— Non. Je viens d’arriver et il l’ignore. Quant à moi je le croyais encore sur le Nil mais c’est une bonne nouvelle que vous m’annoncez là et je vais filer chez lui de ce pas ! À ce soir sans doute !
Heureux tout à coup comme un collégien qui s’en va rejoindre un copain, Aldo quitta allègrement le siège de la police métropolitaine, héla un taxi et lui donna l’adresse d’Adalbert à Chelsea. En effet, depuis l’affaire de la Rose d’York qui les avait retenus longtemps à Londres, lui et Morosini, l’archéologue louait dans le quartier des artistes une charmante maison datant des Stuart ayant appartenu plus récemment au peintre Dante Gabriele Rossetti. Il s’y était tellement plu qu’il l’avait gardée ce qui lui permettait de venir, de temps à autre, surveiller ce qui se passait chez ses rivaux du British Museum. Depuis la découverte de la tombe de Tout-Ank-Amon qu’il ne parvenait pas à digérer, il brûlait de leur damer le pion d’une manière quelconque. Et tandis que sa voiture se frayait un passage dans les encombrements de la City en cette fin de journée Morosini pensait qu’il devait y avoir une excellente raison pour qu’Adalbert fût parti d’Égypte et eût gagné Londres sans passer par Paris. Surtout sans récupérer son fidèle Théobald seul capable de lui assurer le confort douillet dont il était bien obligé de se priver sur les chantiers de fouille.
Pourtant quand Aldo sonna à la porte de chêne au vernis aussi étincelant que ses cuivres, ce fut le même Théobald qu’il découvrit derrière, drapé dans un vaste tablier blanc. La surprise fut totale pour tous les deux.
— Son… euh Excellence ? émit celui-ci avec une sorte de hoquet.
— Vous ? Mais qu’est-ce que vous faites là ?
— Monsieur le Prince voit : mon service !
— Pourquoi ne m’avez-vous pas prévenu de votre départ ? Vous êtes ici depuis quand ?…
— Trois jours, Excellence, trois jours ! Monsieur m’a convoqué par télégramme. J’ai fait mon sac, fermé la rue Jouffroy et je suis parti.
— Encore une fois pourquoi n’avoir rien dit ? Vous saviez bien que je cherchais votre maître ?…
— Qu’est-ce que c’est, Théobald ?
L’apparition d’Adalbert armé d’un attendrissant bouquet de roses et de muguet dispensa son serviteur d’une réponse un peu difficile à trouver mais au lieu de s’éclairer à la vue de son ami, son œil bleu sur lequel une mèche blonde s’obstinait à retomber vira à un gris curieux :
— Toi ? Mais comment es-tu venu ici ?
— À ton avis ? Forcément pas à pied ! émit Aldo que ce genre de réception déroutait quelque peu. Bien que ni Adalbert ni lui ne fussent partisans des grandes embrassades, il avait, pour la première fois, la désagréable impression de mal tomber.
— Excuse-moi ! Je voulais dire comment se fait-il que tu sois à Londres ?
Théobald fila discrètement vers la cuisine ce qui laissait Adalbert maître d’un terrain se limitant toujours à l’antichambre. La moutarde commença son ascension jusqu’aux narines sensibles d’Aldo :
— Tu y es bien, toi ? Et je ne suis pas, que je sache, interdit de séjour en Angleterre ? En tout cas tu pourrais au moins me laisser entrer et m’offrir un siège ? Voire un verre ? Cela se fait entre amis.
Visiblement embêté, Vidal-Pellicorne s’écarta pour permettre à Morosini de pénétrer au-delà de ladite antichambre. Toujours aussi agréable avec ses rideaux de velours d’un jaune doux, ses tapis aux couleurs assorties, son mobilier Chippendale et ses vastes fauteuils Chesterfield, il y avait là plus une « pièce à vivre » qu’un salon. Comme la première fois qu’il y était venu Morosini vit une table ronde où le couvert était mis pour trois personnes placée près de la cheminée en marbre blanc où brûlaient quelques bûches répandant une odeur de pinède beaucoup plus agréable que l’habituel feu de tourbe. Il y avait déjà des fleurs dans de grands vases égyptiens et celles que tenait Adalbert étaient destinées visiblement au petit surtout de table d’argent placé au centre de la table.
— Ravissant ! ironisa Aldo. Je vois que tu m’attendais ? J’ai toujours admiré ton sens divinatoire…
— Qu’est-ce qui te le fait supposer ? fit Adalbert d’un ton rogue.
— Cette table ! C’est comme la première fois que je suis arrivé ici. Trois couverts Warren, toi et moi.
— Où as-tu pris que Warren doit venir ?
— Je sors de chez lui. Il me l’a dit pensant dans sa grande ingénuité que nous allions dîner ensemble.
— Ah ! Tu l’as vu ?… Visite d’amitié ou d’affaires ?
Vidal-Pellicorne revenait à son arrangement floral, ce qui le dispensait de regarder son ami.
— Un peu les deux, répondit celui-ci, mais comme de toute évidence tu t’en fiches éperdument, je m’en voudrais de te déranger plus longtemps. Et surtout de troubler ton envol artistique. Qui me surprend un peu : tu aurais dû me dire que tu te reconvertissais dans la fleur coupée.
— J’ai le droit de mettre des fleurs chez moi, aboya Adalbert qui se coupa un bout d’ongle avec son sécateur.
— Mais tu as tous les droits, mon bon ! Même celui de me recevoir comme un chien dans un jeu de quilles. Je t’ai connu plus aimable. Et puisque décidément je dérange…
— Tu ne me déranges jamais ! Euh… rarement ! J’avoue que ce soir… Mais, j’y pense, tu voulais peut-être venir t’installer ?
