— Le portrait ! Ce serait peut-être le moment de l’emporter ?
— Encore un portrait ? Lequel ? s’étonna Plan-Crépin...
— Vous verrez bien. C’est moi qui l’ai caché au-dessus du dais. C’est assez facile en grimpant sur cette colonne, ajouta-t-il en désignant l’une de celles du fond de lit qui était plus solide que les autres. De fait, Peter le récupéra sans peine, mais on ne prit pas le temps de le déballer. Il s’agissait de fuir au plus vite...
Trois minutes après, Finch reparaissait, sans que l’on ait perçu le moindre vrombissement de moteur. Pourtant, la somptueuse voiture attendait, abritée derrière le cottage. En dépit de son triste état, Adalbert réussit à sourire :
— Vous avez des outils d’évasion nettement supérieurs à la normale ! admira-t-il tandis qu’on l’étendait sur les coussins soyeux de la banquette arrière, la tête sur les genoux de Marie-Angéline, pendant que Peter, après s’être courtoisement présenté, s’installait à la place du chauffeur.
— Quand on est duc on n’a pas beaucoup de choix ! Noblesse oblige, mais il est vrai que « sir Henry8 » est le plus silencieux du monde. Dans certains cas, c’est un gros avantage...
— Et lui, il rentre comment ? fit-il en désignant Finch qui s’éloignait.
— Avec une de nos voitures de service...
Adalbert eut une pensée tendre pour sa chère petite Amilcar rouge vif qui faisait tant de barouf, qui déménageait à une telle vitesse, puis tout se brouilla et il s’évanouit...
— Il est mal ! s’affola Marie-Angéline.
— Vous avez devant vous quelque chose qui devrait le remonter ! conseilla Peter, faisant allusion au petit bar portatif dont elle se hâta de déboucher l’un des flacons de cristal en se demandant comment allait réagir un estomac vraisemblablement vide.
Le malade recouvra néanmoins un semblant de couleur.
— Aldo..., souffla-t-il. Où est Aldo ?
Plan-Crépin n’osa pas répondre. Elle était si contente d’avoir retrouvé Adalbert qu’elle l’avait éloigné de sa pensée, craignant sans doute d’entendre le pire.
— On aurait peut-être dû regarder sous l’autre lit ? Qu’est-ce que c’était que ce cachot souterrain ?
— On appelle ça un « trou de curé », répondit Peter. Cela servait à cacher les prêtres catholiques sous Henry VIII et les protestants sous Marie Tudor, et je ne sais trop qui sous Elizabeth. En tout cas, ajouta-t-il après un instant de réflexion, cela veut dire que ce cottage-là est d’époque. Il a dû plus ou moins servir de modèle pour les autres, plus grands.
— Si on veut ! Il n’y en a qu’un autre de la même taille. On aurait peut-être dû y aller ?
— Je vous ferai remarquer, chère mademoiselle, que celui-là vous a pour ainsi dire inspirée. L’autre en a-t-il fait autant ?
— Non, non, c’est vrai.
— De toute façon, rassurez-vous ! J’ai bien l’intention d’y retourner avec Finch. Vous n’aurez qu’à me prêter vos jolis outils ?
— Je pourrai peut-être même vous accompagner... au cas où les esprits seraient plus bavards ?
— On en parlera demain. Pour l’instant, il faut emmener celui-là chez moi le plus rapidement possible... Finch a quelques talents dans l’art de retaper les gens !
Trois quarts d’heure plus tard, sommairement récuré et couché dans un lit confortable, Adalbert recevait les soins suffisamment éclairés de Finch pour ne pas être obligé de faire appel à un médecin. Il souffrait surtout de malnutrition et d’un refroidissement assez sérieux. Pendant ce temps, l’Honorable Peter appelait au téléphone lady Clementine et Mme de Sommières, celle-ci à demi-morte d’angoisse, pour la prévenir que Plan-Crépin passerait la nuit flanquée d’une chambrière dans son vaste appartement. La nuit était déjà trop avancée pour la ramener jusqu’à Chartwell mais il dut lui raconter leur équipée sans rien en omettre.
Naturellement, la vieille dame apprit avec joie le sauvetage d’Adalbert, mais l’inquiétude étranglait à nouveau sa voix quand elle murmura :
— Et Aldo ?
— Aucune trace. Les deux hommes se sont endormis à peu près en même temps. Sans doute drogués !
— Lorsque... Adalbert s’est... réveillé, il était là où on l’a trouvé. Quant au prince, personne ne sait où il est passé.
Le cœur de Tante Amélie se serra. Elle était heureuse bien sûr que l’on ait récupéré le cher Adalbert, mais Aldo était l’enfant chéri de sa vieillesse et elle repoussait désespérément l’idée d’une existence – même une fin ! – où elle ne verrait plus son sourire insolent, où elle n’entendrait plus sa voix chaude, où il ne la prendrait plus dans ses bras pour lui dire qu’il l’aimait, où ses colères qui faisaient virer au vert ses yeux gris-bleu ne feraient plus s’entrechoquer les pendeloques des lustres et amusaient tellement Plan-Crépin. Que dire de Plan-Crépin à laquelle elle osait à peine penser, s’il était mort ?
