— En outre, tenter quoi que ce soit pendant la Season relèverait de la folie pure en dehors du fait que l’on va crouler sous le travail et j’imagine qu’il ne doit pas vous manquer à vous non plus ? Si vous voulez un bon conseil, vous devriez accepter l’invitation de la baronne et vous mêler à la Haute Société dont vous faites partie… ?
— Je ne suis pas venu pour danser ou jouer au tennis, coupa Aldo.
— Je sais mais vous verriez les choses de plus près, vous pourriez rencontrer Ricci puisqu’il fréquente ces eaux-là et peut-être arriveriez-vous à le convaincre de vous vendre ce bijou que vous recherchez ?…
Il ne manquait plus que ça ! Au bord du dégoût, Aldo lâcha :
— Merci de vos conseils mais je ne crois pas en avoir besoin pour exercer ma profession comme je l’entends. Or je n’entends pas payer une fortune pour obtenir un joyau couvert du sang de deux femmes au moins et que des vols crapuleux ont amené dans les mains d’un bandit ! À présent, vous voudrez bien m’excuser mon cher Ted mais je vais faire mes bagages ! Préparez-moi ma note s’il vous plaît…
— Vous partez ?
— Eh oui ! C’est ce que vous souhaitez, n’est-ce pas ?
— Vous partez vraiment ?…
— Je ne crois pas que cela vous regarde !… donnez-moi ma facture !
En réalité il n’en savait strictement rien, n’ayant aucune envie de fuir devant l’ennemi et pas davantage d’aller demander l’hospitalité à Pauline après l’avoir refusée. Il y avait bien la solution de l’hôtel qu’on lui avait déconseillé mais qui, à présent, devait déborder de touristes ? Outre que la baronne pourrait s’offenser. D’autre part il commençait à être las de cette histoire où les portes à peine ouvertes semblaient prendre un malin plaisir à se refermer devant lui.
Il regagnait l’annexe de la Tavern et en était là de ses cogitations quand la torpédo grise de Pauline se matérialisa et Pauline elle-même en jaillit :
— Cette fois, dit-elle en balayant superbement les salamalecs mondains, je vous emmène. Et pas de résistance s’il vous plaît ! Vous avez assez joué les touristes anonymes, il est temps de réendosser l’armure. Je vais vous aider à faire vos bagages…
Elle, toujours tirée à quatre épingles, offrait ce matin une image inattendue en jupe plissée, sweater blanc et chaussures de tennis cependant qu’un bandeau élastique avait bien du mal à garder un semblant de maintien à ses cheveux noirs en désordre.
— Et la raison de cet enlèvement ?
— Ne soyez pas fat ! Il se passe des choses beaucoup plus intéressantes dans le quartier chic que dans l’auberge de Ted Mawes.
— Quoi par exemple ?
— Je vous le dirai plus tard ! En attendant nous avons à faire et il faut nous dépêcher si nous voulons avoir le temps de vous installer et nous mettre en tenue convenable pour passer à table !
Sans attendre un quelconque assentiment, Pauline se rua dans la chambre, chercha la grande valise, le sac à chaussures et la mallette de toilette, entreprit d’emplir les deux premiers avec ce qui lui tombait sous la main pendant qu’Aldo d’autant plus résigné qu’il grillait de curiosité se chargeait des objets de toilette et de ce matériel de peintre qui lui avait si peu servi.
En quelques moments tout fut réglé, la chambre vidée, et Aldo embarqué dans la Packard qui démarra sur les chapeaux de roues faisant fuir un chat attardé et plaquant le pasteur contre le mur du musée. Cramponnée à son volant, Pauline, le sourcil froncé, bouche pincée, regardait droit devant elle conduisant le pied au plancher comme si sa vie en dépendait. Ce fut seulement quand elle embouqua la belle avenue sablée contournant une immense pelouse unie comme du velours qui menait à Belmont Castle qu’elle se détendit, ralentit afin d’éviter un groupe de trois sycomores ombrageant une sorte de salon de jardin. Un instant plus tard, elle arrêtait son bolide devant une assez bonne copie du château de Maisons-Laffitte.
— Ouf ! Sauvés ! émit-elle en couvant son passager d’un regard satisfait. Vous voilà chez nous et là plus rien à craindre !
— Craindre quoi ? Sauvé de quoi ? Vos propos tiennent de la poésie lettriste, ma chère Pauline ! C’est de l’hermétisme à l’état pur pour moi.
Des domestiques accouraient pour ouvrir une portière qu’Aldo avait déjà enjambée et prendre les bagages cependant qu’un maître d’hôtel cérémonieux s’inclinait devant l’invité avant de le précéder dans le « vestibule » où celui-ci retrouva avec stupeur le décor exact du modèle français : les quatre aigles aux ailes déployées dans les angles, les quatre bustes dans le goût antique entre lesquels on avait placé de grands paysages italiens. Si l’écho aigrelet d’un banjo jouant un air à la mode n’avait flotté dans l’atmosphère Aldo se fût attendu à voir paraître Louis XIII, le cardinal de Richelieu ou d’Artagnan mais ce qui vint – en courant – ce fut un personnage en maillot de bain, bleu de froid et grelottant sous une vaste serviette blanche qui lui lança un bonjour nasillard, et se précipita dans l’escalier en éternuant.