— Alors que je te croyais au fond de l’Égypte ? Je n’ai pas pour habitude d’investir les logis qui ne m’appartiennent pas. Rassure-toi j’ai laissé mes petites affaires au Ritz et c’est Warren qui m’a appris ta présence à Londres. En outre, il a gaffé, le pauvre ange, en s’imaginant que je dînais chez toi avec lui.
— Mais enfin pourquoi y es-tu allé ? Tu as des ennuis ?
— Pourquoi veux-tu que j’aie des ennuis nécessitant l’aide de la police de Sa Majesté ?
— Alors qu’est-ce que tu fais à Londres ?
— Ça mon bonhomme ça ne te regarde pas ! Chacun ses petits secrets. Je pourrais d’ailleurs te retourner la question mais comme tu n’as pas l’air décidé à répondre, je te tire ma révérence ! Cependant je n’imaginais pas que le Ptérodactyle eût des goûts aussi romantiques, ajouta-t-il en désignant les fleurs de la table. Des roses et du muguet ! Au fond ce doit être un tendre…
Aldo persiflait mais intérieurement il bouillait. L’accueil plutôt frais de son ami lui causait une déception d’autant plus cuisante qu’elle suivait de trop près la joie éprouvée à l’idée de reconstituer leur tandem dans la chasse aux joyaux de la Sorcière. Il ne comprenait pas ce qui se passait. À eux deux, ils composaient jusqu’à présent une belle mécanique, bien huilée et c’était bien la première fois qu’un grain de sable s’y glissait au point de la faire grincer. Peut-être même la briser ?
Refusant de s’attarder sur une pensée aussi déprimante, Aldo regagna l’antichambre. Adalbert l’y suivit :
— Écoute, dit-il, je suis désolé de te recevoir de la sorte mais je suis pris par une… importante affaire et je n’ai pas le moindre temps à te consacrer. Il faut comprendre ! On se reverra… plus tard et alors je t’expliquerai…
— Tu n’expliqueras rien parce que c’est moi qui alors n’aurai peut-être plus de temps à t’accorder, lâcha Morosini incapable, sous peine d’étouffer, de contenir plus longtemps sa colère. Je te souhaite une excellente soirée !
— Dis-moi au moins comment vont Lisa et les enfants ?
— Le mieux du monde ! Bonsoir !
En prenant son chapeau et ses gants des mains de Théobald, Morosini rencontra son regard et ce regard empreint d’une lourde tristesse, ce regard qui cherchait à lui transmettre un message lui rappela quelque chose. Théobald avait le même quand, à leur retour du périple à la recherche des émeraudes du Prophète, Adalbert s’était fiancé avec la pseudo-Hilary Dawson et que, rue Jouffroy, on parlait mariage. Un mariage qui représentait aux yeux du serviteur modèle la fin d’une existence, pleine d’imprévus sans doute, mais harmonieusement réglée dans ses détails quotidiens. Le simple fait de cuisiner pour une Anglaise au goût irrémédiablement dépravé le rendait malade. Ce fut pour Aldo un trait de lumière : cette débauche de fleurs, la mauvaise humeur d’Adalbert et son désir de se débarrasser de lui s’expliquaient tout naturellement s’il attendait une femme. Cependant quelque chose clochait : qu’est-ce que Warren venait faire là-dedans ? Aldo que le temps ne pressait pas résolut d’en savoir un peu plus.
Revenu dans Cheyne Walk, la promenade qui longeait la Tamise, il partit d’un pas tranquille comme s’il cherchait un taxi, gagna l’abri des arbres, s’éloigna assez pour n’être plus en vue des fenêtres de la maison, fit un tour et revint s’abriter derrière le tronc le plus commode pour observer ce qui allait se passer. D’abord la nuit tomba puis il vit arriver Warren en smoking sous un ample manteau. Enfin, après un laps de temps qui lui parut interminable une longue Rolls-Royce noire conduite évidemment par un chauffeur en livrée s’arrêta : une jeune femme enveloppée de chinchilla – une frileuse sans doute car on était au printemps et il ne faisait pas froid ! – en descendit. À la lumière d’un réverbère, Aldo put voir qu’elle avait de magnifiques cheveux sombres dans lesquels une aigrette blanche était plantée fixée par un étroit bandeau clouté de diamants. D’autres diamants brillaient à ses oreilles mais elle était de celles qui n’ont pas besoin d’ornements pour rehausser leur beauté. Sous la lumière froide du réverbère cette femme lui parut ravissante et il eut l’impression quelle ne lui était pas inconnue. Elle ressemblait incontestablement à une princesse égyptienne… mais aussi à quelqu’un d’autre que pour le moment il ne situait pas.
Quand la belle inconnue fut entrée dans la maison, Aldo dut se faire violence pour ne pas aller faire un brin de causette avec le chauffeur. Même appartenant à une grande maison, il y a toujours moyen d’en tirer des renseignements mais il se voyait mal dans ce rôle et, pensant que Warren consentirait peut-être à satisfaire sa curiosité, il resta encore un moment à contempler les fenêtres éclairées puis tournant les talons se mit en quête d’un taxi pour rentrer à l’hôtel. Encore plus déprimé qu’en sortant de chez Adalbert parce qu’il y avait gros à parier que celui-ci était tout simplement tombé amoureux de la dame au chinchilla. Il fallait avouer qu’il y avait de quoi mais était-ce une raison pour jeter quasiment dehors son meilleur ami ?
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