— Et Aldo ?
— Pas encore !
Sentant se crisper la main qu’elle tenait et voyant monter les larmes, la marquise l’attira contre elle :
— Allons ! Ne vous mettez pas dans cet état ! Que l’on n’en ait retrouvé qu’un ne signifie pas que l’autre soit mort, au contraire. Il se peut qu’Aldo ait réussi à se libérer et que le sort d’Adalbert serve de monnaie d’échange. La logique veut qu’ils soient vivants tous les deux.
— Et si vous me racontiez ?
— Laissons la parole à Mlle du Plan-Crépin, décréta Peter avec son sourire en demi-lune qui, en lui-même, était rassurant. D’ailleurs ce n’est que justice, puisque c’est elle la cheville ouvrière de l’aventure. Elle a été géniale !
— Je ne suis pas la seule héroïne de l’histoire. Sans cette fête à tout casser que sir Peter a réussi à monter en un temps record, nous n’aurions guère avancé !
Incontestablement, elle savait raconter, en bonne lectrice qu’elle était, et brossa un tableau magistral du château, des jardins, de la fête, de la foule extraordinairement colorée qui environnait les personnalités royales et les fabuleux joyaux portés par le nabab, sa femme et sa suite, en y prenant un plaisir évident, mais elle ne s’étendit pas au-delà du supportable. Ce n’était pas cela que Lisa attendait. Pourtant, elle ne l’interrompit pas une seule fois. Pas davantage quand elle entreprit l’incroyable aventure vécue dans le vieux cottage et l’incroyable hasard qui leur avait permis de découvrir le « trou de curé » et ce qu’il contenait. Quand enfin elle en fut à la conclusion : Adalbert confortablement installé chez sir Peter sous la garde de Finch, elle parut entrer dans une profonde méditation qui n’eut cependant pas l’air de lui remonter beaucoup le moral :
— Et vous trouvez cela encourageant ? Je croirais plutôt que ces gens ont dû juger inutile de charger leur conscience d’un crime de plus !
— Ça m’étonnerait que ce genre d’individu en soit à un près ! ronchonna Peter.
En dépit de l’espèce de fascination qu’exerçait sur lui la beauté de Lisa, il ne pouvait s’empêcher de plaindre Mary qui, jour après jour, allait devoir subir une angoisse qui refusait tout apaisement. Le portrait du duc de Gordon était terminé et c’était à présent le palais royal qui attendait l’artiste. La consécration suprême, mais vécue dans quelles conditions ? Même si c’était un bonheur de revoir la princesse, elle aurait beaucoup mieux fait de rester en Autriche dans le cercle chaleureux de sa grand-mère et de ses enfants !
Mme de Sommières en pensait tout autant et, avec un petit sourire encourageant à l’intention de Mary, elle proposa :
— Nous repartons pour Paris, Plan-Crépin et moi. Pas dans l’intention d’y rester, mais j’estime qu’au point où nous en sommes il est indispensable d’aller parler de tout cela avec Pierre Langlois. C’est par sa position le seul capable de nous donner un coup de main et, de toute façon, je voudrais avoir son avis. Venez-vous avec nous ? Cela vaudra mieux que tourner en rond toute la journée dans cette maison après avoir passé des nuits blanches...
— Pour les nuits blanches, il m’étonnerait qu’elles ne me suivent pas !
— Eh bien, vous me ferez la lecture, vous jouerez aux échecs avec Plan-Crépin ou elle vous tirera les cartes ! Elle est très forte et, il n’y a pas si longtemps, nous lui avons découvert des dons de médium !
— Réels, je t’assure, affirma Mary, qui faillit ajouter qu’elle l’était un peu elle-même mais préféra s’en tenir là.
Son amie ne dégageait que des ondes négatives en ce moment. Peut-être fut-ce le fait que Plan-Crépin partait aussi qui emporta sa décision :
— Pourquoi pas ? Finalement, c’est lui qui les a engagés dans cette aventure délirante.
— Ne mélangeons pas ! Aldo refusait de rentrer à Paris à rester les bras ballants. Il voulait partir et serait peut-être déjà sous les verrous. Alors vous venez ?
— Je viens... mais j’aurais voulu voir Adalbert avant !
— Eh bien, ce sera après. Il a besoin de se remettre, pas de pleurer sur votre épaule, et sir Peter veille sur lui ! coupa Mme de Sommières que la résistance tacite de la jeune femme commençait à agacer sérieusement.
Mais Lisa n’en avait pas fini :
— Au fond, il n’a pas de véritable raison de se cacher. Ce n’est pas lui qui est accusé de vol !
— Non, fit observer Peter. Simplement de complicité, et avec le redoutable crétin qui remplace Warren à la police en ce moment, cela peut mener très loin. Donc il ne bougera pas de chez moi ! Vous le verrez au retour !
Enfin elle se décida, disant qu’elle serait heureuse d’entendre l’opinion d’un homme de la valeur du commissaire principal.
