— Ça ne vous conviendrait pas ! Écoutez, Théobald, je vais vous faire une proposition : si mariage il y a et si vous faites vos valises, je vous prends à mon service… pour le temps que durera ledit mariage. Vous savez comme moi que ces Américaines ont le divorce dans le sang. La preuve est que celle-là en est déjà là. Une fois qu’elle aura laissé tomber Monsieur vous retrouverez votre place auprès de lui. Un petit séjour à Venise n’est pas si désagréable… il y a évidemment les jumeaux mais…
— Oh que Monsieur le Prince est bon et que je le remercie !
Les mains jointes Théobald semblait voir le Ciel s’ouvrir et sa figure retrouvait le soleil.
— C’est chose convenue, reprit Aldo, et je vais à présent vous laisser, mon bon Théobald. Toutefois… sauriez-vous me dire ce que le Superintendant Warren faisait entre ces murs l’autre soir avec Madame Obolensky ?
— Pas vraiment, Monsieur est muet comme une carpe à ce sujet. Je crois cependant avoir deviné qu’elle aurait besoin de protection…
— Peste ! À ce niveau de police ce doit être grave ! Comment se fait-il que vous n’en sachiez rien ? Vidal-Pellicorne vous a toujours mis au fait de ce genre de problèmes ?
— Pas cette fois ! Monsieur sait pertinemment que je ne vois pas d’un œil favorable ses relations avec cette dame.
— Vous êtes en froid ?
— Plutôt, oui… et c’est très triste ! Votre Excellence reste encore quelque temps ici ?
— Non. Je ne me suis déjà que trop attardé. Ma femme m’attend à Paris. Ensuite nous regagnerons Venise. Du moins je le pense…
À mesure qu’il parlait Aldo découvrait qu’il n’en était pas autrement persuadé. L’idée de rentrer chez lui en laissant l’assassin de la pauvre Jacqueline libre de poursuivre en paix une carrière détestable l’irritait, le blessait même. En reprenant son taxi il permit cependant à la voix de la raison de se faire entendre : c’était très beau de vouloir jouer les justiciers mais cela ressemblait à de l’inconscience : aller combattre sur son propre terrain un homme disposant de tous les atouts alors que lui-même ne sachant à peu près rien du pays se trouverait sans appui et sans la moindre aide possible. Il ne pourrait que s’y casser les dents. Voire autre chose. Or il était marié, père de deux enfants, bientôt d’un troisième, il avait ce qu’il fallait pour être heureux et il osait songer à risquer ce bonheur pour aller jouer les Don Quichotte chez les Yankees. En outre, il ne pouvait plus compter sur Adalbert. Ce serait suicidaire… Il était urgent d’oublier cette affaire !
Mais le lendemain, sur le quai du port de Newhaven, en regardant le cercueil plombé de Jacqueline embarquer au moyen d’une grue dans les entrailles du bateau assurant la liaison avec Dieppe, il savait qu’oublier serait au-dessus de ses forces. Debout auprès de Warren qui l’avait conduit jusque-là, les mains au fond des poches de son vieux Burberry’s, une casquette en tweed enfoncée jusqu’aux sourcils pour le protéger de la pluie fine et insistante qui noyait le pays depuis la nuit précédente, il suivait des yeux l’ascension du coffre funèbre contenant les restes d’une jeune femme innocente avec une amertume où se mêlait une sorte de rage. À ses côtés, Warren, emballé dans l’antique macfarlane dont les ailes lui donnaient l’air d’un oiseau préhistorique, fumait tranquillement une courte pipe sans rien dire.
Ce fut seulement quand la longue boîte eut disparu dans la cale qu’il tira de sa poche une enveloppe blanche et la tendit à Aldo :
— Tenez ! Ça pourrait vous être utile.
Celui-ci tourna vers lui un œil interrogateur :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ma carte… avec quelques mots dessus. Au cas où vous seriez tenté par un voyage outre-Atlantique, je ne saurais trop vous conseiller d’aller voir, à New York, un vieil ami : le chef de la police métropolitaine Phil Anderson. Il est très intelligent, très compétent, très discret et de très bon conseil. En outre il a une dent longue comme une défense d’éléphant pour ce qui touche à la Mafia et votre Ricci pourrait lui appartenir.
— Qu’est-ce qui vous fait supposer que je vais aller là-bas ? émit Aldo en empochant tout de même le message.
— Oh rien finalement ! C’est une idée qui m’est venue comme ça. Remarquez, vous n’êtes pas obligé d’en tenir compte… À présent, il est temps pour vous d’embarquer, ajouta-t-il en consultant sa montre. Offrez mes hommages à la princesse. Il se peut qu’un jour j’aille vous rendre visite.
— Ce serait la meilleure des nouvelles ! La maison est grande ouverte pour vous !
Les deux hommes se serrèrent la main et Aldo se dirigea vers la passerelle mais, au bout de trois pas, il se retourna :
— S’il vous plaît, essayez d’empêcher Vidal-Pellicorne de faire de trop grosses bêtises ! Il est en train de se prendre pour Marc-Antoine et sa Cléopâtre américaine aurait tendance à m’inquiéter !
Warren ôta sa pipe de sa bouche et grimaça ce qui pouvait passer pour un sourire :
— Moi aussi, figurez-vous ! Bon voyage !
