Incapable de faire un geste, saisi d’une émotion bizarre, Guillaume la regardait s’approcher de lui. Elle, de son côté, le dévorait de ses yeux où la surprise faisait place à la joie.
— Guillaume ! souffla-t-elle enfin. Guillaume Tremaine !… Est-ce que c’est possible que tu… que vous soyez là, devant moi… et après tant d’années ?
— Madame…
— Madame ?… Ai-je donc tellement changé ? Oh, Guillaume !… Autrefois tu m’appelais Marie…
— Marie-Douce !… oh, mon Dieu !
Oubliant où ils se trouvaient et tous ces regards qui les observaient avec amusement, ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, avec ce besoin de toucher l’autre, de sentir l’autre pour être bien certains qu’il ne s’agissait pas d’un rêve, qu’ils n’étaient pas victimes de quelque fantasmagorie du Destin. La jeune femme riait et pleurait tout à la fois. Quant à Guillaume, son cœur battait si fort qu’il emplissait ses oreilles, brisant le silence ambiant. Un silence que vint rompre la petite toux de Vaumartin, sorti de son bureau pour contempler la scène, et qui annonçait ainsi sa présence.
— Ainsi vous vous connaissez ? soupira-t-il tandis que les deux anciens amis se séparaient en hâte, un peu confus tout de même, je ne l’aurais jamais imaginé, en dépit de la similitude des noms. D’autant qu’il y a tout de même une lettre de différence… Voulez-vous que nous passions dans mon cabinet, lady Tremayne ? Nous y serons plus à l’aise…
— Lady Tremayne ? articula Guillaume, sidéré. Tu… vous êtes devenue anglaise ?
Elle eut pour lui un sourire d’excuse, un peu triste mais adorable tout de même.
— En quelque sorte !… J’ajoute que vous n’êtes pas au bout de vos surprises, Guillaume, car je suis aussi votre belle-sœur. Richard, votre demi-frère, a été anobli par le roi George il y a quinze ans, juste avant notre mariage.
Conscient soudain qu’ils étaient en train de jouer devant une bande d’inconnus un spectacle d’autant plus apprécié qu’il était gratuit, Guillaume prit Marie-Douce par la main et l’entraîna chez son associé. Une véritable rage remplaçait l’instant de bonheur pur qu’il venait de vivre.
— Vous avez épousé ce misérable ? Je le croyais mort ! On m’a dit que Konoka l’avait tué.
— Non. Il en a réchappé. Cela dit, il l’est à présent et je suis veuve depuis trois ans. J’ai deux enfants qui vivent à Londres auprès de ma mère.
— Cette chère Mme Vergor du Chambon ! ricana Guillaume. Ainsi elle honore toujours la planète de sa présence ? Elle est indestructible, ma parole ?
À nouveau la jeune femme eut son petit sourire triste.
— Vous n’aviez aucune raison d’en garder un bon souvenir. Je dois dire qu’elle n’a guère changé, d’ailleurs ! Sans elle je n’aurais jamais épousé Richard… Cependant elle est une excellente grand-mère pour ses petits-enfants…
— Allons, tant mieux !… Serait-il indiscret de vous demander ce que vous faites ici ?
— Même pas ! j’obéis une fois de plus à ma mère. Elle a hérité d’une propriété dans cette région et, comme elle se déplace avec difficulté, elle m’a chargée de venir voir ce qu’il en était. L’un de ses bons amis se trouve avoir rencontré à plusieurs reprises M. de Vaumartin et nous l’a chaudement recommandé afin que je ne me sente pas trop… perdue sur cette terre inconnue…
Elle se tourna vers l’endroit où elle pensait que se trouvait Vaumartin mais il s’était éclipsé discrètement, ce qui la fit sourire.
— J’ignorais, ajouta-t-elle avec douceur, que j’y rencontrerais un parent… Guillaume ! vous faites une figure affreuse ! N’êtes-vous pas heureux de ce hasard qui nous réunit ? Moi… j’en tremble de joie ! Songez que je vous croyais mort et que je vous retrouve !
— Vous savoir l’épouse de cet assassin ne me cause aucune joie, Marie-Douce ! Dieu sait pourtant que celle que j’ai ressentie tout à l’heure était si forte qu’elle aurait pu me tuer ! Mais à présent…
Elle se haussa sur la pointe des pieds parce qu’elle n’était pas très grande et posa un baiser léger sur les lèvres de son ancien amoureux ; puis y appuya un doigt.
— Chut !… Ne me gâchez pas cet instant dont j’ai rêvé toute ma vie sans y croire ! C’est trop beau ! C’est trop doux !… Il faut oublier tout ce qu’il y a autour et ne penser qu’à nous ! Le monde a disparu : il n’y a plus que toi et moi !… Tiens, si tu veux, nous allons sortir d’ici et puis nous irons marcher au bord de la mer comme j’aurais tant aimé le faire autrefois, rien que nous deux…
Saisi de vertige, il la prit aux épaules pour mieux se noyer dans les transparences de ces yeux qu’il n’avait jamais pu oublier. C’était comme s’il se réveillait sur une plage ensoleillée après un long sommeil tourmenté. Marie-Douce était là, près de lui, contre lui… Il n’avait qu’à refermer les bras… mais il se contenta de prendre sa main.
— Viens ! dit-il seulement.
Comme deux enfants qui s’échappent, ils quittèrent la maison en courant et sans rien dire à personne. La voiture était là qui attendait toujours : ils y montèrent et Guillaume ordonna au cocher de les conduire là où il voudrait pourvu qu’il y eût une plage et qu’elle soit déserte…
Ils marchèrent longtemps, pieds nus dans le sable, à la lisière des vagues qui éclaboussaient les jupons de Marie-Douce. Elle avait ôté son grand chapeau à la Gainsborough et laissé le vent dénouer ses cheveux qui flottaient autour d’elle comme des écheveaux de lin. Ils marchèrent jusqu’à une toute petite crique entre deux escarpements rocheux, un lit de sable entre des courtines de granit où Marie-Douce s’étendit. Et ce fut là que sans chercher à comprendre ce qui leur arrivait, sans essayer seulement de résister à cette passion qu’ils portaient en eux depuis tant d’années et sans en mesurer les conséquences, ils devinrent amants…
1) Ennuyée, dans le parler canadien.
2) Les mûres.
3) Fèves brunes. C’est la « coffee-bean » des Anglais.
4) On surnommait ainsi les sœurs de la Charité à cause de la couleur de leur habit.
5) Linge blanc que le prêtre place autour de son cou sous l’étole.
6) Le Château-Frontenac, l’immense hôtel de la Canadian Pacific, occupe de nos jours son emplacement.
7) Il s’agit d’une vieille légende : celle d’un moine fantôme auquel on attribuait volontiers les crimes qui se produisaient dans la région.
8) Il s’agit d’une vieille légende : celle d’un moine fantôme auquel on attribuait volontiers les crimes qui se produisaient dans la région.
9) Sorte de chaise pourvue d’une roue, comme son nom l’indique.
10) La Marine royale en général mais surtout le corps des officiers nobles, ceux que l’on appelait les Rouges.
11) Le petit phare existe toujours. Il sert maintenant de sémaphore auprès du grand construit en 1835.
12) Actuelle rue Maréchal-Foch.
13) La rue de la République passe actuellement sur cet emplacement.
14) Julien et Marguerite de Ravalet, exécutés pour inceste et adultère au début du XVII siècle.
"Le voyageur" отзывы
Отзывы читателей о книге "Le voyageur". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Le voyageur" друзьям в соцсетях.