Le château lui aussi avait revêtu ses atours de fête. Il y avait des fleurs partout, et les coins sombres, obligatoires dans une demeure de cette époque, étaient illuminés par des chandeliers portant de longues bougies azurées, la couleur des invités princiers. Le coup d’œil était féerique et Astor arborait un large sourire tant que l’on parcourait les salons où, la veille même, Mary Windfield avait fait accrocher le portrait de Nancy au beau milieu du plus grand.
— Magistral ! admira le nabab qui, sans laisser à Mary le temps de rougir, enchaîna : Et quel merveilleux diamant ! C’est le grand Sancy, je pense ?
— Votre Grandeur qui en arbore de si belles connaît nos pierres occidentales ? s’étonna Astor.
— Évidemment ! La plupart ne viennent-elles pas de chez vous, avant que l’on ne découvre les gisements d’Afrique du Sud ? Bien qu’il ne soit pas énorme, j’aime particulièrement celui-ci ! Et je pourrai, j’espère, l’admirer !
C’est là que la scène tourna au burlesque :
Comme tous les Astor présents à Londres, il y avait naturellement Ava. D’ailleurs, ne l’eût-on pas invitée qu’elle serait venue et, bien sûr, elle ne rata pas une si belle occasion de se manifester :
— Le malheur est qu’il n’est plus possible de l’offrir à l’admiration de Votre Grandeur. Il y a peu, le prince Morosini est venu se faire inviter ici et il est parti en l’emportant !
— Il l’a acheté ?
— Non. Il l’a volé !
Le nabab eut un haut-le-corps :
— Vous plaisantez, madame, je suppose ?
— Pas le moins du monde. Je lui avais commandé un diamant célèbre. Il a trouvé celui-là et il l’a pris, seulement il a préféré le garder pour lui...
— C’est impossible, voyons ! J’ai fait la connaissance du prince aux fêtes de Kapurthala dont le maharadjah est son ami, il y a quelques années, et je l’apprécie vivement. Une pareille accusation sur un tel homme est pure folie. Personne ne peut croire cela !
— Pourtant on le recherche, mais il doit se cacher...
— Voilà ! Ça recommence ! claironna la voix de l’Honorable Peter. Ce que cette brave dame oublie de dire, c’est qu’elle est allée droit chez lui pour se le faire remettre quand elle a appris le vol. On aurait pu l’arrêter pour recel...
— Et si nous laissions de côté cette triste affaire ? proposa Nancy. Rien ne doit gâcher notre joie de recevoir des hôtes aussi illustres. Passons à table, après quoi nous vous présenterons nos jardins...
Quand on y descendit, Peter coinça son ennemie entre deux orangers fleuris :
— Vous, la prochaine fois que vous recommencez ce numéro, menaça-t-il en pointant un doigt autoritaire sur son estomac, je vous dénonce comme commanditaire avec faux témoins tout le diable et son train, et on verra comment vous vous tirerez de là !
Envahis par une foule chatoyante, les jardins donnaient une impression de féerie. Les maîtres d’hôtel – les seuls en habits noir – et les « servantes » en costumes sillonnaient la masse des invités et veillaient à ce que nul ne manque de quoi que ce soit, aussi bien liquide que solide. Peter, tout en bavardant avec l’un ou l’autre, gardait un œil sur Marie-Angéline qu’il vit soudain s’arrêter auprès d’un petit cottage au toit crêté d’iris sous le prétexte d’ôter un caillou de son soulier et le regarder attentivement. Il la rejoignit aussitôt :
— Je jurerais que c’est ce que nous cherchons, souffla-t-elle.
— Qu’est-ce qui vous le dit ?
— Je ne sais pas, c’est imprécis. C’est comme une voix intérieure... Il se peut que je me trompe.
— Mes voix intérieures me disent à moi que vous pourriez avoir raison. Reste à savoir si la porte est fermée à clé...
— C’est sans importance, je sais ouvrir une porte close.
Elle devait en effet à Adalbert quelques utiles leçons de serrurerie, plus un petit matériel de poche bien pratique.
— Parfait ! Quand il fera nuit, débarrassez-vous de cette défroque encombrante, et allez vous cacher où vous pourrez. Sous un lit, par exemple. Moi, je vais prévenir Finch.
Celui-ci avait mis à profit le lunch et la visite intérieure du château pour en explorer à peu près tout le rez-de-chaussée et même une ou deux chambres, sans grand espoir d’ailleurs, les Astor ne pouvant en aucune manière se trouver mêlés à une histoire sordide. On ne pouvait guère leur reprocher leur passion des fantômes et l’espèce de religion qu’ils leur vouaient. Évidemment, ils avaient commis une erreur monumentale en prenant un parfait inconnu pour Aldo, mais comment le leur reprocher ? Le coup avait été préparé de main de maître !
Finch reçut l’ordre de rejoindre le cottage qu’on lui indiqua, mais auparavant d’approcher le plus près que possible, et dans le coin le plus discret, la voiture avec laquelle il avait amené Plan-Crépin. Il ne restait plus qu’à attendre le départ à la nuit des invités.
