— Allez téléphoner au commissaire principal Langlois, Plan-Crépin ! ordonna la marquise. Il a bien spécifié qu’il fallait l’appeler à n’importe quelle heure dès que les « garçons » seraient là !
— Cela ne pourrait pas attendre demain matin ? plaida Adalbert qui, ayant conduit presque tout le temps, ne souhaitait rien de plus excitant qu’un dîner un peu copieux et son lit !
— Désolée, fit Marie-Angéline, mais il a beaucoup insisté là-dessus ! Il veut vous voir tout de suite ! L’affaire est trop grave !
— N’exagérons rien ! ronchonna Aldo, le nez dans son verre de vin chaud additionné de cannelle et d’un zeste d’orange.
— Tu pourrais avoir une surprise ! émit Mme de Sommières.
— Vous m’inquiétez, Tante Amélie !
— Ce n’est qu’une plaisanterie ! Je voulais seulement dire que ce genre d’affaire peut réserver des surprises. D’ailleurs, ce serait bien étonnant que Langlois se fasse attendre !
À peine un quart d’heure après, il était là, sans même avoir fait appel à la sirène qui lui libérait le passage quand le besoin s’en faisait sentir. Sans trop savoir pourquoi, tout le monde se sentit mieux.
La cinquantaine, le commissaire principal Pierre Langlois, grand patron de la Police judiciaire, était sans doute l’un des hommes les plus élégants de Paris. Il le devait à sa haute taille mince, à ses costumes toujours admirablement coupés, habillant une silhouette qu’il entretenait en jouant au golf ou au tennis quand il en trouvait le temps. Jusqu’à peu, il avait l’habitude de fleurir sa boutonnière d’un bleuet ou autre fleur discrète, mais, nommé depuis peu commandeur de la Légion d’honneur par le président de la République en personne, un petit canapé d’or et de pourpre remplaçait l’ornement champêtre. Il n’en tirait pas gloriole, infiniment plus touché par l’ovation enthousiaste de ses « hommes » que par les louanges présidentielles au lendemain de la remise.
Il courba sa haute taille pour baiser la main de Mme de Sommières, serra celle de Marie-Angéline puis celles des deux amis :
— Je vois que vous n’avez pas traîné en route et je vous en remercie, fit-il avec un demi-sourire.
— Ce n’est pourtant pas l’envie qui nous en manquait ! grogna Adalbert. Quant à Morosini, il sort pratiquement de son lit où il soignait une bronchite et il a fait tous ses efforts pour me la repasser ! À part ça, tout va bien !
— Tenez-les à distance tout de même ! conseilla Plan-Crépin, et je pense qu’une boisson chaude s’impose !
— Si vous ne voulez pas ingurgiter une décoction de sa composition, je vous conseille un café !
— Je préférerais partager avec Morosini ! Et maintenant, passons aux choses sérieuses. Vidal-Pellicorne a dû vous dire qu’en Angleterre, au château d’Hever, il est accusé d’avoir volé le Sancy !
— Sauf votre respect, je l’ai su avant que vous ne me l’appreniez..., fit Aldo.
— Comment est-ce possible ? On s’est donné un mal de chien pour tenir l’affaire secrète.
— Vous allez comprendre tout de suite ! Ava Astor m’est tombée dessus aux aurores, persuadée que je l’avais volé pour elle. Aussi venait-elle le chercher avant qu’une éventuelle descente de police ne s’en empare. Vous comprendrez quand vous saurez qu’à Pontarlier je lui ai promis de lui procurer un diamant historique. Elle venait de me rendre un immense service sans s’en douter le moins du monde et j’étais à peu près sûr de pouvoir tenir ma promesse assez vite pour être débarrassé de la dame !
— À quoi pensiez-vous ? Cela ne court pas les rues, un diamant historique.
— Au « Miroir du Portugal », que j’ai vendu moi-même à mon beau-père il y a quelques années. C’est la même classe de bijoux puisqu’il fait partie des dix-huit Mazarins.
— Alors pourquoi aurait-elle voulu le Sancy ?
— Parce qu’elle enrage quand elle voit sa cousine s’en parer... et il faut bien le dire : c’est l’un des plus jolis diamants qui soit et une pierre plus imposante : il pèse plus de 55 carats. Le « Miroir » est plus gros mais, malheureusement, il est un peu moins beau. Et puis, je le répète, elle est persuadée que je suis le voleur.
— Pas seulement vous, hélas ! La police britannique le croit aussi. Warren m’a prévenu juste avant d’entrer en clinique où il doit subir une opération assez sérieuse. C’est donc son suppléant qui est en charge de l’affaire... Celui-là n’a aucune raison de ne pas vous suspecter puisqu’il ne vous connaît pas et il a juré de vous mettre la main au collet !
— C’est ridicule, voyons, intervint Mme de Sommières. Non seulement il n’était pas en Angleterre ce soir-là mais...
— Malheureusement si, j’y étais. C’est là où j’ai attrapé cette crève que j’ai bien peur d’avoir refilée à Adalbert...
— Que fabriquais-tu là ?
— Je faisais mon métier. Je m’étais laissé arracher un rendez-vous avec lord William Allerton, un vieux client et un homme délicieux. Propriétaire d’une belle collection mais pas jeune hélas, et qui faisait appel à notre amitié déjà ancienne pour l’aider de mes conseils...
