— Mais elle a, paraît-il, une foule de talents et une idée fixe implantée dans la tête : visiter le cottage d’où les faux cinéastes ont disparu. Elle prétend que la clé de l’énigme est dissimulée à cet endroit. C’est son... nez qui le lui fait sentir !
— Oh, alors ! émit Finch, impressionné. Si c’est son nez... vu sa taille !
— Ne riez pas. D’après notre grand peintre, elle serait même quelque peu médium ! Dans un château bourré de fantômes, cela pourrait être utile !
— Et... nous pensons qu’elle va accepter ?
— Elle ne demandera que cela. C’est de Mme de Sommières que pourraient venir les objections, puisqu’elle y tient comme à la prunelle de ses yeux. Cette histoire de médium lui déplaît et Mlle du... Plan-Crépin, compléta Peter qui avait fini par enregistrer, elle-même n’ose pas trop insister là-dessus. Elle est, paraît-il, très pieuse et il lui manque quelque chose si elle ne va pas à la messe tous les matins !
— Alors disons qu’elle a de la chance. Nous avons une petite communauté catholique près de Chartwell...
Brusquement debout, Sa Seigneurie leva les bras au ciel en clamant :
— Un médium, et qui a de la chance ? Et vous voudriez que je rate ce phénomène. Mais elle est passionnante, cette papiste !
8
Plan-Crépin et les esprits
— Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire de médium ? s’indigna Mme de Sommières. Vous, une chrétienne fervente, voilà que vous vous lancez dans l’extraterrestre ?
— Cela ne change rien à mes convictions profondes, mais depuis peu je fais... des rêves au cours desquels je suis dans un monde bizarre, j’entends des voix qui appellent à l’aide avec même de brèves visions...
— De quoi ?
— De vieilles maisons qui ressemblent à des décors de théâtre, et il ressort de tout cela une infinie impression de tristesse.
— Et vous allez le raconter à Mary Windfield ? Pourquoi pas à moi ? Je suis trop bête... ou trop vieille ? Il est vrai qu’il ne me reste peut-être plus très longtemps avant de rejoindre le joyeux monde des fantômes.
— Oh ! Ce n’est pas cela du tout ! Je craignais que nous ne nous moquions de moi. Il nous arrive d’avoir parfois la dent dure...
La marquise haussa furieusement les épaules et darda sur son « fidèle bedeau » un regard vert n’évoquant en rien les décrépitudes de l’âge :
— Alors, pourquoi Mary ?
— Mais parce qu’elle croit que l’on peut capter sans le moindre avertissement des signaux étranges, venus on ne sait d’où. Elle en a perçu une ou deux fois pendant son travail.
— C’est ce qui pourrait s’appeler la peinture extralucide ! Allons, ne faites pas cette tête ! Après tout, pourquoi pas, à condition que vous ne vous preniez pas pour Jeanne d’Arc ! Et elles vous disent quoi, vos voix ?
— Pas grand-chose ! Surtout un nom : Hever...
— Dans l’état d’angoisse où nous vivons, ce n’est pas surprenant puisqu’il semblerait que les garçons soient partis de là... et en oubliant leur voiture !
La réponse vint de la porte. Le valet de pied avait eu juste le temps d’annoncer l’Honorable Peter Wolsey et c’est lui qui s’en chargeait en saluant avec toute la grâce dont il était capable :
— Il était impossible de la reprendre sans ameuter la domesticité. Veuillez m’excuser de survenir aussi impromptu mais la chance semble nous sourire et nous allons pouvoir passer une journée entière là-bas en belle et fort nombreuse compagnie. J’ose espérer que vous y assisterez, mesdames, ainsi que lady Sargent bien sûr, mais auparavant c’est pour vous demander une grâce particulière que j’ose me présenter ce matin à une heure incongrue pour les visites.
— Vous avez très certainement une excellente raison ? sourit la marquise.
— La meilleure. Je voudrais faire appel au concours de Mademoiselle. D’après lady Mary, elle serait douée de talents...
— N’allez pas plus loin, je suis au courant et j’accepterais l’aide d’un quarteron de sorcières ! Je vous la confie donc, mais prenez-en soin. Il se trouve que j’y tiens.
Le soleil ayant consenti à se montrer éclairant, un jeune printemps plein de bonne volonté qui avait fait éclore – ou plutôt planter dans la nuit ! – une quantité de fleurs, la grâce sévère d’Hever Castle et ses parterres offraient une image vraiment radieuse. Appuyés aux vieux murs, des massifs de rhododendrons et d’azalées dans les tons d’aurore adoucis composaient avec eux une symphonie sur laquelle pennons et bannières armoriées dansaient au gré du vent matinal, tandis qu’à l’intérieur les plus beaux vases débordaient de corolles.
Une armée de serviteurs en costumes d’époque attendaient l’arme au pied et, bien qu’il ait fait de son mieux pour éviter cette « corvée », lord Astor ne pouvait retenir un sourire satisfait tant le coup d’œil était magique. Et que dire quand les princes orientaux eurent fait leur apparition avec leur suite : on crut plonger dans les Mille et Une Nuits !
