a aucune raison de couvrir un receleur…
À son tour elle se mit à crier :
— Cessez de faire l’imbécile, Aldo ! Ni moi ni les miens ne le pensons. Je me contente de vous exposer les faits et la raison pour laquelle il vaut mieux que l’on vous sache de « nos » amis. Ce qui n’est pas rien aux yeux d’un Dan Morris !
— Mais enfin comment saurait-il qu’Adalbert et moi sommes des amis de longue date ? Il ne doit pas souvent lire les journaux de la vieille Europe dont nous ne sommes d’ailleurs pas des habitués.
— Il le sait parce qu’on le lui a dit.
— Qui donc ?
— Alice bien sûr à qui votre Adalbert a tout de même dû parler de vous une fois ou deux. Et puis aussi Cyril Ivanov qui, lui, a l’air très au courant de vos exploits communs…
Brusquement Aldo se souvint du « verre » qu’il avait pris en compagnie du jeune homme au bar de l’Île-de-France tandis que Caroline dansait dans le grand salon. Ivanov après lui avoir fait savoir qu’il était renseigné sur leur activité commune, lui avait demandé pourquoi en se retrouvant à la table du Commandant Blancart, ils avaient semblé ne pas se connaître. Il lui avait répondu qu’ils étaient en froid mais, apparemment, l’Américano-russe ne l’avait pas cru…
Pendant qu’il réfléchissait ainsi, la pensée de Pauline suivait un autre chemin, voisin d’ailleurs, qu’elle se mit soudain à exprimer tout haut :
— C’est étrange qu’il ait pu en raconter autant. Je me demande si, vous découvrant sur le bateau, l’idée ne lui est pas venue que vous étiez là pour donner un coup de main à votre habituel complice en l’aidant à subtiliser ce sacré collier… En outre, vous venez de parler de ma canne, et moi je revois nettement l’homme qui vous a attaqué. La force, la silhouette, la souplesse, la taille sous le costume de marin fatigué… est-ce que tout ça ne ressemblerait pas au beau Cyril ?…
— … qui usait du Vétiver de Guerlain, la vague odeur que j’ai décelée sous celle de la sueur, de la crasse et du charbon ? Ce serait lui qui m’aurait attaqué ? Mais pourquoi ?
— Pour vous éliminer d’entrée de jeu afin d’isoler plus facilement l’amoureux d’Alice. Ce qui expliquerait aussi comment il a pu disparaître si vite : Caroline devait l’attendre, dissimulée à proximité, avec un cache-poussière, une casquette et une écharpe amplement justifiés par le temps qu’il faisait. Car elle est sa complice n’en doutez pas. Vous ignorez qu’elle tient de son père une véritable passion pour l’Égypte, aussi forte, j’en ai la conviction, que celle d’Alice mais elle n’a pas eu les mêmes occasions d’assouvir cette passion.
— C’est un peu rapide comme réaction ? Ils ne pouvaient pas connaître ma présence à bord. Eux sont montés à Plymouth.
— Erreur ! Ils sont montés au Havre. Je les ai vus…
— Il est certain que cela donne à réfléchir. Surtout si vous êtes sûre qu’il agit de connivence avec sa femme…
— Il n’y a pour moi aucun doute.
— En ce cas pourquoi ne serait-ce pas elle qui sous un manteau masculin écoutait aux portes de Gilles Vauxbrun… et de moi-même quand Adalbert est venu me parler ? J’ai poursuivi le curieux mais il a presque instantanément disparu dans une cabine qui pourrait être celle des Ivanov. Caroline est assez grande si je la revois bien, correspondant à peu près à un jeune homme de taille légèrement au-dessus de la moyenne…
Pauline et Aldo se regardèrent en silence, un peu étourdis par ce qu’ils venaient de démêler en mettant en commun leurs réflexions. Ce fut cependant la baronne qui en sortit la première après un coup d’œil jeté à la pendule ancienne de la cheminée.
— Si vous en êtes d’accord, on en reparlera plus tard… Il est grand temps de se préparer pour le dîner. Rassurez-vous ce soir nous ne serons que trois : mon frère vous et moi. Cynthia ma belle-sœur qui ne rate aucune manifestation mondaine en attendant celle qu’elle donnera dans huit jours, passera la nuit à danser au Yacht Club avec des amis.
— Et pas votre frère ?
— Comme vous l’avez constaté, John-Augustus se veut un grand sportif. Il cultive sa forme et se couche le plus souvent comme les poules. Même ici ! S’il se met en smoking c’est surtout pour ne pas scandaliser Beddoes notre maître d’hôtel et nos autres serviteurs. Sans eux il irait aussi bien dîner en peignoir de bain. Et ne vous tourmentez pas davantage pour les frais de conversation. Il va se brancher sur la prochaine coupe de l’America dès les cocktails et n’en démordra plus jusqu’au café. Pour vous consoler, j’ajoute qu’il a une excellente cave et qu’il s’y connaît… Et que je l’aime bien !