— Il ne pouvait pas le demander par téléphone ? À moins qu’il ne soit trop âgé pour savoir que ça existe, maugréa Plan-Crépin.
Sans lui répondre, Aldo tira de son portefeuille une lettre qu’il avait pris la précaution d’emporter et la tendit à Langlois.
Celui-ci se mit à lire mais, au fur et à mesure, ses sourcils se fronçaient.
— Donc vous y êtes allé ? Vous l’avez vu ?
— Non. Et c’est là que les choses s’embrouillent. Quand je suis arrivé à Levington, le majordome Sedwick m’a d’abord regardé comme si je tombais de la planète Mars et m’a appris que, non seulement son maître n’avait pas écrit cette invitation, mais qu’il était absent.
— Il aurait pu au moins t’offrir l’hospitalité puisque tu étais déjà aux prises avec tes bronches capricieuses, observa la marquise.
— Mais il ne l’a pas fait, et je me sentais de moins en moins bien. En plus, il faisait un froid de gueux dans ce foutu pays et j’ai été pris d’une irrésistible envie de rentrer chez moi. J’ai donc repris la voiture que j’avais louée à Londres et je suis allé à Heathrow où j’ai trouvé un avion pour Paris...
Une double exclamation des deux femmes lui coupa la parole :
— Toi, en avion ? Mais tu as horreur de ça !
— Peut-être, mais ça va nettement plus vite que n’importe quel train ou bateau ! Et j’ai même fait mieux. Au Bourget, il y avait un départ pour Milan : j’ai sauté dedans et là j’ai eu la chance d’avoir un train en partance pour Venise ! Voilà toute mon aventure !
— Et l’idée de venir vous faire soigner ici ne vous a pas traversé l’esprit en passant par Paris ? fit remarquer Plan-Crépin, acerbe.
— Si, mais je m’en serais voulu de partager mes microbes avec vous ! En plus, si vous voulez tout savoir, j’étais tellement mal en point que je cultivais une seule idée fixe : mon lit et les soins de Lisa ! Voilà ! Et je tiens mon passeport à votre disposition, mon cher Langlois.
— Un passeport, cela s’imite, soupira le policier. Je vais maintenant vous décrire la soirée du 8 mars, selon la police anglaise.
— Et elle dit quoi, la British Police ?
— Que vous êtes bien allé à Levington Manor où personne ne vous attendait, surtout pas lord Allerton absent, et que, là-dessus, l’idée vous est venue d’aller demander l’hospitalité d’Hever Castle peu éloigné, sachant que lord William Astor est depuis longtemps un ami de votre beau-père, où vous avez été reçu chaleureusement...
— Ils m’ont reçu, moi, et alors qu’ils ne me connaissent même pas ?
— Vous êtes célèbre, mon cher !
— Je croyais l’être ! Dans une petite partie d’un monde bien défini : celui des collectionneurs, joailliers, antiquaires, etc., mais de là à ce que ces châtelains qui ne m’ont jamais vu prennent un quidam pour moi, les bras m’en tombent.
— Le nom de Kledermann doit être une garantie suffisante. Sans compter qu’à plusieurs reprises vous avez eu les honneurs de la presse. Pourquoi ces gens se seraient-ils méfiés ?
Marie-Angéline qui écoutait, sourcils froncés mais en silence, se lança dans la bataille :
— Ça veut dire quoi ? Que n’importe qui peut se faire passer pour n’importe qui ?
— Dans certains cas, cela suppose une certaine dose d’audace parce qu’un homme de cette prestance et doté d’un tel physique ne doit pas être facile à imiter, même par un émule d’Arsène Lupin. Un usurpateur d’identité ne peut avoir le talent de maquiller une joue enflée, un coquart sur l’œil ou déverser une fontaine de larmes due à un coryza féroce. Il doit lui être difficile de donner le change.
Cette fois, Adalbert ne put s’empêcher de rire :
— Eh bien, mon vieux, si tu conservais des doutes sur ton charme, te voilà rassuré !
— Ça n’a rien à voir. Je veux dire qu’il est plus facile d’imiter M. Tout-le-Monde qu’un homme tel que lui. Ou alors les gens d’Hever ne sortent jamais de leur trou ?
Marie-Angéline haussa les épaules :
— Parce que cette demande d’hospitalité ne tenait pas debout. Ou alors ils ont voulu voir de près l’illustre Morosini !
— Plan-Crépin ! protesta la marquise. Un peu de tenue !
— Pardonnez-moi, mais il faut que ça sorte !
Adalbert continuait de s’amuser devant cette joute oratoire :
— N’oubliez pas tout de même sa réputation. Le grand expert en joyaux célèbres doit avoir ses entrées partout ! Je n’en obtiendrais pas autant.
— Oh, vous, c’est différent ! Mais vous devriez être aussi difficile à imiter.
Langlois avait suivi sans mot dire l’échange de balles. La conclusion s’imposa d’elle-même :
— Pourquoi n’aurait-il pas un sosie ? Il paraît que nous en avons tous, mais le temps nous manque pour les rechercher. Bon ! Assez plaisanté : la solution évidente, c’est M. Kledermann qui la détient : il emmène lui-même son gendre à Hever et tout rentrera dans l’ordre...
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