— Soyez sûre qu’il s’y évertue, mais cela peut être long et il avait été salement touché. On le tient encore à l’écart des nouvelles pour ne pas le fatiguer. Il n’en réclame pas, d’ailleurs, et l’autre en profite ! Il y a ici et là, dans la ville, des affichettes représentant la figure de Morosini.
— Des photos ?
— Non. Des dessins au trait mais assez ressemblants tout de même !
— Et votre rescapé ? Que dit-il ?
— Notre égyptologue ? Il ne dit rien, il écume de fureur à longueur de journée. Il est retapé et Finch a fort à faire à le surveiller. Depuis qu’il a appris ce que je viens de vous dire, il veut se déguiser en clochard pour pouvoir explorer les bas-fonds de Londres. Je ne l’en dissuade pas car si quelqu’un connaît bien Morosini, c’est lui !
— Alors laissons-le agir... et n’oubliez pas non plus que cette maison peut servir de refuge autant que la vôtre !
— Je n’en ai jamais douté ! remercia Peter en se penchant pour l’embrasser, mais on est plus en sûreté chez moi sous l’égide de Finch ! À Mayfair, nous avons notre duc et cet âne pompeux de Randolph, et ce Mitchell est le protégé du chancelier de l’Échiquier.
— Cela ne m’étonne pas de ce crétin de Holland !
— Chut ! Si l’on vous entendait !
— Eh bien, quoi ! C’est ce que pense la majeure partie du Royaume-Uni. (Puis, se laissant soudain emporter par son caractère « soupe au lait » :) Nous avons un roi, que diable ! Et un bon roi ! Un homme d’un courage remarquable qui, à force de volonté, a surmonté un bégaiement tenace qui le paralysait ! J’irai le voir si besoin est ou si ce pauvre prince n’est pas retrouvé vivant ! Sa Majesté me reçoit toujours avec beaucoup de bonté !
L’Honorable Peter éclata de rire :
— Cette blague, mère ! Il a peur de vous ! Tout le monde d’ailleurs a peur de vous... sauf moi ! À présent, souffrez que je vous quitte ! Il se fait tard et demain je dois aller, de bonne heure, acheter des cartes géographiques, et ne me demandez pas pourquoi ! Je vous le dirai plus tard !
La veille même de leur retour à Londres, les dames du parc Monceau avaient reçu la visite éclair du commissaire principal Pierre Langlois, devenu d’ailleurs officiellement directeur de la Police judiciaire dont il exerçait jusque-là la fonction sans en porter le titre. Ce dont on l’avait chaudement félicité, après quoi Plan-Crépin lui avait sauté au cou sans hésiter, enthousiasmée par la nouvelle qu’il apportait :
— Je pense que vous allez être contente. L’ambassadeur brésilien vient de me prévenir que l’on avait réussi à repérer M. Kledermann sur le cours de l’Amazone, en dépit des précautions prises par lui pour passer inaperçu et se livrer tranquillement à ses recherches. Toujours est-il que c’est bien lui, qu’il doit avoir été prévenu, et qu’à l’heure présente il doit être sur le chemin du retour !
— Quelle magnifique nouvelle ! s’écria Mme de Sommières, les larmes aux yeux. Vous avez prévenu Lisa ?
— Pas encore. Vous sachant à Paris, j’ai pensé d’abord à vous, mais en rentrant au Quai...
— N’en faites rien, s’il vous plaît ! Pas encore !
— Pourquoi non ? Dès que Kledermann sera là, et même dès que l’annonce de son retour sera officielle, tout rentrera dans l’ordre !
— À condition qu’Aldo soit en vie, et nous sommes loin d’en être certaines. D’après ce que nous avons appris, et cela devrait remonter au moment où nous avons récupéré Adalbert, il aurait réussi à s’échapper, mais, depuis, il, errerait dans Londres en proie à une profonde misère, mal vêtu, sans un shilling en poche, protégé sans doute par une barbe, des cheveux et une moustache qui ont dû heureusement proliférer, car on a collé un peu partout des affichettes reproduisant ses traits.
Langlois l’écoutait, bouche bée :
— Où êtes-vous allée chercher tout ça ?
— La radiesthésie, ça vous inspire ? envoya Plan-Crépin.
— Oui ! Je sais qu’il advient dans nos services que l’on y fasse appel, mais je n’y crois guère ! Il y a tellement de charlatans chez ces gens-là !
Plan-Crépin pensa qu’elle aurait mieux fait de se taire, redoutant à présent que le grand chef n’aille passer Botti à la question, ce qui pourrait entraver son projet. Elle essaya de limiter les dégâts :
— À ma messe de 6 heures à Saint-Augustin, j’ai entendu dire qu’une voyante aurait dit ça à sa patronne, et je dois avouer que, sur le coup, cela m’a fait plaisir, ces deux mots accolés : Aldo vivant !
— Mais dans la misère ? Brillant !
L’œil gris-bleu du policier, soudain animé d’une petite flamme ironique, ne la quittait pas :
— Et vous repartez pour Londres demain... histoire de vérifier s’il n’y aurait pas un peu de vrai là-dedans ?
— Ce n’est pas ce que vous feriez, vous ? intervint la marquise, volant au secours de la bavarde.