Deux jours plus tard Aldo était de retour à Paris. Jacqueline Auger reposait désormais pour l’éternité dans sa terre natale et grâce aux dispositions prises par Scotland Yard, il n’avait eu qu’à se louer de l’organisation. La police et un fourgon des pompes funèbres l’attendaient à la descente du bateau et le contrôle douanier s’était montré discret. Après un court service à l’église, le corps avait été inhumé sous une couronne de fleurs fraîches (Warren avait même pensé à ce détail) et dans la tombe où reposaient déjà ses parents. Il ne restait plus à Aldo qu’à régler la facture et à espérer qu’il se trouverait quelqu’un pour venir prier devant la dalle où il ordonna que fussent gravés les noms et dates de la jeune femme. Aussi, en reprenant le train pour Paris se sentait-il la conscience en paix. À défaut de tranquillité d’esprit car il ne pouvait se faire à l’idée que Ricci pût continuer à jouir de la chaleur du soleil après en avoir privé à jamais une créature de Dieu qui avait cru trouver en lui une espèce de Père Noël sous lequel se cachait un impitoyable assassin. Pour lui, en effet, la culpabilité de l’Américano-Sicilien ne faisait aucun doute en admettant même qu’il eût les mains nettes des meurtres de Covent Garden et de Bagheria.
Son retour rue Alfred-de-Vigny fut salué par un triple soupir de soulagement en dépit de plusieurs appels téléphoniques pour que les trois femmes ne s’inquiètent pas trop. Ce qui n’avait rien empêché car Lisa, retrouvant d’instinct ses anciennes habitudes de parfaite secrétaire, s’était procuré des journaux anglais où s’étalait largement « Le meurtre mystérieux de Piccadilly ». Ce fut ce que l’on mit sous le nez d’Aldo quand, débarrassé des escarbilles et autres poussières du voyage, il rejoignit « ses » femmes dans le jardin d’hiver à l’heure où la marquise pratiquait à sa manière le five o’clock tea en buvant un ou deux verres de champagne.
— Il y a longtemps que tu connais cette jeune femme ? demanda Lisa en offrant le Daily Mail à son époux.
Le ton était innocent mais Morosini connaissait trop Lisa pour se tromper sur certaine vibration de sa voix mais fort de sa pureté d’intentions il n’était pas disposé à se laisser malmener, fût-ce par une épouse plus ravissante que jamais dans une robe de crêpe de Chine imprimé de dessins géométriques vert amande et blanc. Il fronça le sourcil puis, fidèle à son habitude répondit par une question :
— Qu’est-ce qui t’a pris d’acheter la presse anglaise ?
— Quand tu vas quelque part, mon chéri, j’achète toujours les journaux du coin, fit-elle en forçant sur l’angélisme. Il est rare que l’on n’y trouve pas de tes nouvelles. Tu es un homme tellement intéressant !…
— Ne me dis pas que l’on parle de moi là-dedans ? grogna-t-il en considérant la photo de Jacqueline – où diable ces gens-là avaient-ils pu se la procurer ? – qui décorait l’article.
— Pas en toutes lettres, intervint Madame de Sommières, mais quand on parle du prince M… et que tu es dans le quartier ça devient limpide. Le mieux serait peut-être que tu racontes… en fabulant le moins possible !
— Je n’ai jamais fabulé avec vous, protesta Aldo. Puis considérant les trois regards qui convergeaient dans sa direction, il ajouta : « Vous avez décidé de vous constituer en tribunal ou quoi ? Je viens de passer des jours pénibles et je vais peut-être en passer de pires et tout ce que vous trouvez à faire c’est de me passer à la question ? Vous mériteriez que je ne vous raconte rien ! »
— On ne mérite pas d’être punies ! gémit Marie-Angéline prête à pleurer. Ce serait trop cruel !
— C’est bien pour vous faire plaisir Angelina ! Sachez d’abord que je n’ai jamais tant vu Jacqueline Auger que le jour de sa mort. Jusque-là je m’étais contenté de l’apercevoir au Ritz lors de mon déjeuner avec Boldini et comme je vous ai raconté ce qu’il m’a dit vous devriez vous en souvenir.
— Ah ! C’est celle-là ? émit Lisa.
— Oui. C’est celle-là ou plutôt c’était celle-là ! Maintenant tâchez de m’écouter sans m’interrompre.
Ce fut vite fait mais à la fin du récit Tante Amélie avait les larmes aux yeux :
— Tu l’as ramenée auprès de ses parents ? Oh, ça c’est très bien, mon petit !
— Il y a longtemps que je sais que j’ai épousé une assez bonne copie de Don Quichotte, fit Lisa plus émue qu’elle ne voulait le montrer. Ce qui m’inquiète à présent c’est la suite.
— Quelle suite ?
— Celle que tu vas donner à cette triste histoire en rendant sous peu une visite à la Compagnie Générale Transatlantique. Ai-je raison ? C’est ce que tu as dans l’idée ?
Aldo vint s’asseoir près de sa femme sur le canapé de rotin garni de coussins en toile de Jouy et prit sa main pour en baiser la paume comme il en avait la tendre habitude. Il vit une larme dans la frange de ses cils.
"Les Joyaux de la sorcière" отзывы
Отзывы читателей о книге "Les Joyaux de la sorcière". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Les Joyaux de la sorcière" друзьям в соцсетях.