Quand il eut achevé de parer sa femme, Aldo la prit dans ses bras pour lui donner un baiser passionné... qu’elle lui rendit avec usure.
— Je t’aime ! Tu ne peux pas savoir comme je t’aime ! Quand j’étais si loin de toi, tu n’imagines pas ce que j’ai souffert de ton absence ! J’en venais à penser que tu n’avais été qu’un rêve ! Le plus beau de tous... mais un rêve impossible !
Les yeux emplis de larmes qu’elle levait sur lui étaient aussi pleins d’amour et ils renouèrent leur étreinte. Ce fut ainsi que les trouva Adalbert et il resta un instant à les contempler :
— Vous vous direz la suite au retour ! Ce n’est pas galant de « faire sécher la duchesse » !
— Elle est belle, ma Lisa !
— Plus que cela encore... mais tu n’es pas mal non plus ! ajouta-t-il avec une moue appréciative en considérant la silhouette racée, la carrure athlétique et le beau visage aux tempes argentées de son « plus que frère » qui évoquait si bien pour lui toute la fierté de Venise.
Il y avait eu des doges chez les Morosini, et cela se sentait !
« Pauvre Peter ! pensa-t-il. Il aura du mal à s’en remettre ! Mais il ne manque pas de classe lui non plus. Il ne se mariera sans doute jamais, ce qui ne veut pas dire qu’il sera malheureux ! L’état de célibataire est le plus confortable qui soit, et j’en ai toujours été fort satisfait ! »
Parvenus devant ce qu’on aurait pu appeler le palais Cartland, à Mayfair, le coup d’œil était magique tant par l’éclat du décor que par la foule étincelante qui s’y pressait. Comme l’avait prévu Adalbert, Peter reçut Lisa en pleine figure, et la duchesse Caroline vint passer un bras compréhensif sous celui de son fils cadet :
— La reine de Venise, je suppose ? fit-elle, tendrement moqueuse.
— À nulle autre qu’à elle, le titre n’irait mieux ! soupira-t-il.
— Nous allons donc garder ce beau couple près de nous pour accueillir Leurs Majestés.
— Vous ne pensez pas que ce serait plutôt le rôle de mon père ? Il est duc, sacrebleu !
— Vous savez comment il est et, moi, je préfère de beaucoup avoir mes aises. Enfin ce n’est pas la première fois qu’il ne verra pas Leurs Majestés qui sont presque aussi casanières que lui, sauf exceptions ! Mais regarde un peu nos invités d’honneur ! Ils sont vraiment superbes ! dignes d’un tableau !
En fait de splendeur, le Titien n’eût pas fait mieux !
Abandonnant pour ce soir ses dentelles et ses émeraudes ou diamants préférés, Tante Amélie, impériale, arborait une manière de simarre cardinalice en faille à traîne d’un rare rouge profond, d’une coupe inimitable destinée surtout à faire valoir, non seulement ses admirables cheveux blancs, haut relevés sous un diadème et des boucles de diamants, mais surtout quelques-uns des plus beaux rubis du Mogol qui se puissent trouver, ce qui avait éveillé la curiosité d’Aldo qui ne les lui connaissait pas. Un discret applaudissement salua sa parfaite révérence au couple royal... qui d’ailleurs la connaissait déjà, la marquise étant sans doute la personnalité la plus marquante en Europe.
À son rang et en moins somptueux comme il se doit, Marie-Angéline du Plan-Crépin présentait l’image d’une dame d’honneur : une parure de belles perles, une écharpe assortie à la toge portée au creux du bras, gants blancs jusqu’aux coudes, en faisaient une suivante des plus présentables... qui avait laissé Peter pantois !
— Par les tripes d’Henry VIII, comme vous voilà belle !
— J’aurais préféré un terme de comparaison plus flatteur ! Henry VIII ! Pouah !
— Cela ne l’a jamais empêché d’être un homme de goût !
— Il avait surtout le goût du sang ! Alors, s’il vous plaît, laissez-le là où il est ! Il n’a que trop fait de bruit dans le monde !
Étant donné le nombre des invités, il n’y aurait pas de dîner. Des buffets, une nuée de serviteurs circulant à travers la foule faisant couler le champagne, les vins, le whisky... et même le thé pour les passionnés de la boisson nationale. À la satisfaction générale, c’était beaucoup plus sympathique qu’aligner les gens autour d’une immense table pour s’y ennuyer copieusement.
En présence du couple royal à qui l’on présenta les héros de la fête rétablis de la façon la plus flatteuse, on but à leur santé. Après quoi George et Elizabeth se retirèrent sur un bref discours à la grande satisfaction de Peter :
— J’adore Leurs Majestés mais les trucs officiels et moi... M’accorderez-vous une danse, princesse ? demanda-t-il à Lisa en rougissant furieusement.
— Toujours avec un vif plaisir quand c’est un ami qui m’en prie... et vous nous êtes devenu cher, Peter !
En regardant le jeune homme enlacer Lisa, Adalbert pensait qu’il devait vivre là « le » moment de sa vie et s’en alla inviter Plan-Crépin. Comme tout ce qu’elle faisait, elle dansait bien et, ce soir, elle était plutôt « réussie ». Il ne résista pas au plaisir de le lui dire puis ajouta :
— Contente de revoir la rue Alfred-de-Vigny ?