D’abord ils étaient beaux tous les deux et d’une extrême élégance. Lui, proche de la cinquantaine dénoncée par une fine moustache grise, avait un visage étroit aux traits réguliers qu’éclairait quand il le voulait un charmant sourire. Sa poitrine aurait pu rivaliser avec la vitrine d’un joaillier de la place Vendôme, à ceci près qu’il ne portait que des rubis et des diamants, mais quels rubis et quels diamants ! Le plus gros des premiers, posé sur un turban au milieu du front, devait atteindre facilement les 80 carats – plus les diamants qui l’entouraient, et le plumet d’aigrettes qui en jaillissait, de minces tiges, supportaient, comme un bouquet épanoui en éventail, d’autres pierres beaucoup plus petites...
Quant à elle, l’Anglaise, née Linda Syce, elle était sans doute l’une des plus jolies femmes que l’on puisse voir et faisait honneur au goût de son époux. Brune, pas grande mais faite au tour, la peau soyeuse de son ravissant visage mettait en valeur les immenses yeux sombres et veloutés, un petit nez et des lèvres si roses qu’un maquillage quelconque eût été superflu. Drapée de bleu argent comme son mari, elle portait des bijoux magnifiques quoique différents : trois seulement mais combien séduisants : un collier, un seul bracelet et un diadème composé de pierres de toutes les couleurs, rubis, saphirs, émeraudes et, bien sûr, diamants, toutes petites pierres qui, naturellement, n’étaient pas aussi importantes que celles du nabab. Si ce n’est peut-être le diamant qui étincelait, solitaire, sur sa main gauche. Les couleurs de leur suite se mariaient à merveille avec celles que portait le couple...
— On a de la chance, chuchota Peter à Mary qui, armée d’un bloc de papier lavis, crayonnait avec ardeur, s’en remettant à sa mémoire infaillible pour retrouver les bons coloris. D’habitude, les nobles visiteurs qui viennent de là-bas sont gras, huileux, voire obèses et portent des joyaux de contes de fées qui auraient un urgent besoin d’aller faire un tour chez le teinturier...
— N’exagérons pas ! répondit la jeune femme qui savait de quoi elle parlait. Vous oubliez le parfait gentleman qu’est Kapurthala, le fabuleux Patiala, l’homme aux émeraudes, Bikaner ou le nizam d’Hyderabad. En tout cas, ceux-là sont parfaits !
— Juste ce qu’il nous fallait ! Ils concentrent toutes les attentions et on ne fera pas attention à nous.
— D’autant qu’on a eu la bonne idée de nous déléguer les Kent et même le prince Philip ! Dire que c’est avec les Grecs que l’on fait les plus beaux Anglais !
L’époux de la future reine et sa belle-sœur attiraient tout autant les regards que les seigneurs exotiques, et plus d’une Anglaise sur deux sentait son cœur s’accélérer quand paraissait la haute et élégante silhouette du duc d’Edimbourg dans son uniforme d’officier de marine, de même que la grâce, le sourire et la parfaite élégance de la princesse Marina.
— Bon ! conclut Sa Seigneurie, il y a un monde fou et ils ont tous suffisamment à regarder pour ne pas s’occuper de nous !
— Je ne vous ai pas vu arriver. Comment avez-vous disposé vos troupes ?
— La Rolls paternelle a amené Mme de Sommières, lady Sargent et ma mère. Moi, j’ai pris – et je conduis – celle de mon père...
— Le duc ne vient pas ? C’est à peine croyable ?
— On ne fait pas toujours ce que l’on veut, ma chère Mary. Sa Grâce s’est réveillée avec une fluxion dentaire qui a doublé le volume de sa joue gauche. Conclusion, le dentiste, et naturellement il est au désespoir, mais j’avoue que je ne suis pas mécontent...
— Vous n’avez pas honte ?
— Pas du tout ! Il a certaines tendances à m’observer qui pourraient se révéler gênantes. Enfin, Finch a pris l’une des voitures passe-partout du garage pour rejoindre son poste avec Mlle du Plan-Crépin !
— Bravo ! applaudit Mary, vous avez réussi à vous mettre son nom dans la tête. On peut dire que cela n’a pas été sans mal ! Et où est Finch maintenant ?
— Il a dû se garer dans un coin tranquille et plutôt discret qu’il a repéré, avant de déposer sa passagère pour qu’elle sache où est la voiture, et à présent ils ont dû rejoindre le gros de la troupe pour s’affubler en domestiques Tudor pur jus !
— Telle que je la connais, Marie-Angéline doit être ravie ! Elle adore se déguiser...
— Moi aussi, mais cela dépend des circonstances. En arrivant tout à l’heure, je ne me sentais pas vraiment à mon aise...
— Toujours vos prémonitions ?
— Oui. J’ai très mal dormi cette nuit ! Quant à vous, êtes-vous certain de retrouver le cottage où on les avait logés ? Ils se ressemblent un peu trop !
— Tout ce que je sais, c’est que c’est l’un des plus exigus... En attendant, suivons la foule ! C’est l’heure des discours, je présume...
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