— Mon frère, John-Augustus ! présenta Pauline. Quand il est ici, il passe la moitié de son temps dans l’eau quelle que soit la température ou dessus. Or comme les fortes chaleurs n’ont pas l’air de s’annoncer, il risque de se retrouver au lit avec une bonne bronchite. Venez, je vais vous montrer votre chambre.
Celle-ci était ce que l’on pouvait attendre dans une telle demeure : vaste, tendue de tapisseries avec lit à colonnes, cabinet florentin, fauteuils à hauts dossiers montant la garde devant une cheminée imposante mais remplie pour l’heure des fusées jaunes d’un genêt fleuri. Par la porte-fenêtre ouverte sur le balcon à balustres on découvrait une autre partie des jardins – qui eux n’avaient rien à voir avec les parterres de Le Nôtre – et ceux de la propriété voisine, une somptueuse demeure, elle aussi dans le goût français, mais avec un siècle de moins. Il y régnait une activité intense au milieu de laquelle se remarquaient des uniformes et deux voitures de police.
Naturellement, Aldo qui avait jeté un coup d’œil machinal au-dehors demanda ce qui se passait.
— Ça, dit Pauline qui l’avait rejoint à la fenêtre, c’est Beaulieu, la propriété d’Ava Astor qu’elle a laissée à ses enfants afin de garder Beachwood qui se situe de l’autre côté. Notre amie Alice y est arrivée hier à bord du yacht fraternel et en compagnie de votre ex-meilleur ami ainsi que des Ivanov dont vous vous souvenez peut-être.
— En dehors du fait que j’ai une excellente mémoire la traversée n’est pas si loin, baronne. Mais pourquoi la présence de la Police ? J’espère, ajouta-t-il avec un bizarre pincement au cœur, qu’il n’est rien arrivé de grave ?
— Pas à ce point-là mais pour Alice c’est une véritable catastrophe : on lui a volé le collier de Tout-Ank-Amon.
— Encore ? Lorsque nous étions tous à Londres, on le lui avait déjà piqué mais Gordon Warren l’a récupéré et c’est pour protéger ce précieux trésor qu’elle a repris le chemin des États-Unis.
— Pour une réussite c’est une réussite mais vous ne savez pas encore tout. Le collier a été retrouvé… dans les affaires de votre ex-meilleur ami et, il y a une heure, le shérif Dan Morris qui, entre parenthèses déteste les Français, s’est fait un immense plaisir de l’arrêter. Il paraît qu’il en pleurait presque de joie…
CHAPITRE X
« NOUS AUTRES, LES BELMONT… »
Les états d’âme du shérif importaient peu à Morosini qui, prévenu contre lui, le détestait d’instinct. En revanche qu’il ait mis les pattes sur Adalbert l’incommodait fort.
— Puis-je savoir comment on en est arrivé là ? demanda-t-il sèchement.
Pauline défaisait les bagages si hâtivement bâclés pour en ranger les différentes pièces dans un dressing-room à faire pâlir d’envie un roi d’Angleterre. Le contenu de ses deux malles cabines y avait déjà pris place. La tête dans une armoire, elle répondit :
— C’est simple ! Hier soir, Alice avait mis son collier égyptien afin de se livrer à l’une de ces séances d’inspiration prophétique dont elle a fait sa spécialité. Quand ce fut fini, un peu lasse, elle s’est contentée de le laisser sur sa coiffeuse et à son réveil elle ne l’y a pas retrouvé. Branle-bas de combat naturellement ; la maison retournée dans tous les sens jusqu’à ce que Caroline Ivanov se souvienne avoir vu l’égyptologue sortir à pas de loup de chez Alice dans le petit matin blême. Elle l’a dit. On a fouillé chez lui et on a retrouvé l’objet.
— Ça ne tient pas debout !
— Qu’est-ce que vous dites ? cria Pauline qui du fond d’une armoire n’avait rien entendu.
— Je dis que ça ne tient pas debout ! hurla Aldo. Et pour l’amour du Ciel, laissez mes affaires tranquilles ! Je suis assez grand pour les ranger moi-même.
La baronne reparut l’instant suivant tenant à la main un browning dont elle fit miroiter l’acier bleu dans un rayon de soleil :
— Et de cette chose, qu’est-ce que j’en fais ? Vous voyagez toujours armé ?
— Pas vous ? riposta Aldo en s’emparant de l’arme qu’il fit disparaître dans la poche arrière de son pantalon. J’ai pourtant le reconnaissant souvenir de certaine canne-épée ?
— C’est beaucoup plus méchant, ce truc.
— Et vous en êtes offusquée ? J’ai peine à le croire. Sachez cependant que dans mon métier il faut défendre sa vie plus souvent que vous ne l’imaginez. Cela dit, revenons à Adalbert. Où est-il ?
— Où voulez-vous qu’il soit ? Chez le shérif !
— Alors soyez assez bonne pour m’y faire conduire : je ne sais pas où c’est.
— Vous y faire conduire ? Mais vous rêvez, mon ami. Pourquoi donc croyez-vous que je suis accourue pour vous sortir de votre auberge ? Justement pour éviter que l’on vienne vous y cueillir comme une innocente marguerite ? Ici vous n’avez rien à craindre parce que tout le monde – moi en tête ! – jurera que vous êtes chez nous depuis… depuis…
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