La brutalité du mot la fit réagir, bien que ce fût à envisager. Le pire serait ce déshonneur comme une tache de sang sur son nom illustre.
Au bout du fil, Plan-Crépin ressentit ce qu’elle éprouvait :
— Nous ne devons pas désespérer, dit-elle. Je ne sais quel but poursuivent ses ennemis, mais pourquoi retenir Adalbert s’il a lui-même complètement disparu, quand le plus expéditif était de les envoyer au fond de l’eau tous les deux ? Une monnaie d’échange ?
— Une monnaie d’échange qui n’avait peut-être plus longtemps à conserver sa valeur si j’en crois sir Peter ?
— Sans doute, mais cela ne change pas mon point de vue...
Ce fut aussi celui de lady Clementine. Mariée à un homme dont le grade de colonel cachait des activités beaucoup plus secrètes, attaché au Foreign Office, elle l’avait souvent vu partir, sous couverture, pour une destination inconnue sans oser se demander si elle le reverrait...
— Il ne faut jamais désespérer, mon amie ! Jamais ! assura-t-elle. Vous allez dire que je suis superstitieuse, mais je suis persuadée que cela attire le mauvais sort ! En attendant, nous irons voir notre rescapé demain...
Pourtant Mme de Sommières n’avait pas terminé :
— Ce que je ne parviens pas à comprendre, c’est le rôle que joue la famille Astor dans tout cela. À l’exception de la folle, ce sont tous des gens très bien. Comment de telles vilenies peuvent-elles se produire chez eux, sans qu’ils semblent en avoir la moindre idée ?
— C’est plus qu’une famille : c’est une dynastie, servie par un nombre tellement important de serviteurs qu’il est à peu près impossible qu’une ou plusieurs brebis galeuses ne s’y mélangent pas. Vous avez vu cette réception, ce faste digne des Mille et Une Nuits ? Comment voulez-vous qu’un tel flot de richesses n’éveille pas les pires instincts, et cela même chez ceux dont on pourrait supposer que leur fortune les met à l’abri des tentations ?
— Je voudrais le voir. Cela vous ennuierait si je venais demain ? demanda-t-elle à Peter.
Sans s’encombrer de politesse superflue il répondit :
— Excusez-moi, mais oui ! Il vaut mieux que nous n’entretenions pas aux yeux de tous la très respectueuse mais très réelle amitié que je vous porte, et tant qu’on n’aura pas réussi à découvrir qui, dans la tribu Astor, mène le jeu de cette horrible affaire. Mais je vous propose de nous retrouver demain chez Mary Windfield à l’heure du thé avec lady Clementine. Là, rien que de très normal, et Marie-Ange s’y rendra...
— Marie-Angéline ?
— J’ai raccourci. Ces noms français sont si compliqués ! Donc je disais qu’elle s’y rendra seule, en taxi par exemple. On vous racontera en détail et j’ai une trouvaille à vous montrer !
— Entendu ! (Puis elle ajouta par habitude :) Embrassez Adalbert !
— Non ! protesta-t-il, si indigné qu’il en bredouilla : je n’ai jamais embrassé un homme ! Seule l’accolade est convenable !
— Mille excuses ! fit-elle sans pouvoir s’empêcher de rire. Oubliez ça ! Je m’en chargerai moi-même...
À Rudolfskrone, après plusieurs jours d’anxiété, Mme von Adlerstein venait de recevoir une lettre d’une de ses nombreuses relations viennoises – son courrier était toujours abondant ! –, provenant en réalité de Birchauer, le fidèle secrétaire étant prêt à recourir à tous les moyens pour se faire pardonner l’énorme bourde commise en traitant le vol du Sancy comme une douteuse plaisanterie anglaise. Cette fois, il en disait un peu plus mais pas encore assez pour être rassurant.
Selon lui, Kledermann avait quitté Manaus avec deux pirogues pour remonter le cours de l’Amazone sans, bien sûr, préciser jusqu’où, ce qui, au fond, n’avait guère d’importance étant donné l’immensité du fleuve. Apparemment, le dernier message codé de son secrétaire ne l’avait pas atteint. Ce qui exaspéra la vieille dame :
— Chercher trois émeraudes dans la forêt vierge la plus dangereuse du monde, il faut vraiment qu’il ait perdu la tête ! Mais qu’est-ce qu’elles ont, ces fichues pierres ?
— Pour ce que j’en sais, elles pourraient être les plus grosses que l’on connaisse. Et nous, nous devons rester là à attendre que les Anglais aient mis la main sur Aldo et l’expédient en prison pour des années. Le scandale continue là-bas, si j’en crois les journaux que nous nous procurons...
L’affaire Morosini tenait en effet toujours la vedette. La seule consolation étant que le public, lui, était partagé. Il y avait les « pour » et les « contre », ceux qui connaissaient sa réputation et refusaient d’ajouter foi à une accusation que l’on jugeait grotesque.
Lisa, elle, ne décolérait pas :
— Si on l’arrête, j’étranglerai cette Ava de mes propres mains !
— Et tu te retrouveras en prison, pas la même sans doute, et en grand danger d’être pendue ! Bel héritage pour les enfants... Ce qui m’étonne, c’est que nous n’ayons pas de nouvelles de ce policier français qui est votre ami ? Et pas davantage d’Amélie de Sommières.
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