Or, quand il revint, il rayonnait positivement !
Il s’était passé ceci. Sir Archibald était peut-être un pompeux imbécile, mais il lui arrivait, parfois, d’avoir une bonne idée. Cette fois, c’était la visite prochaine d’un de ces princes indiens dont les fastes et les trésors ont fait rêver des générations et en feront rêver encore pendant pas mal de temps.
Celui-là, Ameer Sadiq Muhammad Khan V Abassi, nabab de Bahawalpur, régnait sur un État de 24 000 kilomètres carrés à l’extrême nord de l’Inde, étiré le long de l’Indus et proche voisin de Bikamer, Jaisalmer, etc. ! Ce n’était pas la plus vaste des principautés, mais pas la plus pauvre non plus. Follement riche, passionné de pierres précieuses et de femmes, il venait d’épouser une Anglaise et avait décidé de suivre les conseils de sir Archibald en étalant sous les yeux éblouis de ses anciens compatriotes les fastes et les joyaux dont il parait sa Linda qui, très belle, les portait avec une élégante désinvolture. Il désirait offrir quelques nouveaux bijoux – on passerait bien sûr par Paris au retour ! –, et démontrer clairement que ces « sauvages » d’Indiens savaient vivre mieux que le reste de la planète.
Or ce que la belle dame préférait encore aux pierreries, c’étaient les jardins. Elle veillait attentivement sur ceux de ses palais mais soutenait mordicus que les jardins anglais étaient les plus beaux du monde. Et entendait le prouver à son époux.
On devine l’effet produit sur Peter quand on mentionna cela devant lui.
— Père, s’était-il écrié à la stupeur générale, car la plupart du temps il s’ennuyait tellement que l’on ne l’entendait pas. Permettez-moi une proposition : cette dame a cent fois raison et si, pour la diversité comme pour l’éclat, nos jardins sont uniques au monde, conseillez-lui la visite de ceux d’Hever Castle, que lady Astor vient de faire replanter entièrement et qui sont de pur style Tudor ! En ce qui me concerne, je les préfère à ceux d’Hampton Court !
— Je ne sais pas si lord Astor y consentira, il est..., commença quelqu’un.
— Il est anglais, monsieur, et ne saurait refuser si l’ordre vient du roi. Cela pourrait être l’occasion d’une vraie fête...
Du coup, chacun y avait mis son grain de sel mais la victoire était restée à Peter, à la grande surprise de son père :
— Qu’est-ce qui vous a pris ? Vous aimez tant que ça les Astor, ces moitiés d’Anglais ?
— Non, mais j’aime infiniment leur château, si incroyablement évocateur du faste des Tudors.
Il était si content qu’en dépit de l’heure tardive il ne résista pas à l’envie de téléphoner à Mary que, bien sûr, il réveilla et qui, bien sûr, avait horreur de ça :
— Vous ne pouviez pas attendre demain matin ?
— Non, parce qu’il va falloir tout préparer très vite. Muhammad Khan est pressé et je me demandais si on ne pourrait pas conjuguer la remise du portrait et la visite des jardins ? Une grande manifestation avec beaucoup de monde !
— Pourquoi pas ? Mais qu’est-ce que vous concoctez encore ?
— Ce n’est pas encore clair dans mon esprit, mais je sais que cela va venir !
Parti de la sorte, Peter ne fut même pas effleuré par l’idée d’aller se coucher. Il savait qu’il ne fermerait pas l’œil, alors les deux ! Après avoir revêtu une douillette robe de chambre car ce petit printemps était frais, il partit s’établir dans sa bibliothèque où battait le cœur de son vaste appartement. C’était la plus belle pièce dont les fenêtres habillées de velours vert sombre donnaient sur les frondaisons de Hyde Park. Meublée dans le style Regency – d’époque ! –, à l’exception d’un vaste et confortable canapé où le seigneur des lieux réfugiait ses méditations et quelques petits sommes par-ci par-là, elle était entièrement tapissée de livres reliés de cuir havane dans lequel les fers à dorer du relieur avaient imprimé les armes des ducs de Cartland ou des précédents propriétaires de ces volumes, anciens pour la plupart... Quant aux plus vénérables, ceux qui avaient bénéficié dans les premiers de la trouvaille de Gutenberg, ils se cachaient dans un coffre dissimulé derrière le portrait d’un ancêtre portant perruque poudrée, personnage sans grand intérêt d’ailleurs, qui se trouvait là parce que les couleurs dont l’avaient nanti le peintre s’harmonisaient avec le reste du décor !
La pièce était pour ainsi dire sacrée, seul Finch y avait droit de cité à l’exception du plumeau délicat d’une femme de ménage qui, née bien avant Sa Seigneurie sur les terres familiales, en prenait un soin infini.
Avant d’aller s’asseoir à son bureau pour y allumer un majestueux cigare, Peter commença par vérifier le niveau du whisky contenu dans le flacon de cristal posé parmi quelques verres sur une table basse.
— Nous avons à travailler, mais ce sera assez pour ce soir, dit-il à Finch qui partageait en général ces veillées studieuses parfois jusqu’à l’aurore.