Aldo put constater que la prophétie de Pauline touchant la soirée s’avérait exacte de bout en bout. John-Augustus se révéla intarissable. Aldo eut droit à l’historique du célèbre trophée depuis l’ère victorienne, à un délicieux dîner arrosé de deux grands bourgognes et à un accueil aussi chaleureux que s’ils étaient amis depuis l’enfance au lieu de se voir pour la première fois.
Belmont proposa à son hôte de l’emmener le lendemain faire un tour sur le voilier neuf qu’il venait de s’offrir en vue de la régate du Yacht Club et c’est alors que Pauline lui rappela que selon toutes probabilités, Aldo devait s’attendre à recevoir la visite du shérif et que l’effet pourrait être déplorable si ce fonctionnaire le trouvait envolé sur les flots.
— Vous savez quel fichu caractère il a, ajouta-t-elle.
— Et moi j’ai encore plus mauvais caractère quand on s’en prend aux miens. Si cet animal tient absolument à voir notre invité, il n’a qu’à venir. Dites donc à Beddoes de lui téléphoner dans ce sens ! Quelle heure voulez-vous cher ami ?
— Peu importe… et je peux me rendre à son poste ! émit Aldo qu’un tête-à-tête avec ce policier n’enchantait pourtant pas.
— Jamais de la vie ! Vous ne le connaissez pas. Avoir un vrai prince à se mettre sous la dent serait une gâterie pour lui et nous autres Belmont n’avons pas pour habitude de livrer nos invités aux bêtes ! S’il veut vous voir, il se déplacera. Beddoes !…
— Laissez ! Je m’en charge, coupa Pauline. Autant l’amadouer.
— Vous êtes folle ! Il est capable de s’inviter à déjeuner !
— Allons, n’exagérez pas !
John-Augustus n’avait pas complètement tort cependant car, en retournant au salon après son coup de téléphone, Pauline annonça que le shérif rappliquait !
— J’espère que vous lui avez dit que nous avions dîné ? maugréa Belmont qui tenait à son idée.
Une vingtaine de minutes plus tard, Dan Morris faisait son entrée sous le somptueux plafond à caissons dorés du grand salon. Agé d’une quarantaine d’années, il avait un visage osseux au nez proéminent, des yeux pâles écartés à fleur de tête, un front bas encore rétréci par un moutonnement de cheveux bruns épais et frisés. Son regard sans cesse en mouvement enregistra aussitôt les trois personnages qui l’attendaient : Pauline en robe de mousseline noire à impressions blanches un long fume-cigarettes au bout des doigts assise nonchalamment sur un vaste canapé de part et d’autre duquel les deux hommes en smoking se tenaient debout, Belmont les mains nouées derrière le dos et la tête dans les épaules comme s’il s’apprêtait à charger, Aldo une main dans la poche l’autre jouant avec son briquet.
Le shérif salua brièvement les maîtres de la maison mais son regard se fixa sur Aldo et ne le quitta plus :
— Vous vous nommez, je crois, Morosini ? fit-il sèchement.
Du geste Aldo retint Pauline qui allait rectifier l’insolente entrée en matière comme si un titre pouvait quelque chose sur un individu de ce style.
— En effet. Que puis-je pour vous, shérif ?
— Répondre à quelques questions. Par exemple quelle est la raison de votre présence ?
John-Augustus émit un reniflement désapprobateur, et ricana :
— Ce que nous faisons tous nous autres fêtards qui venons trinquer et battre l’entrechat dans ce site enchanteur avec des gens que nous connaissons par cœur, que nous rencontrons quotidiennement à New York et avec lesquels nous avons l’habitude de trinquer et de battre l’entrechat tout le reste de l’année ! Et nous invitons certains amis à contempler le spectacle. Vous devriez le savoir, Dan Morris !
— Et ce monsieur est de vos amis ?
— Je ne vois pas ce qu’il ferait ici dans le cas contraire.
Le shérif eut un frémissement des narines indiquant qu’il goûtait peu l’humour du milliardaire que sa sœur regardait avec un étonnement qui échappa au policier.
— Comment se fait-il alors que votre ami soit arrivé bien avant vous ?
— C’est assez simple, coupa Aldo. Avant la guerre j’ai fait un séjour à Newport et j’ai eu envie de le revoir mais en dehors de la période des fêtes. Je m’intéresse en outre à son histoire, l’un de mes ancêtres ayant combattu aux côtés de George Washington…
"Les Joyaux de la sorcière" отзывы
Отзывы читателей о книге "Les Joyaux de la sorcière". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Les Joyaux de la sorcière" друзьям в соцсетях.