— Si j’étais Mlle du Plan-Crépin ? Sans hésiter ! Finalement... pourquoi pas ! Vous en avez parlé à sa femme ?
— Seulement que le bruit de sa survie courait. Sinon...
— Elle ne vous décollait plus ! C’est bien naturel ! En tout cas, l’ambassadeur du Brésil, lui, est crédible à cent pour cent !
— Et nous sommes des ingrates car nous ne vous remercierons jamais assez ! Savoir que ce maudit banquier s’est enfin décidé à donner signe de vie est un énorme réconfort, même s’il n’y a aucune chance qu’il arrive avant un bon moment !
— En attendant, il peut contacter Astor pour mettre les choses au point.
— Avouez que c’est tout de même un peu excessif, délirant même, de cultiver le secret à ce point pour quelques cailloux ?
— Les collectionneurs sont une race à part. Vous ne les changerez pas ! Combien de fois Morosini, qui a une femme et des enfants, n’a-t-il mis sa vie en péril ? Ne le prenez pas de travers car vous savez quelle amitié je lui porte, mais il y a de l’aventurier chez ces hommes-là !
— Et quand l’amitié s’en mêle, cela peut gagner de paisibles savants comme les égyptologues. Voyez Vidal-Pellicorne !
— Dans ce cas, c’est avec l’au-delà que l’on risque des problèmes, sans pour autant écarter les dangers physiques. Voyez l’affaire Toutankhamon !
— Elle a failli rendre notre Adalbert malade de jalousie, ajouta Plan-Crépin.
— J’aurais déjà dû demander de ses nouvelles puisque lui, au moins, on a eu la chance de le retrouver. Comment va-t-il ?
— Il se remet lentement, d’après Sa Seigneurie qui veille sur lui. Il n’était pas beau à voir quand on l’a sorti de son « trou de curé » ! Alors qu’il possède l’une des plus jolies maisons de Chelsea, à côté de l’atelier de Mary Windfield ! Mais il ne peut être question qu’il y retourne ! Un piège facile pour la police.
— Sans doute, mais si Kledermann entre en contact avec Astor et remet les choses en place, rien ne s’opposera à ce qu’il y retourne... et l’histoire se terminera sur une coupe de champagne... comme d’habitude !
Il prit congé aussitôt et Marie-Angéline le raccompagna au vestibule, puis revint :
— Curieux, n’est-ce pas ? fit-elle, songeuse. Pour la première fois, j’ai l’impression qu’il ne dit pas le fond de sa pensée !
— Oh, non ! protesta Tante Amélie, vous n’allez pas nous servir le coup du médium à tout bout de champ ! Il a dit ce qu’il a dit, un point c’est tout ! Et il nous a rendu un sacré service !
Cette fois, Plan-Crépin ne répliqua pas. Elle pensait à cet homme dont Langlois avait dit qu’il voulait l’infiltrer à Hever Castle où il pressentait quelque chose de louche et n’en avait pas reparlé. À présent il y avait peut-être renoncé...
Les « conjurés », comme les appelait l’Honorable Peter, installèrent leur poste de combat chez Mary. La famille royale étant partie pour un court séjour en Écosse dans son château de Balmoral, son peintre avait quartier libre, ce qui l’emplissait de joie, surtout après le récit que Marie-Angéline leur avait fait de sa visite chez Angelo Botti.
Ils n’étaient à vrai dire que trois – plus Finch bien sûr –, mais animés de la volonté farouche d’obtenir des résultats, éperonnés par la peur d’arriver trop tard !
Peter s’était procuré une vaste panoplie des plans de Londres et sa banlieue immédiate, mais « en mettant le paquet » sur les environs de la Tamise, des docks et des quartiers plus ou moins louches qui y pullulaient. Même s’ils étaient surveillés – encore que prudemment ! – par la police, des quartiers comme Limehouse, les docks, Chinatown ou White Chapel, ces bourbiers offraient d’innombrables possibilités de se cacher... ou de se faire assassiner ! À y regarder de près, le terrain à explorer était gigantesque. Un véritable défi à la raison, or la raison et Plan-Crépin ne faisaient pas bon ménage !
Elle ne vivait plus qu’accrochée à son pendule qu’elle interrogeait avec une angoisse croissante à mesure que le temps s’écoulait. Le climat jusque-là supportable devenait franchement mauvais et interdisait à Adalbert, juste convalescent, de se lancer dans la bataille comme en il mourait d’envie.
— Si quelqu’un peut le retrouver, c’est moi ! Même réduit à l’état de clochard !
— Vous aussi, on vous recherche, et admettez que vous êtes mieux ici qu’à l’infirmerie de la prison ! répliquait son hôte. En outre, vous ne nous serviriez à rien !
Afin d’éviter des allées et venues intempestives, Marie-Angéline « tenait compagnie » à Mary – intouchable parce que protégée par le roi. En outre, cette dernière aussi croyait dur comme fer à la radiesthésie, possédant elle-même quelques dons de médium. Le « sanctuaire des recherches », comme disait Peter, était l’atelier du peintre, habité – toujours selon Peter ! – par la plus haute expression de la beauté et du talent « parce que plus près du ciel ». On y avait installé un lit pour la visiteuse.
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