— Ah, là, là ! Vous n’imaginez pas ! Et aussi la messe de 6 heures à Saint-Augustin, les potins de quartier dont je régalais notre marquise en rentrant partager son petit déjeuner... et le délicieux café à l’italienne ! Ici, ils doivent le faire à l’eau de vaisselle ! Quant à vous, inutile de savoir si vous êtes content de réintégrer votre cher vieux bureau, votre bibliothèque, les pharaons et leurs pyramides ? Mais rien ne vaut le quartier Monceau... si ce n’est peut-être Venise ? À propos de vos projets, c’est quoi, le prochain ouvrage ? Un bouquin, un retour en Égypte pour renouer avec l’excitation des fouilles ?
Adalbert fit une affreuse grimace :
— Vous trouvez que cela ne suffit pas, les voyages, pour cette année ? Surtout dans de pareilles conditions ? Alors, et puisque nous sommes en Angleterre : Home sweet home.
Après un court silence, Marie-Angéline murmura sur le ton de la confidence :
— Depuis le début de ce drame, je me pose une question... Et je ne peux la poser qu’à vous... ou à notre marquise, mais je craindrais de me faire rembarrer...
— Laquelle ? Vous voilà bien sombre tout à coup ?
— Pauline Belmont, si passionnément amoureuse d’Aldo et que Lisa déteste en proportion ! Si l’horreur de ces derniers temps avait duré, comment aurait-elle réagi... car je suppose que le scandale lui est parvenu ?
— Il a fait le tour du monde et, naturellement, des États-Unis en premier. Elle doit être très malheureuse. Elle est prisonnière du serment qu’elle a fait à Lisa de ne plus s’approcher d’Aldo de près ni de loin, et Mme de Sommières a reçu ce serment. Que peut-elle penser ?
— Vous avez raison. Elle doit souffrir énormément !
Appartenant à l’une des plus puissantes familles de New York, sculpteur de talent, milliardaire, Pauline était d’une beauté chaleureuse qui ne pouvait laisser aucun homme tant soit peu sensuel indifférent. Sans qu’il soit question d’amour chez lui – et encore se posait-il la question lors de leur dernier revoir ! –, Aldo avait vécu avec elle une aventure passionnée, sorte de brûlure au fer rouge telle qu’il n’en avait jamais connu avec Lisa, qu’il aimait autant mais trop « Suissesse » pour n’avoir jamais rien éprouvé de semblable. Quand il évoquait ses nuits avec Pauline, Aldo sentait renaître un désir irrésistible... et pas vraiment de remords avant que, renseignée, Lisa ait voulu tout briser de ce qui les unissait.
Au bout d’un instant de réflexion, Adalbert chuchota :
— Si Ava avait réussi sa vilaine besogne, Pauline, n’écoutant plus que son amour, aurait fait table rase de son serment pour voler au secours de celui qui est devenu sa raison d’être...
— Je le crois aussi... et me demande même si Ava est en sécurité là-bas. Pauline tire l’épée comme d’Artagnan et au pistolet comme Buffalo Bill ! Je la crois parfaitement capable d’effacer son ennemie du monde des vivants sans la moindre hésitation, et cela même avec l’aide de tous les Belmont – une sacrée famille hautement pittoresque pour qui Aldo incarne ce qui existe de mieux sur la planète. Belmont jouit dans le pays d’une étonnante puissance, allant jusqu’à s’assurer l’aide de gouverneurs et de vaisseaux de guerre pour ses propres affaires...
— Enfin, conclut Plan-Crépin ce sont là des paroles en l’air... et tout est bien qui finit bien !
À cet instant précis, l’atmosphère changea. Chacun – même les moins sensibles – éprouva l’impression qu’un danger approchait, et chez certains cela alla même jusqu’au frisson. Joyeuse, somptueuse, la fête parut se ternir, les lumières s’affaiblir. La musique baissa puis s’arrêta.
La duchesse, qui buvait une coupe de champagne avec un ambassadeur, fronça les sourcils et se tourna vers l’entrée des salons. Peter lâcha Lisa, inquiet lui aussi, et regarda dans la même direction.
— Voyez donc, Peter, ce qui nous arrive là ! Des hommes en noir, des uniformes ! Cela fait penser à une descente de police ! Chez moi et un pareil soir, alors que Leurs Majestés se sont à peine retirées ? Allez me faire sortir tous ces gens et réclamer des excuses ! On n’entre pas chez nous comme dans un moulin ! Dehors ! Et plus vite que cela ! Sinon lâchez « les chiens » et faites-les refouler !
— Je ne sais pas pourquoi mais j’ai peur ! murmura Lisa en se rapprochant d’Aldo qui entoura ses épaules de son bras.
— Il n’y a aucune raison d’avoir peur !
Le « gang Morosini » resserrait les rangs. Si incroyable que cela parût, l’ennemi gagnait du terrain. Se détachant de l’importante force de police qui, à présent, obstruait les entrées, un groupe d’hommes en noir, des officiels de toute évidence, fonçait littéralement la tête dans les épaules en direction de la duchesse qui, imperturbable et arrogante à souhait, les attendait visiblement de pied ferme.
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