En réalité, Plan-Crépin s’en serait bien passée, espérant seulement que Langlois lui remettrait les idées en place et surtout qu’il lui donnerait le sage conseil de ne pas s’impliquer dans cette histoire, quelque envie qu’elle en ait, et qu’il serait plus raisonnable de rentrer à Rudolfskrone près de ses enfants. Dans l’état d’énervement où elle se trouvait, Lisa charriait les mauvaises ondes à la pelle. Ce serait sans doute charité d’en libérer Mary au moins pour quelques jours, mais en évoquant les nuits blanches qui l’attendaient elle-même, son moral avait tendance à flancher. Heureusement, sa chère messe de 6 heures à Saint-Augustin serait-là pour lui redonner du courage... et peut-être réussirait-elle à y entraîner l’épouse angoissée. Elle entendait, pour sa part, y demander une neuvaine...
9
L’homme au pendule
En revenant dans sa chère maison de la rue Alfred-de-Vigny ouvrant si joliment sur le parc Monceau, Mme de Sommières éprouva une sensation bizarre. Malgré le plaisir de rentrer chez elle, de retrouver son jardin d’hiver et son grand fauteuil de rotin blanc au large dossier en éventail, son trône, si confortable avec ses coussins en chintz fleuri, évocateur du champagne de 5 heures et de toutes les bonnes habitudes, et où elle passait d’ailleurs le plus clair de son temps quand elle était à Paris, à papoter avec Plan-Crépin, elle ressentait la pénible impression de ne plus être tout à fait chez elle, que la demeure avait imperceptiblement changé... sans aucun doute parce que cette vilaine affaire sordide – qui planait dessus –, l’absence d’Adalbert rue Jouffroy, de l’autre côté du parc Monceau, et surtout parce que manquait le bonheur de voir débarquer Aldo – souvent sans prévenir ! – lancé sur la trace d’une de ces merveilles qui le passionnaient.
Et puis il y avait ses vieux serviteurs : Cyprien, son majordome, qui avait à peu près son âge et dont les bagarres incessantes avec Plan-Crépin mettaient du piment dans la vie quotidienne, et Eulalie, sa sublime cuisinière, que son talent rendait digne de la table des dieux et qui s’ennuyait à mourir quand elle n’était pas là. On moins on allait pouvoir se régaler pendant quelques jours parce que la cuisine anglaise était, en dehors du breakfast et des pâtisseries du sempiternel thé, parfois à peine mangeable... Elle eut honte d’ailleurs de cette pensée un peu trop terre à terre au milieu du drame que l’on vivait...
Heureusement que Plan-Crépin était à ses côtés. Sans elle, la marquise eût peut-être choisi de descendre au Ritz pour ce bref séjour. Il y avait aussi Lisa qui semblait traîner derrière elle toute la misère du monde ! Dieu sait si l’on pouvait la comprendre, mais ce n’était pas la première fois qu’Aldo disparaissait sans qu’on puisse savoir où il était passé, et la certitude qu’il était toujours vivant était ancrée au cœur de la vieille dame comme dans celui de Plan-Crépin qui, elle, avait hâte de se remettre en chasse !
À peine installée, le premier mot de la jeune femme avait été pour réclamer celui que l’on était venu voir...
Il accourut, bien entendu, dès qu’il les sut de retour, et accepta le café que lui offrait Cyprien. Élégant comme à son habitude, dans un complet bleu marine adouci par une cravate à fines rayures rouges assortie au « canapé » rouge et or de commandeur de la Légion d’honneur qui avait chassé de la boutonnière la fleur traditionnelle, il arborait une mine sévère en s’inclinant sur la main de la marquise, puis sur celle de Lisa – et même sur celle de Marie-Angéline qui en resta pantoise, accoutumée qu’elle était à une virile poignée de main –, mais la petite flamme qui animait son œil bleu révélait qu’il était plutôt content :
— Vous vous êtes décidées à rentrer ? Je vous attendais plus tôt, bien que je vous sache en sécurité à Chartwell.
— De toute façon nous allions le quitter. Les travaux sont terminés chez les Sargent – où nous sommes toujours invitées ! – et d’ailleurs sir John annonce son retour. Au fond, commissaire, que voulez-vous qui nous arrive ?
— Vous n’en savez rien et moi non plus, sinon que cette affaire est sûrement plus dangereuse qu’il n’y paraît ! Alors, pourquoi êtes-vous là étant donné votre esprit frondeur bien connu ? Quant à vous, princesse, surtout compte tenu de ce que vous devez endurer, pourquoi ne pas rester auprès de vos enfants ?
— Pour qu’ils conservent une mère si leur père est en danger..., fit-elle amèrement.
Mme de Sommières ne lui laissa pas le temps de continuer :
— Ne la tarabustez pas, mon cher Langlois ! Elle a besoin de vous tout autant que nous, car vous ignorez – je ne vois pas d’ailleurs comment vous auriez pu l’apprendre – que l’on a retrouvé Adalbert ?
— Quoi ? Et seulement lui ?
— Seulement lui ! – pardon, Lisa ! Et il n’en sait pas plus que nous sur ce qu’a pu devenir Aldo !
Naturellement, ce fut Marie-Angéline qui assuma le récit. Langlois l’écouta sans l’interrompre, même par une exclamation, mais les sourcils durement froncés, il était évident qu’il dominait sa colère.
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