Par chance, il n’y avait pas de lune sinon un infime croissant qui éclairait chichement, mais le cœur de Marie-Angéline ne lui battait pas moins fort quand, après s’être assurée qu’elle était seule – le cottage était l’un des plus éloignés du château –, elle se débarrassa au bénéfice d’un épais buisson de rhododendrons de ses atours Tudor dont l’ampleur lui avait permis de dissimuler une jupe et un pull-over gris foncé, puis, armée d’une pochette contenant le cadeau d’Adalbert et une discrète lampe de poche, elle s’approcha de la porte qui, en dépit de ses ferrures Renaissance, ne lui opposa pas de difficultés.
Elle entra, tira les rideaux et alluma, ce qui lui permit de découvrir l’intérieur tel qu’il était apparu aux deux faux cinéastes : une pièce commune, une cuisine et deux chambres pourvues d’imposants lits à colonnes. Le tout dans un ordre parfait. Le feu était prêt à être allumé et il y avait des victuailles de base dans la cuisine, plus du whisky et du cognac dont elle s’adjugea une lampée afin de se remettre les idées en place.
Elle avait la bizarre impression que la maison avait un secret à lui révéler. C’était comme une présence invisible et pourtant certaine. Mais venue d’où ? Il n’y avait strictement rien qui puisse servir de cachette. Cependant, entendant des pas au-dehors, elle se glissa vivement sous l’un des lits à colonnes sous lesquels il y avait largement la place pour se cacher.
— Vous êtes là, mademoiselle ? En tout cas, beau travail pour l’ouverture.
Elle rampa sur les coudes pour sortir sa tête au moment même où Finch effectuait son entrée à son tour derrière Peter.
— Vous avez trouvé quelque chose ?
— Absolument rien, mais je viens juste d’arriver. Je suppose que tout le monde est parti ?
— Même moi. Je suis allé chercher la voiture de mon père pour la garer dans le coin où Finch a rangé la sienne. Il le fallait, sinon elle serait restée seule et on se serait posé des questions...
Angelina tendit l’oreille.
— Qu’entendez-vous ? s’étonna Peter.
— Je peux me tromper mais il me semble... cela pourrait être un chat ? Pourtant...
— Laissez-moi la place que j’écoute !
Pour se sortir de sa posture inconfortable, elle agrippa une des feuilles d’acanthe qui ornaient les bases des colonnes. À sa surprise celle-ci s’abaissa jusqu’à venir toucher le parquet. Avec un craquement léger les planches s’écartèrent, révélant un trou noir qui s’enfonçait dans le sol. Armé de sa propre lampe électrique, Peter était déjà à plat ventre près de l’ouverture :
— Il y a des marches, il faut voir ça de plus près.
La lampe éclaira en effet quelques degrés de pierre allant au fond d’un trou noir qui semblait plonger à environ trois mètres et rejoignaient un sol en terre battue. Une odeur pénible s’en échappait :
— Je m’en charge, dit Finch en enjambant son maître, et il commença à descendre.
Il eut une exclamation :
— Votre Seigneurie, il y a là un homme... et qui n’a pas l’air en bon état...
Peter s’engouffra dans l’ouverture plus qu’il n’y descendit, suivi de Marie-Angéline qui eut une exclamation d’horreur en reconnaissant Adalbert. En si triste état d’ailleurs qu’un instant elle le crut mort et se jeta à genoux auprès de lui.
Étendu sur un banc de pierre couvert d’un grabat et d’une couverture mitée, il était attaché au mur par une chaîne retenue à l’une de ses chevilles et juste assez longue pour lui permettre d’atteindre une sorte de cabinet d’aisances en planches disposé dans un angle, et une écuelle contenant les restes d’une ragougnasse indéfinissable qu’on devait pousser vers lui et à laquelle il n’avait pas dû beaucoup toucher, par faiblesse sans doute. Ses barbe et moustache postiches avaient disparu et ses cheveux emmêlés étaient devenus bicolores : blond sale à la racine sous ce qui ressemblait à une touffe épaisse d’herbe rouge. Pire encore, il tremblait de fièvre. Pourtant, il tourna la tête vers Marie-Angéline et la reconnut :
— Plan-Crépin ? Je rêve.
— J’appellerais ça plutôt un cauchemar... il faut le sortir de là, mais comment avec cette chaîne... Je crains que mes petits outils...
— Laissez-moi faire ! dit Peter.
Il enleva la couverture, la déchira en deux, en fit un boudin dans lequel il enroula son poing armé d’un revolver, coinça l’attache murale de la chaîne, tendit la main et tira, obtenant ainsi une détonation à peine plus forte qu’un bouchon de champagne. La chaîne se décrocha...
— Pour le reste, on s’en occupera à la maison ! Maintenant, il faut l’emmener. On va d’abord le remonter, puis vous filez chercher la Rolls, Finch, et la garez le plus près possible. Pensez-vous pouvoir marcher un peu ? demanda-t-il à Adalbert.
— Avec de l’aide, je pense...
On réussit à le remonter et on l’assit sur le lit à la trappe refermée. Adalbert leva alors la tête vers le plafond...
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