Comme son maître, il n’éprouvait pas la nécessité de longs sommeils, estimant non sans raison que son travail auprès de Sa Seigneurie n’avait rien d’épuisant sauf dans des cas rarissimes, et que son cerveau fonctionnait beaucoup mieux à l’état de veille qu’installé sur le plus moelleux des oreillers.
Durant le trajet de retour, Peter l’avait mis au courant de ce qu’il n’hésitait pas à appeler son exploit, et en vérité c’en était un, le seul problème étant qu’avant la réalisation de ce projet on n’avait guère de temps devant soi, les invités d’honneur ayant déclaré qu’ils n’avaient pas prévu de s’attarder longtemps en Angleterre.
— De toute façon et même si la Cour n’est pas au complet, ça devrait faire pas mal de monde. À Hever, il va leur falloir du personnel en supplément...
— Ils peuvent en faire venir de Cliveden ? observa Finch. Non, parce que Leurs Altesses s’y rendront aussi. Il ne s’agit pas d’offenser la branche aînée des Astor qui est susceptible au possible. Le roi et la reine ne vont tout de même pas y aller ?
— Ça se pourrait. Muhammad ne manque pas d’influence dans son pays et il s’agit en priorité de lui faire plaisir mais, tout à l’heure, en passant derrière une colonne, j’ai entendu que Sa Grandeur, ou Dieu sait comment il faut l’appeler, serait extrêmement sensible à la présence du duc et de la duchesse de Kent !
— Tiens donc ! Il y a une raison ?
— Elle crève les yeux, votre raison. Il est vrai que les femmes ne vous intéressent guère, mais elles intéressent Muhammad presque autant que les pierreries. Et qui est la plus jolie femme de la famille royale mais aussi de la Cour, sinon la princesse Marina, duchesse de Kent ? Qu’elle préside la fête d’Hever et notre homme sera aux anges !
— Encore faudra-t-il être sûr que ce sera elle ?
— Ça je vais en charger ma mère. Comme elle dit volontiers n’importe quoi, elle amuse la reine qui l’écoute d’une oreille indulgente, ne fût-ce que pour embêter les nombreuses pimbêches qui encombrent le palais. En outre, le côté exotique de la proposition devrait séduire Sa Gracieuse Altesse.
— Et si le nabab en tombait amoureux ?
— Et si, et si ! s’emporta Peter. On est là pour parler de choses sérieuses, mon petit Finch, non pour faire du roman ! Quoi qu’il en soit, je suis sûr qu’il y aura affluence, parce que les vitrines ambulantes que sont ces princes, nababs ou maharadjahs font toujours recette... au cas, je suppose, où ils laisseraient tomber par inadvertance l’une ou l’autre de leurs babioles scintillantes. Donc, Hever va devoir embaucher du personnel supplémentaire. Sauriez-vous à qui on s’adresse en ces cas-là ?
— Mason et Crumble ! Ils ne présentent que des gens de tout premier ordre.
— Cela signifie que je vais devoir m’en occuper personnellement... avec peut-être l’assistance de ma mère. Dame ! Elle est duchesse ! Pas moi !
— Si je peux me permettre, Votre Seigneurie – quels que soient ses plans ! – a-t-elle pensé que la police elle aussi va faire du zèle et grossir ses effectifs ? D’autant qu’il s’agit d’Hever Castle d’où le Sancy ne s’est pas envolé depuis si longtemps !
— Si vous croyez que je n’y pense pas ! soupira Sa Seigneurie après avoir avalé d’un trait ce qu’il restait dans son verre. On a même une forte chance – si l’on peut dire ! – de voir débarquer l’affreux Adam Mitchell ! D’abord il est du coin, et c’est son terrain de chasse préféré !
— Comment a-t-on pu l’installer au poste du grand Warren ?
— Remarquez, ce n’est pas un mauvais policier, loin de là, mais on aurait pu trouver mieux, et cela ne lui a pas fait que des amis avec son foutu caractère. On le dit protégé par la Chancellerie, mais nombreux sont ceux qui espèrent que le grand chef sera bientôt tiré d’affaire et réintégrera son fauteuil. Il est encore loin de la retraite... Oh, je sais ! On peut toujours rêver, mais ce n’est vraiment pas le moment.
— Votre Seigneurie a l’intention d’infiltrer combien de personnes parmi les extras de chez Mason et Crumble ?
— Deux !
— Pas plus ?
— Mon Dieu, non. Un homme – vous ! – sous l’habit de maître d’hôtel – il en faut plusieurs dans ces manifestations ! – pour évoluer à l’intérieur du château, ce qui vous permettra, vu la foule, de déambuler un peu partout. Et une femme pour se mêler à celles que l’on charge depuis quelque temps de présenter les plateaux, en particulier quand il y a des jardins parce qu’elles sont plus agréables à regarder. Des fleurs parmi les fleurs, vous comprenez ?
— Non, mais pourquoi pas ? Et qui...
— Là, il se peut que j’aie un combat à livrer, et d’ailleurs, dès qu’il sera une heure décente pour se présenter chez des dames, vous me conduirez à Chartwell !
— La demoiselle française au long nez ? Je ne sais pas si elle fera l’affaire en tant que fleur...
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